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L’école neuchâteloise à l’épreuve de la logique financière

Soumis par Pierre Graber le 10 mars 2006

L’augmentation du nombre d’élèves par classe décidée par le Conseil d’Etat suscite une forte réaction des syndicats SSP et SAEN : recours au Tribunal fédéral déposé.
Coupes dans l’école : l’art d’économiser en évitant les remous Le Conseil d’Etat économise en appliquant des recettes tirées de la vulgate néolibérale, associant pragmatisme, calcul politique et brutalité. Une augmentation du pensum des enseignants les aurait unanimement ligués contre le gouvernement. L’épreuve de force aurait même pu tourner à l’avantage des syndicats de la fonction publique, comme cela s’est passé dans le canton du Jura. Une baisse marquée des salaires des enseignants serait quant à elle périlleuse pour la majorité politique actuelle libéralo-socialiste : beaucoup de sympathisants, voire de militants enseignants, pourraient réagir avec vigueur et détermination. Les salaires réels baissent néanmoins depuis une quinzaine d’années mais de manière suffisamment anodine pour ne pas entraîner de vives réactions de la part du corps enseignant. La dégradation est lente. Les salaires restent stables alors que le coût de la vie augmente régulièrement (assurance-maladie et autres frais fixes). De plus, les jeunes collègues subissent des pertes importantes, le Conseil d’Etat ayant décidé de bloquer la progression salariale automatique. Cette dernière mesure ne suscite bien évidemment aucun élan de solidarité chez ceux qui touchent déjà la haute paie. Une répartition plus équitable du sacrifice financier impliquant une légère baisse de salaire pour tous aurait certainement conduit à de nombreuses critiques indignées dans les salles des maîtres. Le même raisonnement apparaît dans l’augmentation du nombre d’élèves par classe qui devrait se solder par la disparition de quelques dizaines de classes et donc la suppression brutale de postes de travail. Celles et ceux qui garderont leur emploi, la très grande majorité des enseignants, n’accorderont généralement qu’un soutien très modéré et surtout très ponctuel à celles et ceux, très minoritaires, qui auront perdu le leur. Le soulagement d’avoir préservé son poste et la peur de faire partie de la prochaine charrette de licenciement nourrissent en effet une prudence et une circonspection, voire un immobilisme, tout à fait compréhensibles. Economiser sans trop de vagues, tout un art que l’actuel Conseil d’Etat pense bien maîtriser. Augmentation des effectifs dans les classes : de nombreux enfants pénalisés Une augmentation du nombre d’enfants par classe n’est pas sans conséquences sur les pratiques pédagogiques, et ceci à tous les niveaux de la scolarité. Si je m’en réfère à ma modeste expérience au niveau secondaire II, je constate qu’avec de petits effectifs allant jusqu’à 16 élèves, un suivi personnalisé de chaque élève est généralement possible. De 17 à 21 élèves, une puissante dynamique de classe peut parfois compenser un contrôle individuel moins soutenu. Dès 24 élèves, j’ai l’impression de davantage tenir compte des élèves qui participent activement ou suivent les leçons avec facilité. Je ne focalise plus mon attention sur les jeunes de niveau moyen et 3 ou 4 élèves deviennent littéralement « transparents » à mes yeux, en raison de leur discrétion ou de leur apathie. Les effets négatifs des augmentations d’effectifs dans les classes ne sont peut-être pas les mêmes à l’école enfantine, primaire ou secondaire, mais ils existent bel et bien. Les élèves les plus défavorisés ou les plus faibles sont naturellement les principaux perdants de cette singulière et rétrograde évolution. Les grands effectifs débouchent très souvent sur un enseignement frontal qui profite aux élèves forts, jette les moyens dans l’incertitude et condamne les plus faibles à l’échec. On peut oublier l’équité et la justice sociale. Faire mieux ou aussi bien avec moins est une affirmation qui relève de la propagande, pas de la réalité du terrain. L’Etat sommé d’économiser : une illustration de plus de la force destructrice d’une logique purement financière L’arrêté décrétant une augmentation du nombre d’élèves par classe donne l’image d’un Conseil d’Etat totalement coupé des réalités sociales et pédagogiques, des familles neuchâteloises et des enseignants qui font vivre l’école de ce canton. Les yeux rivés sur les déficits et les problèmes financiers du canton, le Conseil d’Etat est bien décidé à utiliser la tronçonneuse fournie par un peuple neuchâtelois trompé par le soi-disant bon sens qui semblait se dégager du « mécanisme de frein aux dépenses » : l’Etat, c’est comme un ménage, il ne peut pas dépenser plus qu’il ne gagne ! Stupide et trompeuse comparaison réfutée par la plupart des économistes, même libéraux: les mises en Œuvre de projets collectifs publics (écoles, hôpitaux, développement économique, infrastructures diverses, etc.) n’ont strictement rien à voir avec la gestion équilibrée d’un budget familial ! L’école, comme toutes les autres institutions publiques, est donc touchée par des mesures d’économie qui ne répondent qu’à des impératifs financiers. La logique financière, qui concentre les richesses dans les mains d’un petit nombre et creuse les inégalités partout sur la planète, qui socialise les pertes et privatise les bénéfices, ne s’est naturellement pas arrêtée aux frontières de notre charmant canton qui, comme par hasard, devient plus riche au moment o๠les collectivités publiques manquent de moyens ! En outre, cela fait un bon moment que le monde industriel subit les assauts parfois contreproductifs de la globalisation financière qui privilégie presque systématiquement des intérêts à court terme, ceux des gros actionnaires. Le monde politique est également largement passé sous la coupe du système financier. Et, ironie du sort, un Conseil d’Etat et un Grand Conseil majoritairement à gauche se sentent dans l’obligation d’imposer à la population neuchâteloise cette destructrice logique financière que leurs prédécesseurs de droite n’avaient jamais eu l’audace d’appliquer !
John Vuillaume

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