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Tout va très bien Monsieur le marquis Gnaegi !

Soumis par SAEN le 12 février 2012

Du démantèlement de l’aide aux élèves en difficulté en période de promotion de l’intégration

Jusqu'à maintenant, les quelque 20'000 élèves du canton de Neuchâtel, s’ils rencontraient des difficultés dans leur scolarité, pouvaient bénéficier de mesures d'aide, proposées notamment par des orthophonistes, des psychomotriciennes ou d'autres thérapeutes. Aujourd'hui, ces aides sont  sérieusement remises en cause. Dans le texte suivant, nous nous sommes particulièrement attachée à décrire la situation de la psychomotricité et de l'orthophonie. Affaire à suivre!

Psychomotricité

Le Centre de psychomotricité de Neuchâtel, (7,8 EPT[1]) offre des prestations tant pour les enfants de l’école régulière et que pour ceux des institutions, avec un budget de 1,15 millions (2012). De plus, pour les traitements avec une prescription médicale[2], les frais sont pris en charge par l’Office de l’Enseignement Spécialisé (OES). D'un coût de 220'000 fr., ces traitements se font en partie chez des psychomotriciennes privées, à raison d'une séance par semaine sur une période de deux ans éventuellement renouvelable une seule fois. Pour tous les  autres traitements, ce sont les parents qui payent. 

Si Neuchâtel  appliquait le même rapport postes/nombre d'élèves que Fribourg ou Vaud, il faudrait entre 13 (FR) et 26 (VD) EPT de psychomotricité… Dans ce contexte de sous-dotation aigue, il est donc très difficile d'envisager une collaboration étroite entre l'école et les prestataires, même si celle-ci est souhaitée des deux côtés. Le Département veut cantonaliser la psychomotricité et ne plus rembourser les traitements en privé (une part des 220 000fr). Mais l'augmentation, en contrepartie, de la dotation du Centre de psychomotricité d'un (1!) poste est clairement insuffisante. On peut se demander qui est gagnant dans cette opération…

Orthophonie

Les orthophonistes ont un budget de 7,5 millions de francs. Dans ce secteur, les coupes ont été moins sévères que pour la psychomotricité[3]. Pourtant, elles péjoreront inévitablement la qualité des thérapies, car la prise en charge est désormais limitée à 1 seule période par semaine, elle-même réduite à 45 minutes (au lieu de 60 précédemment). Il faut relever que la tendance actuelle pour viser une thérapie efficace consiste au contraire à prévoir des séances rapprochées et limitées dans le temps, les séances d’une période par semaine étant considérées par la recherche comme peu efficaces.

D'autres décisions aggravent encore les choses: une séance manquée ne pourra plus être rattrapée; le traitement sera limité à 2 ans, une série d'examens additionnels, lourds et chers étant exigés pour poursuivre dans les cas très graves; plus de leçons pendant les vacances. Et la dyscalculie n’est toujours pas prise en charge…

On remarquera au passage qu'avec la réduction de la durée des séances, une orthophoniste subira une perte de salaire de 25%, puisqu'elle ne peut pas fixer une séance supplémentaire dans la matinée en compensation…

En résumé, il n'y aura plus ni prise en charge massive, ni traitement de longue durée. D'autre part, comme il  y a moins de redoublements, davantage d’élèves lisent avec difficulté. Est-ce vraiment le moment de diminuer les aides en orthophonie? A nouveau, qui est gagnant dans cette opération?

Bilans

À l'école primaire, cette année, les bilans intermédiaires[4] du mois de janvier ont été supprimés. Est-ce la meilleure manière d’accompagner les enseignants et d’avoir une vue d’ensemble des élèves? Là encore, qui est gagnant? 

Soutien

Enfin un poste a été doublé: celui du soutien pédagogique spécialisé (SPS). Mais sa part reste insuffisante pour une intégration cohérente des enfants à besoins spécifiques. Si dans une commune on avait 2 périodes, on passe en effet de 2 à 4 périodes. Cela ne fera toujours que moins de 14% du temps de leçons où l’enseignant et l’enfant reçoivent de l’aide dans la classe. Les 86% restants, l'enseignant est seul avec l’(les) élève(s) en difficulté.

Gestion et responsabilités

Aujourd’hui, les enseignants doivent vivre des changements lourds et potentiellement déstabilisants: le Plan d'études romand (PER) et HarmoS; la mise en place des nouvelles structures en vue de la régionalisation (verticalisation de la scolarité et cercles scolaires). Dans ce contexte, on se demande qui prendra en charge les enfants en difficulté. Qui aura la maitrise de ces nombreux dossiers?

Objectifs antinomiques

Thème  extrêmement complexe, l’intégration s’ajoute aux exigences et  aux changements décrits plus haut, ce qui provoque une surcharge de travail et crée un climat d’insécurité dans le corps enseignant.

L’intégration est le sujet  de prédilection de tous les chefs d’instruction publique, la compétition entre eux leur fait prendre des décisions de bureaux, irréalisables dans la pratique. Philippe Gnaegi déclare vouloir faire de l’intégration son cheval de bataille, mais doit obéir à Jean Studer qui, lui, veut faire des économies… Par conséquent, le risque est grand de devoir faire de l'«intégration» sans moyens adaptés.

De plus, le débat est difficile. Les enseignants qui émettent des doutes sont catalogués de réactionnaires, ou sont considérés comme incapables de s’adapter aux nouvelles idées pédagogiques. Ils  subissent de fortes pressions liées l’intégration. Il en va d’ailleurs de même pour le non-redoublement. Les pays du Nord qui fonctionnent sans cette mesure, sont cités en exemple, avec  statistiques et  schémas à l'appui et les changements de procédure pour le passage d'un cycle à l'autre se mettent en place de manière aléatoire, ce qui désécurise les enseignants et fragilise l'institution école face aux exigences de certains parents.

OUI, je suis d’accord de tenter cette nouvelle démarche, mais que les formations des enseignants soient les mêmes, que l’encadrement parascolaire fasse partie intégrante du système et que l’on résorbe l’année et demie d’attente pour obtenir une période hebdomadaire de psychomotricité, par exemple…  Viser l’intégration en supprimant les aides existantes (classes d’enseignement spécialisé) et sans mettre en place de nouvelles structures est simplement indécent vis-à-vis d’enfants auxquels on prétend accorder plus de droits!

L'intégration à tout prix peut aussi faire des dégâts. Il vaudrait la peine de se pencher sur la situation du Canada, notamment, qui fait marche arrière dans ce domaine[5]

Vision globale

Dans le canton de Neuchâtel, on manque cruellement un centre de «dépistage», où l’enfant serait vu dans sa globalité par plusieurs professionnels. De ces examens, différents, naitraient une prise en charge adaptée et une meilleure collaboration école-parascolaire-famille. Ainsi, la famille serait moins ballotée et accepterait  peut-être mieux l’aide proposée.

A l’heure où les neurosciences prennent un essor important[6], il est indispensable de prévoir le développement de ce secteur. En effet, on doit maintenant  chercher des personnes compétentes en dehors du canton.

Tous ces regards croisés, participant à une vision et à une dynamique communes, donneraient aux enseignants une meilleure connaissance de l’enfant, des propositions d’aide concrètes et efficaces, un savoir-faire reconnu, …

Double langage

Dans l’exposé qu’il a tenu lors de la journée syndicale 2011, Philippe Gnaegi, s'il a parlé du doublement des heures de SPS, s'est bien gardé d’évoquer les restrictions décidées pour la psychomotricité et l’orthophonie. Prétendre défendre l’intégration d’un côté et  enlever les aides parascolaires de l’autre, cela s’appelle un double langage. De là à dire que Philippe Gnaegi est la source-même du stress des enseignants et de leur non-reconnaissance…

Dernière question: dans ce système anxiogène, en quoi les besoins des enfants en difficulté sont-ils reconnus et pris en charge?

Jacqueline Meylan

L'article entier en pdf


[1] Équivalent plein temps. 1 EPT pour 2564 élèves. Heureusement que tous n'y ont pas recours.

[2] L’hyperactivité dans quasiment tous les cas.

[3] L’enveloppe a augmenté de 500'000 fr., dans une proportion moindre toutefois que le nombre d’élèves concernés.

[4] Auxquels participaient l'inspecteur et l'assistant d'inspection.

[5] Selon Frédéric Back, le Canada a renoncé à l'intégration depuis 10 ans déjà. Daniel Calin (formateur d'enseignants spécialisés, http://dcalin.fr/auteur.html) parle,  lui,  de «massacres de l’intégration».

[6] Cf. Journée romande de l’enseignement spécialisé à Renens.

Texte à paraître dans L'Educateur du 24 février 2012

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