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La politique de formation voulue par l’économie

Soumis par SAEN le 21 août 2008

Offrir la taxe universitaire aux étudiants méritants
[1]
n’est qu’une des propositions contenues dans les «lignes directrices  de l’économie» pour une «politique de formation, de recherche et d’innovation.
[2]
» L’enseignant concerné par l’insertion socio-professionnelle de ses élèves tente alors de lire et comprendre le papier d’ «economiesuisse» avec un regard de pédagogue de l’école publique, gratuite et obligatoire. Voici donc une traduction libre de quelques extraits.
[3]
 

Extraits


Traduction

Les entreprises ont un intérêt fondamental à ce que la Suisse dispose d’une formation et d’une recherche de haut niveau.


Les propriétaires d’entreprises gagnent de l’argent grâce aux services publics d’enseignement et de recherche.

Grâce à des produits et à des services nouveaux et compétitifs, l’économie produit davantage de valeur ajoutée et crée des emplois attractifs.


On crée de nouveaux produits et on propose de nouveaux services, ce qui nous fait gagner de l’argent et travailler avec plaisir.

La prospérité de la Suisse est étroitement liée à la qualité de la formation.


Un bon système de formation fait gagner plus d’argent.

Dans ce domaine, l’horizon temporel est très lointain, si bien qu’il appartient aux associationséconomiques de s’occuper des questions de formation plutôt que de les laisser aux entreprises.


Comme on ne voit pas le temps passer, il faut laisser les lobbies se pencher sur ces questions d’argent et laisser les entreprises en gagner.

On s’interroge sur l’impact d’une conception de la vie économique et sociale résumée à ses flux financiers sur l’école. En effet, si les dépenses publiques allouées à l’éducation et à la formation doivent être considérées comme des investissements, le rôle de l’enseignant devrait-il désormais se résumer à celui d’un knowledge manager chargé de faire fructifier le «capital humain»? Ou est-il encore nécessaire de faire appel à d’autres dimensions pour décrire son action? Et que dire du rôle et de la place de l’élève dans ce système? Doit-on l’envisager comme le substrat psycho-biologique d’une portion de capital humain injecté dans les circuitséconomiques? Mais enchaînons...

Le développement démographique et la faible marge de manœuvre dans le domaine des finances publiques imposent d’utiliser avec la plus grande efficience possible les moyens à disposition.


Le vieillissement de la population et les restrictions budgétaires nous obligent à travailler plus et plus fort.

Compte tenu de très longs délais d’action, les réformes [...] n’influencent le marché du travail qu’après plusieurs années.


Une réforme ne change hélas pas tout, tout de suite.

La commission pour la formation et la recherche d’economiesuisse suggère dans ce document une liste de réformes nécessaires aux yeux de l’économie.


Les auteurs du texte proposent des réformes (même si celles-ci ne changent pas tout, tout de suite).

Il ne s’agit pas pour autant de tout définir et de tout planifier. Il faut au contraire renforcer les éléments de concurrence et mettre en place les incitations adéquates, afin que les acteurs de ce domaine fournissent des prestations de formation et de recherche efficientes et bien ciblées.

Ils ne souhaitent cependant pas dire comment il faut s’y prendre, parce qu’il est plus judicieux que chacun essaie dans son coin de faire au mieux pour répondre aux attentes des autres.

Comment faire pour continuer à gagner beaucoup d’argent si les travailleurs partent à la retraite, si les autorités font des difficultés aux étrangers désireux de participer à notre prospérité et si on ne change pas ce qui ne marche pas? Inciter, sans planifier ni définir, pour que «les acteurs fournissent des prestations efficientes et bien ciblées.» Pourquoi pas... Mais qu’est-ce que ça veut dire, au juste ? Quels acteurs fournissent quelles prestations à quels clients? Qui vérifie que les prestations soient «efficientes» et «bien ciblées», selon quels indicateurs et pour quelles finalités? L’efficience pour elle-même, la satisfaction des clients, la compétitivité des entreprises, ...? Mais penchons-nous plutôt sur l’école obligatoire.

 

Les niveaux primaire et secondaire absorbent une part importante des ressources financières consacrées à l’éducation.


L’école coûte cher.

Ils présentent de grandes différences en termes de performances, comme le montrent tant les résultats des études Pisa que les problèmes persistants rencontrés par des jeunes dans le monde professionnel [...].


Les mauvais scores de la Suisse dans les enquêtes comparatives internationales et les difficultés d’insertion des jeunes sont dus à l’école.

Il est de plus en plus important que les niveaux primaire et secondaire remplissent leur mission consistant à transmettre aux élèves de solides connaissances de base et à susciter chez eux la curiosité, la créativité et la volonté de travailler.

L’école ne fait pas son travail. Les élèves n’ont pas de « connaissances solides », ne sont pas « curieux », ni « créatifs. » En fait, ils sont paresseux...

Ce «mandat d’enseignement» confié à l’école englobe également l’encouragement d’une attitude positive vis-à-vis du progrès technique en général et des professions techniques en particulier.


Hormis l’enseignement, l’école doit orienter les jeunes que la société lui confie vers les tâches les plus intéressantes du point de vue de la stratégie d’ «economiesuisse».

[Le concordat HarmoS] constitue une première étape positive. Il uniformise les standards éducatifs, définit des caractéristiques structurelles telles que l’âge du début de scolarité, sa durée ainsi que les instruments d’assurance qualité.


HarmoS est un progrès dans l’uniformisation du système éducatif, de ses structures et de ses objectifs. Cet accord permet enfin d’évaluer l’école !

La mesure des performances fondée sur des indicateurs doit servir à encourager l’émulation entre écoles. Elle doit également permettre de comparer les résultats.

Des raccourcis conceptuels et des raisonnements elliptiques permettront de réaliser le ranking des établissements publics que chacun attend.

Comment la concurrence entre des établissements que les parents ne choisissent pas (encore) pourrait-elle favoriser le développement d’une culture d’établissement favorable aux intérêts des élèves? Il est toujours piquant de constater que ce qui semble une évidence pour certains peut revêtir un caractère très mystérieux pour d’autres... S’il est légitime de demander aux acteurs de l’école de rendre compte de leur activité, la collecte de données sur les performances des élèves ne peut pas à elle seule renseigner valablement l’observateur sur la qualité ou l’efficience d’une école. Que désigne-ton en employant le vocable «école»? Que cherche-t-on àévaluer quand on évalue «l’école» et dans quels buts? Mais passons aux remarques conclusives.

 

La Suisse occupe une situation enviable dans les domaines de la formation et de la recherche.


Finalement, tout ne va pas si mal...

Succès oblige, la Suisse ne peut pas se reposer sur ses lauriers. La concurrence mondiale s’est nettement intensifiée et nous devons réagir afin de garder une longueur d’avance dans le domaine de la formation, de la recherche et de l’innovation.


Etre bon ne suffit pas, il faut être meilleur. Nous devons craindre les autres et aller plus vite qu’eux.

Dans ce document, economiesuisse a présenté les principales réformes nécessaires [...]. La clé du succès consiste [...] à mettre davantage l’accent sur les résultats dans le secteur de l’éducation.


La commission ad hoc d’ « economiesuisse » a présenté les réformes qu’elle appelle de ses vœux. Selon elle, on obtient du succès en visant des résultats.

Les premierséléments d’un authentique débat sur l’éducation et la formation sont enfin posés... De quel succès parle-t-on? Qui en bénéficie au final? Quels résultats attend-on d’un système éducatif? Dans quel projet de société s’inscrivent-ils? Qui est légitimé à définir les objectifs assignés à l’école? A les mesurer? Il est regrettable que les notions de «succès» et de «résultats» ne soient qu’effleurées dans cette étude.   Ah! J’oubliais: il faut «inciter, sans planifier ni définir»! En fait, je m’aperçois que je suis fin prêt à troquer le jargon des pédagogues avec celui des économistes...

Stefan Lauper


[1]
20 minutes , le 24 avril 2008.


[2]
Economiesuisse, Fédération des entreprises suisses (2008). Politique de formation, de recherche et d’innovation 2008 - 2011, lignes directrices de l’économie .


[3]
Cet exercice est inspiré de Baillargeon, N. (2006). Petit cours d’autodéfense intellectuelle . Montréal : Lux, p. 29.

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