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Nouvelles structures : atout décisif ou luxe dispendieux ?

Soumis par SAEN le 26 janvier 2018
Surprise ! Complexifier la structure administrative alourdit les dépenses.

Comme souvent, la question contient la réponse. Si on évite le manichéisme, les nouvelles structures de l’école obligatoire apportent plusieurs innovations intéressantes… mais le coût en semble prohibitif pour un canton incapable de subvenir à ses besoins élémentaires !

NE_1990_2015_dep_totales_enseignants_Edu_800.jpgPanier percé...

Au risque de se répéter, rappelons que le Conseil d’État avait proclamé en 2010 que « A terme [la régionalisation] devrait permettre de générer des économies. »
Le moins que l’on puisse dire est qu’on en est très loin !
2011 est prise en compte comme étalon puisque c’est la dernière année civile dans les anciennes structures. 2015 est l’exercice comptable le plus récent dont les données sont diffusées par l’OFS.
À noter que l’horaire hebdomadaire des élèves a été augmenté lors de l’adoption du concordat HarmoS, en même temps que la mise en place des nouvelles structures. Cela a concerné principalement les 2 premiers degrés, mais aussi le reste de la scolarité obligatoire avec une grille PER compatible renforcée comprenant l’anglais dès la 7e [1]. Globalement [2], cela doit représenter un coût de 5,4 Mio en 2012 et se stabiliser à env. 7,7 Mio dès 2014 [3]. Quant à la réforme du cycle 3, elle n’intervient qu’à partir de 2015 (moins d’un Mio pour cette première année). Pour mesurer le poids des nouvelles structures, nous avons donc retiré ces montants de la hausse observée par l’OFS.
Par rapport à l’année 2011 — dans la norme des dix précédentes, c’est pour le moins spectaculaire !

(en Mio)

2012

2013

2014

2015

Hausse

12,1

39,2

42,1

47,2

Supplément horaires + réforme du cycle3

5,4

7,2

7,7

8,5

Hausse nette

6,7

32

34,4

38,7

En 2012, les nouvelles structures ont été mises en place dès le second semestre (année 2012-2013).

Même si l’incidence de l’augmentation des horaires devait avoir été sous-estimée, la marge est telle qu’on ne peut que s’interroger sur ce dérapage, puisque les nouvelles structures étaient supposées s’autofinancer ! Pour qui l’aurait oublié, rappelons encore que les progressions salariales ont été fortement rabotées en 2015 (et 2016) avant le passage à la nouvelle grille, qui réduit encore le salaire de carrière des enseignants les moins rémunérés de Romandie…

« Indécence », vous avez dit « indécence » ?

rapp_2011_2015_CH_800.jpgDans son plan de législature, le Conseil d’État a prévu de recourir à une mesure mettant gravement en danger la qualité du travail en classe : augmenter d’une unité la moyenne du nombre d’élèves à l’école primaire. Or, cela n’est censé apporter qu’une économie d’un million de francs pour l’État (et 1,3 Mio pour les communes). Quand on observe le dérapage incontrôlé présenté ci-dessus, on ne peut que s’insurger face à un tel manque de respect des enfants et de leurs enseignants !

Si on compare ces données avec les autres cantons, on constate rapidement que Neuchâtel est désormais sur le podium des « gaspilleurs de ressources » ; 26,8 % des montants consacrés à la scolarité obligatoire ne vont pas dans les classes en salaires d’enseignants ; à comparer avec les 8,4 % du Jura. Ainsi, en 2015, dans le calcul du coût annuel par élève, 7440 Frs étaient dus aux salaires des enseignants et 1120 Frs en autres salaires ; dans le Jura, les montants étaient respectivement de 8470 et 460 Frs. La vérité doit probablement se situer à mi-chemin entre les deux voies...

Un peu d’histoire

Après le plébiscite national [4], les adhésions du canton de Neuchâtel au concordat HarmoS et à la Convention scolaire romande ont été l’occasion de revoir les structures de l’école obligatoire.

  • En 2008, le Conseil d’État souhaite profiter de l’occasion pour donner davantage de cohérence au pilotage et corriger les dérives dues aux pouvoirs détenus par les commissions scolaires.
    «Indéniablement, la conduite de l’école neuchâteloise de demain serait plus rationnelle et efficiente sous la seule compétence du canton. Actuellement, dans l’enseignement, les communes n’ont que des compétences organisationnelles (ouvertures de classes) ou de nomination (engagement des enseignants).»
    Mais la concurrence d’un projet de loi soutenu par tous les grands partis — du PS à l’UDC — amène le Grand Conseil à rejeter massivement l’entrée en matière (100 voix contre 1!).

  • Le projet de loi déposé en 2007 vise en effet à accroître les compétences des conseils communaux aux dépens des commissions scolaires.
    «Sur le plan communal, il n’y a pas un seul exécutif, mais deux, à savoir le Conseil communal et la commission scolaire, cette dernière exerçant des compétences exécutives dans le domaine scolaire en vertu de la loi et des règlements cantonaux en la matière. Cette situation entraîne un certain nombre de difficultés […] Les commissions scolaires sont souvent composées de parents d’élèves.»

  • Le parlement et le gouvernement ayant clairement viré à droite à la suite des élections d’avril 2009, le projet de cantonalisation est abandonné... également sous la pression des villes et des grandes communes (La Tène et Val-de-Travers sont nées en janvier).

  • En été 2010, le Conseil d’État met en consultation un projet de nouvelles structures de l’école obligatoire.
    «[La régionalisation] est un projet modèle dans le sens d’une bonne collaboration entre État et communes, puisque les tâches de chacun sont clairement définies et pourront être exercées dans un sain partenariat, en respectant les compétences actuelles des communes.
    La réorganisation de la gestion des ressources financières et humaines va permettre une économie pour l’État et les communes.
    Globalement, l’augmentation des coûts est compensée par l’ensemble des mesures qui sont prises.»

    Le rapport en consultation se veut très détaillé et présente diverses variantes de mise en place des cercles scolaires. « Environ trois quarts des 109 entités consultées ont répondu et, globalement, le projet a reçu un accueil favorable. » Mais on est à la limite de la manipulation : faute de pondération, les avis des enseignants sont noyés dans la multitude de réponses d’entités parfois très éloignées de la problématique, consultées à plusieurs titres ; de surcroît, la consultation [5] lancée à la fin du mois de juin s’achève le 1er septembre. La réponse du SAEN est clairement hostile au projet, même si celui-ci contenait quelques éléments favorables (structures verticales, par exemple), directions à l’école primaire, affranchissement des commissions scolaires…
    Le 25 janvier 2011, le projet de loi est accepté par 100 voix contre 3…

Maudites commissions scolaires !

Tout au long de l’histoire de l’Instruction publique, les commissions scolaires ont joué un rôle prépondérant. Composées de « citoyens ordinaires », celles-ci jouissaient des prérogatives d’un exécutif. Sans jamais avoir été élus par la population, certains de leurs membres exerçaient un pouvoir parfois excessif… et peinaient à respecter le secret de fonction. L’engagement des enseignants leur était confié et cela tenait parfois à des critères éloignés de la gestion moderne des ressources humaines. On parlait alors volontiers du coup de piston dû à la « vitamine A » (Amitiés) correspondant à l’actuel « réseau »… Très souvent, on y plaçait aussi les enseignants dans les classes selon leur genre : les femmes avec les petits, les hommes avec les grands.

Bien sûr, la présidence était décisive et cela tenait de la loterie. Dans bien des cas, des gens dévoués ne mesuraient pas leur temps pour le bien des enfants de leur commune ; ils se mettaient à disposition pour diverses activités (sorties, camps, fêtes scolaires, ..).

Mais, souvent aussi, les membres de la commission scolaire en faisaient partie durant la scolarité de leurs enfants et la quittaient au moment où ceux-ci passaient à l’école secondaire… Leur double casquette pouvait parfois causer bien du souci aux enseignants chez qui leurs enfants effectuaient leur scolarité, surtout dans les petits villages.

Il est assez piquant d’observer que les prérogatives des commissions scolaires et les abus de certains commissaires auront conduit à leur disparition !

Les nouvelles structures en pratique...

Points forts Points faibles
  • Remplacement des commissions scolaires par des directions professionnelles.

  • Renforcement du travail pédagogique en équipe.

  • Amélioration du suivi des élèves tout au long de la scolarité obligatoire.

  • Accroissement du sentiment d'appartenance des enseignants (du collège au cercle).

  • Complexification supplémentaire de la gestion de l’école.

  • Propension des cercles/centres à travailler chacun de son côté, apparition de divergences.

  • Dérive anarchique des pratiques au lieu de l’harmonisation cantonale souhaitée.

  • Directions débordées de travail administratif.

  • Manque de transparence dans l’implication politique des communes.

  • Apparition de démarches autoritaires.

  • Autonomie réduite dans la gestion courante de la classe (activités hors-les-murs, …).

Quel pilotage pour l’école neuchâteloise ?

Dans tous les cantons, l’école obligatoire doit répondre à une double logique, générale et spécifique, cantonale et régionale. Partout ailleurs en Romandie, le pilotage est cantonal avec une délégation régionale sous forme d’une part d’autonomie concédée aux établissements ; cela correspond d’ailleurs assez bien à notre conception :

Pilotage cantonal prioritaire :

Pilotage régional prioritaire :

  • Engagement et encadrement des équipes de direction.

  • Nomination, statut, salaire des enseignants et des directions.

  • Plan d’étude, moyens d’enseignement, réformes scolaires, formation continue.

  • Directives pédagogiques et didactiques.

  • Directives concernant les enfants BéP.

  • Institutions, classes spéciales, ressources documentaires…

  • Suivi des résultats globaux des élèves.

  • Outils informatiques de gestion de l’école.

  • Mise à disposition et gestion des locaux et de leur équipement.

  • Engagement des enseignants, répartition du travail.

  • Gestion des horaires des élèves et des enseignants.

  • Organisation du travail pédagogique en équipes.

  • Contacts avec les familles et avec le public.

  • Gestion des classes (effectifs, encadrement, localisation…).

  • Gestion des mesures d’aide pour les élèves en difficultés.

  • Gestion des activités extrascolaires (fêtes, camps…).

  • Gestion du matériel, des petites dépenses.

 

1  Réduction de l’écart avec les élèves valaisans ayant suivi plus de 1000 h de cours supplémentaires au cours de leur scolarité.
2  On additionne tous les coûts assumés par les communes et le canton (salaires, services, matériel et investissements).
3  Il s’agit des estimations transmises aux députés en 2008.
4  Votation du 21 mai 2006, acceptée par 86 % des votants.
5  Voir www.saen.ch/dossiers


Régionalisation de l’école neuchâteloise, quel bilan ?

Il est peut-être temps de tirer un bilan de la régionalisation de l’école obligatoire neuchâteloise ?

Une couche politique et administrative a été ajoutée, sans aucun apport pédagogique déterminant, si ce n’est une organisation locale des classes en phase avec les aspirations parentales, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas avec un pilotage exclusivement cantonal.

En clair, la régionalisation de l’école obligatoire a joué un rôle non négligeable d’amortisseur dans la volonté sans cesse renouvelée des autorités cantonales de réaliser des économies, aussi dans l’école et la formation, notamment par le biais de fermetures de classes.

Trouver d’autres points positifs à la régionalisation paraît bien difficile : qui trouvera positif le creusement des inégalités de traitement entre élèves au même profil d’un cercle à l’autre ? Qui trouvera positif de confier la direction politique de l’école à des magistrats professionnels dont la compétence reste à démontrer ?

Ce qui apparaît sûr, c’est que la régionalisation n’a fait qu’accentuer les tares frappant les cycles de l’école obligatoire.

Au cycle 3, l’exfiltration des enseignants mastérisés continue, qui doivent faire place à de « vrais » pédagogues, de surplus moins coûteux, qui n’auront pas usé trop longtemps leur fond de culotte sur les bancs de l’université. Et un cycle 3 confié à des enseignants de moindre formation prépare de plus en plus mal la transition des élèves vers le secondaire II.

Au cycle 2, la pression reste toujours énorme sur les collègues qui doivent gérer au mieux l’inadéquation parfois abyssale entre des exigences scolaires élevées et des comportements d’élèves de plus en plus problématiques.

Enfin, au cycle 1, la notion de premier cycle n’a justement pas pris, avec la consolidation de deux demi-cycles où trop de collègues ne veulent pas voir ce qui s’est fait avant elles ou ce qui se fera après elles.

Si la régionalisation ne doit pas être le bouc émissaire des maux dont souffre notre école neuchâteloise, elle fait cependant davantage partie du problème que de la solution.

John Vuillaume

Dossier au format PDF

Publié le
mer 26/12/2018 - 18:36