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Et voici le programme de stabilisation

Soumis par SAEN le 9 novembre 2015

Réduction des impôts et programme d’économies, un enchaînement fatal

Photo Dan Moyle
Photo Dan Moyle (licence CC)

Le bon sens politique voudrait qu’un Etat planifie d’abord ses dépenses en fonction des tâches qu’il estime indispensables et détermine ensuite les recettes dont il a besoin pour en assurer le financement.

En Suisse, on inverse cette logique, et donc la démarche. On débat d’abord sur les impôts, qui font l’objet de décisions distinctes de celles concernant les budgets, contrairement à ce qui se passe dans les autres démocraties.

La droite helvétique cherche continuellement à alléger la charge fiscale tandis que la gauche se rend consciemment impopulaire en s’opposant à toute baisse des impôts, pour une raison bien simple et avérée: de telles diminutions entraînent forcément des réductions de dépenses sociales, des budgets de solidarité ainsi que des investissements, indispensables pour l’avenir du pays, mais souvent non directement rentables comme la formation et la recherche.

Pour preuve de cet enchaînement diabolique: la présentation du nouveau programme dit de stabilisation sur lequel nous revenons plus bas.

Adoptée en votation référendaire, la dernière Réforme de l’imposition des entreprises (RIE II) a privé les cantons et la Confédération de milliards de francs de recettes en autorisant les entreprises à distribuer leurs bénéfices sous forme de remboursements d’agios, non imposés.

Or, voici que l’on prépare une nouvelle ponction dans les recettes fiscales avec la troisième Réforme de l’imposition des entreprises (RIE III, DP 2077). Il s’agit pour les cantons d’imposer au même taux les entreprises suisses et les sociétés à statut spécial – holdings, sociétés de domicile – soumises pour l’heure au seul impôt fédéral direct (IFD). Comme on sait, les cantons prévoient de baisser drastiquement leur taux, pour éviter que lesdites sociétés partent chez le voisin. Cette malsaine concurrence intercantonale pourrait être évitée. A cette fin, il suffirait soit de fixer un taux minimum pour toute la Suisse, soit de soumettre les bénéfices exclusivement à l’IFD, augmenté pour la circonstance et dont les recettes seraient partiellement redistribuées aux cantons.

C’est dans ce contexte d’incertitudes que le Conseil fédéral, tout en taisant les conséquences budgétaires de cette révision – départ à l’étranger de certaines entreprises et versements compensatoires aux cantons – présente un plan d’économies d’un milliard de francs par an, pudiquement dénommé programme de stabilisation 2017-2019. La prévoyance sociale (180 mio), la formation et la recherche (210 mio) ainsi que la coopération au développement (250 mio) contribuent pour près des deux tiers aux réductions prévues.

Ce mode de gestion, dans lequel la politique fiscale feint d’ignorer les besoins de financement pourtant reconnus, conduit notre pays, l’un des plus riches du monde, à vivre dans le besoin. On attire de la main-d’œuvre et des entreprises étrangères, mais on n’a pas de quoi les loger ni les installer. Les infrastructures de transports peinent à s’adapter, les prestations de l’aide sociale sont remises en question, on n’a pas su former le personnel qualifié dont la Suisse a aujourd’hui tant besoin, dans le secteur de la santé publique notamment.

Ce mode de gestion schizophrénique a pourtant été pensé et voulu. Le mécanisme de frein aux dépenses, inscrit dans la Constitution (art. 126), doit empêcher le Parlement de voter des dépenses qui dépasseraient les recettes prévisibles. Il s’agit, comme le montre l’étude du professeur Brunetti«de placer et maintenir les instruments conjoncturels hors de la sphère d’influence politique. […] Le frein à l’endettement a permis de mettre en place un mécanisme contraignant et fort, qui impose des limites claires aux décisions prises en matière de finances publiques.»

C’est ainsi que la droite majoritaire profite de l’inévitable réforme de l’imposition des entreprises à statut spécial pour réduire les impôts, privant ainsi la Confédération – mais aussi les cantons et les communes – d’une partie des ressources dont ces collectivités ont besoin. Et cela sans que l’on sache, programme de stabilisation mis à part, ni quelles dépenses seront réduites, ni quelles tâches ne pourront plus être assumées, ni à quels investissements il faudra renoncer.

Lucien Erard

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