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Des relations tumultueuses entre l’État et les communes - le cas d’école des écoles

Soumis par SAEN le 3 mai 2009
A l'heure où les communes mettent la dernière main à leurs Conseils d'établissements scolaires, on observe de bien curieuses manœuvres dans les sphères dirigeantes cantonales.

Ainsi, un projet d'arrêté cantonal «concernant le subventionnement des traitements des postes de direction dans l'enseignement préscolaire et obligatoire», pourrait bien, s'il est pris, retirer aux Conseillers communaux responsable de l'école, une partie des compétences qui devraient leur revenir à la rentrée prochaine suite à la suppression des Commissions scolaires. Nous avions présenté ici même[1] ce changement important et bienvenu. Le fait notamment que les parents soient représentés en tant que tels dans le Conseil d'établissement nous paraît un grand progrès par rapport à la Commission scolaire, à laquelle il a souvent été reproché de réunir des membres principalement motivés par le fait de pouvoir influer sur la vie de l'école fréquentée par leur(s) enfant(s). Cette modification législative a aussi aboli le «deuxième exécutif» qu'était la Commission scolaire, à côté du Conseil communal.

La participation, un concept malléable

Le Conseil d'établissement scolaire est décrit par le Conseil d'Etat comme un «organe de participation, un lieu d'information et de consultation [constituant] une force d'appui et de proposition pour le Conseil communal[2].» Même si elle nécessite un travail de définition plus important pour devenir opérationnelle, la notion de participation est très certainement une voie prometteuse pour la gestion d'un service publique d'éducation et d'enseignement. Cette même notion avait été invoquée par le chef du Service de l'enseignement obligatoire (SEO), qui déclarait dans la presse locale que les travaux entrepris dans les groupes HarmoS-CSR devaient constituer un «processus participatif».

Cependant, cette volonté affichée de développer des modèles de gestion participative dans le cadre de l'école neuchâteloise ne semble pas résister à l'épreuve de la marche forcée vers la cantonalisation des structures de l'école obligatoire entamée par le Conseil d'Etat. On a déjà relevé dans ces pages l'opposition des Villes au projet de l'Etat de cantonaliser l'Instruction publique lors de la troisième étape du désenchevêtrement des tâches[3]. On a lu depuis un membre d'un exécutif communal évoquer «les divergences de vue profondes sur la manière dont les Autorités cantonales [...] mènent les réformes, promettant davantage de liberté de manœuvre aux communes mais simultanément procédant à une centralisation accélérée des tâches, y compris celles de proximité[4].» Et les récentes élections cantonales ne semblent pas avoir apaisées ces tensions. Manifestement, le SEO pose les premiers jalons de cette politique de centralisation dans le champ solaire sans attendre les résultats des «processus participatifs» en cours et sans laisser le temps aux communes le temps de digérer les modifications législatives instituant les Conseils d'établissements, qui datent d'une année à peine...

Un projet plein de bonnes intentions

Le DECS explique sa démarche par son intention de créer «une base légale assurant à toutes les communes un traitement équitable» en «fixant des normes pour le subventionnement des postes de directions aux degrés préscolaire, primaire et secondaire 1[5].» Il précise que «ce projet ne prévoit aucunement de cantonaliser les postes de direction : il s'agit uniquement de fixer des règles pour le nombre de postes que le canton acceptera de prendre en considération pour le subventionnement qu'il accorde.[6]»

Les associations professionnelles d'enseignants n'ont pas été consultées à propos de ce projet, bien que ses conséquences intéressent à l'évidence directement les acteurs de terrain, ce texte posant les bases d'une relation hiérarchique directe entre le SEO et les directions d'école. On se consolera facilement en se rappelant que les Commissions scolaires ont elles aussi été oubliées dans le premier envoi... Paradoxalement, les documents liés à la consultation sont accessibles à tout public sur le site du DECS[7]. L'accès à l'information constituant la première étape - et la condition nécessaire - à l'engagement d'un processus participatif, faut-il que nous nous considérions comme informés de ce projet par le simple fait que ces documents ont été mis en ligne sans restrictions d'accès?

D'autres points de la procédure de consultation interrogent sur les techniques de management sous-jacentes à l'action du SEO. Que penser par exemple du délai imposé aux «entités» consultées pour étudier le texte de l'arrêté et les documents annexes, éventuellement mener des discussions internes et rendre avis en complétant un questionnaire? Le courrier est daté du 16 mars et le délai fixé au 3 avril (prolongé, il est vrai, jusqu'au 10 avril dans un deuxième temps). Qui aura pu réaliser sérieusement ce travail en 15 ou 20 jours?

Peu d'idées et des chiffres faciles

Sur le fond, si la visée de ce texte est probablement légitime (garantir une certaine équité pour les élèves, harmoniser les structures, éviter les conflits de loyauté générés par les postes hybrides d'enseignant-directeur, ...), la méthode est discutable. En effet, le nombre d'élèves est-il vraiment l'indicateur pertinent pour définir le nombre de postes de direction d'écoles? Réduire les conditions d'octroi de la subvention à une seule donnée chiffrée a un intérêt pratique incontestable, mais c'est réduire la fonction de directeur à sa seule dimension de gestion d'un effectif d'individus. A l'heure où l'on recherche des modèles efficaces pour le fonctionnement des établissements et la distribution du leadership pédagogique, c'est un peu court... On comprend très bien que le SEO cherche à cadrer les projets communaux de réorganisation des structures, mais la manière est un peu sèche...

Ce projet mérite aussi d'être questionné du point de vue de l'autonomie des établissements, qui serait sérieusement compromise par une structure centralisée et peu propice à la créativité[8], alors même que les défis auxquels l'école se trouve confrontée aujourd'hui nécessitent précisément de mobiliser la force créative de chacun et d'imaginer des solutions innovantes, adaptées aux réalités locales.

Cantonaliser. Pour qui? Pour quoi?

Si l'on admet que la modification de la loi sur les autorités scolaires a permis de régler la question de la cantonalisation du statut des enseignants (l'article 17 de la Loi sur les autorités scolaires indiquant que «les communes et l'Etat coordonnent leurs procédures d'engagement et de nomination pour assurer la mobilité du corps enseignant»), il vaut la peine de se demander ce que les enseignants, les élèves et les parents ont à espérer d'une cantonalisation des structures de la scolarité obligatoire.

Des membres d'exécutifs communaux s'inquiètent dès maintenant de la perte de proximité entre l'école et les familles qu'impliquerait la cantonalisation. De plus, les Villes ont mis en place des structures spécifiques (et non-subventionnées par l'Etat), telles que les services socio-éducatifs, rendues nécessaires par la composition sociale de leur population scolaire. Que deviendraient ces particularités dans une structure unique?

D'autres éléments contestables apparaissent au fil d'une lecture attentive des documents mis en consultation. Il est prévu que le département ne subventionne pas de poste de direction au-dessous d'un équivalent poste de travail[9]. C'est une incitation claire à regrouper les élèves, afin de former des groupes suffisamment grands pour obtenir la subvention. On s'aperçoit aussi que les chiffres retenus dans l'arrêté pour fixer les normes d'encadrement[10] (les postes sont subventionnés au pro rata des effectifs d'élèves) sont supérieurs aux moyennes cantonales correspondant aux pratiques en vigueur[11]. Pourquoi ne pas avoir repris les chiffres moyens si ce n'est pour réaliser des économies? Y a-t-il aujourd'hui trop de directeurs par élèves?

Selon l'article 4, «la nomination des membres de direction est du ressort du Conseil d'Etat, également pour les postes non subventionnés par le canton.» Les communes perdraient la compétence de nommer ceux qui géreront leurs établissements scolaires et, selon toute vraisemblance, engageront le corps enseignant... A la lecture du document explicatif, on comprend que les communes n'orienteraient plus rien de "pédagogique" dans leurs écoles. Elles pourraient seulement engager davantage de cadres administratifs si nécessaire, qu'elles paieraient elles-mêmes...

On voudrait croire que la question des avantages/inconvénients de la centralisation sera posée et débattue publiquement en termes de qualité de l'enseignement et du suivi des élèves, mais aussi en termes de conditions favorables à la construction de projets d'établissement et d'innovations pédagogiques. On voudrait aussi pouvoir ajouter dans cet hypothétique débat la problématique de l'identité professionnelle de l'enseignant, qui sera profondément modifiée si celui-ci doit évoluer dans un contexte fortement contraint par des organes centralisés, alors que le paradigme du praticien réflexif postule que l'enseignant n'est précisément pas un simple exécutant[12].

Comme les communes ne semblent pas en mesure de proposer rapidement une alternative viable à la cantonalisation des structures (le fait que certaines d'entre elles aient entrepris de se restructurer ne représente pas un obstacle à une intégration ultérieure dans un ensemble plus grand) et que le SEO ne parviendra certainement pas à vider les prérogatives communales de leur substance en enfilant les unes derrière les autres des mesures législatives et administratives discrètes et a priori anodines, la voie est libre pour qui voudrait imaginer de véritables modèles de participation citoyenne à la construction de l'école neuchâteloise. Qui sait? Peut-être le dossier scolaire permettra-t-il de trouver des solutions à d'autres dossiers épineux qui semblent tellement perturber les relations entre nos élus communaux et cantonaux...

Stefan Lauper

[1] Autorités scolaires neuchâteloises - modifications inabouties, L'Educateur 10/2008, p. 52.

[2] Avis du Conseil d'Etat, 7 mai 2008.

[3] La Chaux-de-Fonds mue, L'Educateur 4/2009, p. 49.

[4] Pascal Sandoz in Vivre la ville, bulletin officiel de la Ville de Neuchâtel, le 29 avril 2009.

[5] http://www.ne.ch/neat/site/jsp/rubrique/rubrique.jsp?StyleType=bleu&DocId=16885

[6] Séance DECS-Syndicats du 20 avril 2009, notes du secrétaire général adjoint du DECS.

[7] www.ne.ch/DECS -> Consultations

[8] On relira avec profit, l'interview de Nicolas Babey professeur à la HEG parue dans L'Express-Impar du 17 octobre 2008. L'article était intitulé «La centralisation tue la créativité». N. Babey expliquait qu'un processus participatif repose sur «trois postulats principaux [...] que l'on suppose acquis avant le démarrage du processus. [...] on posera premièrement que [les acteurs de terrain] connaissent mieux que personne la problématique générale [du domaine]. Deuxièmement, on postulera que ces mêmes acteurs sont parfaitement conscients des qualités et limites des structures et sont porteurs de propositions, quand bien même elles peuvent être contradictoires. Enfin, et ce n'est pas la moindre des choses, on tiendra pour acquis que ces acteurs sont de bonne volonté.» Ce document se trouve sur le site www.saen.ch -> l'Educateur -> compléments.

[9] Projet d'arrêté, art. 3, alinéa 5.

[10] Art. 3, alinéa 1.

[11] Moyennes : 720 élèves pour l'école primaire, 345 pour l'école secondaire. Normes : 750 et 360.

[12] Voir à ce sujet Professionnalisation de la formation des enseignants, L'Educateur 4/2009, p. 51.

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