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« Allô ! Maman, Bobo »

Soumis par Pierre-Alain Porret le 21 février 2020
Prends soin de mon doudou

Début 2019, les autorités neuchâteloises ont lancé la réforme des institutions de l’enfance. Selon elles, « tout en maintenant la capacité d’accueil actuelle, le Conseil d’État juge nécessaire la modernisation de ce dispositif. Il souhaite limiter le recours au placement en institution et va soutenir le développement de prestations nouvelles, complémentaires et alternatives, permettant aux jeunes de rester dans leurs familles.1 »

Depuis 50 ans environ, la priorité a été mise sur le placement en institution des jeunes en difficulté. Une spécificité du dispositif est qu’il repose sur le recours à des fondations privées subventionnées. Alors, lorsque les autorités déclarent vouloir encourager le maintien en famille, l’aide éducative ambulatoire, la prise en charge dans des familles d’accueil ou une meilleure coordination des diverses institutions, on ne peut évidemment qu’être intéressé·e par la démarche. Toutefois, l’oreille se dresse tout de suite lorsqu’on entend nos responsables politiques glisser qu’il s’agit aussi (surtout ?) d’économiser à terme trois-millions de francs par année…

Sur le terrain, ces manœuvres suscitent bien des inquiétudes. Après une année, cette réforme fait déjà sentir ses effets. Premières fermetures, diminutions de places d’accueil, licenciements de collaborateurs, réorganisations… Les éducateurs·trices et autres professionnel·e·s concerné·e·s sont chahuté·e·s, surmené·e·s, mal informé·e·s, mis·es à l’écart de la réflexion. Ils·elles ressentent fortement un manque de communication, de transparence et d’honnêteté.

Un collectif rassemblant des membres de toutes les associations et de tous les secteurs concernés s’est constitué, sous le nom de « Prends soin de mon doudou2 ». Son objectif est de susciter un dialogue transversal entre toutes les personnes concernées, d’informer la population des risques induits par les changements actuels, et de chercher un dialogue constructif avec les décideurs politiques.

Pour ce petit groupe motivé, il faut vivre avec son temps et l’idée d’une modernisation n’est pas mauvaise en soi, ni le développement de prises en charge modernes. C’est la manière et le rythme qui questionnent, lorsque l’on supprime ce qui existe avant de disposer de nouvelles structures. On ne devrait pas chercher d’économies avant d’avoir investi pour créer un nouveau cadre de travail.

« Dans ma tête y a rien à faire, j’suis mal en campagne et mal en ville, peut-être un p’tit peu trop fragile…3 ».

Après plusieurs séances réunissant de nombreux acteurs du domaine de l’enfance, il apparait urgent de mettre sur pied une plateforme d’échange et de réflexion ouverte à toutes les associations professionnelles concernées, afin de négocier avec les autorités cantonales. Le SAEN appuie pleinement cette démarche et l’a défendue, dans un esprit constructif, devant le Conseil d’État. Nous espérons que celui-ci saisira cette opportunité de créer une vraie collaboration avec tous ceux et toutes celles qui, chaque jour, donnent le meilleur pour prendre soin d’enfants et des jeunes en souffrance.

À l’heure actuelle, il nous parait vital de se poser d’abord les bonnes questions, et non pas de réfléchir à l’enfance par le biais de logiques économiques. C’est un domaine dans lequel des restrictions budgétaires ont toujours de lourdes conséquences à court terme ! Les enfants doivent être au centre de nos considérations, ils ont ce droit, et nous avons cette responsabilité à leur égard.

Note : Cet article a été rédigé collectivement

Perplexité et inquiétudes

Les professionnel·le·s de l’enfance sont désemparé·e·s et font part de nombreuses inquiétudes :

  • Y a-t-il vraiment une politique cohérente pour la prise en charge des enfants, des jeunes et des familles en difficulté ?

  • A-t-on pris le temps d’une vraie étude des besoins avant de se lancer ? La vision politique est-elle cohérente ?

  • Le Conseil d’État parle d’évolution, mais pas de révolution. Il prétend vouloir maintenir la capacité d’accueil actuelle. Pourquoi commence-t-on par démanteler des structures, peut-être imparfaites, mais qui fonctionnent, alors que les solutions innovantes n’en sont qu’à leurs balbutiements ?

  • L’objectif serait de fonctionner à terme avec 60 familles d’accueil environ. Or, il n’y en a même pas la moitié actuellement. Comment va-t-on recruter, former et soutenir efficacement les nouvelles familles en si peu de temps ? Et avec quels moyens ? (Ne risque-t-on pas, comme c’est déjà le cas, d’en plonger certaines en situation d’échec, de souffrance par manque d’information et/ou d’accompagnement ?) Est-il vraiment envisageable de se proposer comme foyer d’accueil sans disposer d’une formation spécialisée et d’un encadrement rapproché ?

  • Qui assumera les couts de la prise en charge ambulatoire ? Va-t-on reporter cela sur les communes, sur les structures d’accueil locales, sur les cercles scolaires ?

  • Les autorités en ont fait la promesse : « Le projet de modernisation du dispositif sera concrétisé progressivement et dans le respect de tous les partenaires concernés, en particulier des institutions, enfants et employé-e-s concerné-e-s. » Or, actuellement, de nombreux·ses professionnel·le·s se sentent abandonné·e·s et ont le sentiment qu’on n’écoute pas leurs questions et soucis légitimes.

  • En ce moment, la demande en suivis éducatifs ne fait qu’augmenter. Ne risque-t-on pas alors, en pleine restructuration, d’oublier des jeunes qui, livrés à eux-mêmes, risquent de plonger encore plus bas ?

2 https://prendssoindemondoudou.webself.net/

3 Alain Souchon, « Jamais content », 1977

Publié le
ven 21/02/2020 - 17:16
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