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Avant l’examen du rapport par le Grand Conseil

Soumis par Stefan Lauper le 10 octobre 2012

Réforme de l’école secondaire. Il est impératif de donner de la consistance à ce projet, faute de quoi nous passerons à côté des intentions ambitieuses et généreuses qui ont présidé (ou auraient dû) à son élaboration.

Fermé pour rénovation — Les bons deviendront meilleurs. Et les autres?

Le Grand Conseil se penchera tout soudain sur le « Rapport d’information du Conseil d’État concernant un projet de rénovation des filières au cycle 3 1. »

Le modèle du DECS. 2 En 9e année, les élèves suivent les cours en commun sauf pour le français et les mathématiques, qui sont organisés en deux niveaux. Le niveau 1 correspond aux attentes 1 et 2 du PER 3, le niveau 2 aux attentes 3. 21 périodes sont suivies en commun et 12 périodes sont organisées en groupes de niveaux où les élèves proviennent de plusieurs classes. En 10e année, les élèves suivent 12 périodes en commun et 21 dans des cours à niveaux pour le français, les mathématiques, l’allemand, l’anglais et les sciences de la nature. En 11e année, les élèves suivent 10 périodes en commun, 16 périodes dans des cours à niveaux, 4 périodes de disciplines accentuées (français, mathématiques, anglais et allemand) et 4 périodes d’options (académiques ou professionnelles). La première version de ce rapport a donné lieu à une grande opération de consultation, à l’issue de laquelle le DECS a annoncé que l’anglais sera enseigné dans deux niveaux dès la 10e année; LCA 4 deviendra discipline obligatoire intégrée en français dès la 9e année; un modèle de suivi de l’élève par le maître de classe devra être défini; l’« accompagnement au changement » nécessitera des investissements (cours de formation) et dérogera donc au principe de la neutralité des coûts.

Le SAEN 5 continue quant à lui de « prôner une école sans filières et sans sélection à l’école obligatoire » et ce projet lui apparaît comme « un compromis entre école intégrative et sélective qui va dans le bon sens à condition que l’accompagnement du corps enseignant et le soutien aux enfants mis en difficulté à l’école soient à la hauteur du changement envisagé 6. » Mais les délégués des associations professionnelles ne sont venus « renforcer 7 » le groupe de travail qu’une fois que l’éventualité d’une école intégrée a été écartée.

Le groupe s’est borné à proposer de l’appui aux élèves en difficulté hors temps scolaire, ce qui fleure bon la pédagogie compensatoire des années 70, abandonnée par ailleurs dans (presque) toutes les régions civilisées du globe…

Selon le DECS, « la rénovation des filières au cycle 3 vise à renforcer les compétences de l’ensemble des élèves […]; favoriser l’intégration des élèves en difficulté […]; améliorer la motivation des élèves […]; améliorer la transition entre les cycles 2 et 3 […]; améliorer la transition entre la scolarité obligatoire et les formations subséquentes 8; valoriser les élèves de l’ensemble des sections, diminuer les redoublements […]; développer des équipes pédagogiques entre les enseignants 9. »

Nous partageons sans réserve le constat d’absurdité d’un maintien de filières étanches composées d’élèves dont les résultats montrent des « recouvrements » difficilement justifiables et de la perpétuation d’un système qui a fait depuis longtemps la démonstration de ses faiblesses. On ne peut évidemment que se réjouir de la suppression des filières, qui n’apportent de satisfaction qu’à ceux qui acceptent l’idée de trier les jeunes de 11 ans pour les placer dans des sections auxquelles ils seront assignés jusqu’à la fin de leur scolarité et qui détermineront très fortement la voie qu’ils emprunteront ensuite. Mais on se demande bien comment le modèle proposé pourra tenir ensemble toutes les promesses qu’il contient.

Tel qu’il est conçu, le projet devrait améliorer la transition entre le secondaire I et II, du moins pour les élèves orientés vers les maturités académique et professionnelle, puisque ceux-ci auront dû, pour y accéder, faire la preuve de leurs capacités par leurs performances scolaires (niveau 2). Cela résoudra pour un temps l’épineux problème du redoublement en fin de première année de lycée.

Mais qui se soucie des autres? De tous les autres? Les élèves en (moyenne ou grande) difficulté scolaire, peu à l’aise avec la culture scolaire dominante, à besoins éducatifs particuliers (étayés ou non par le diagnostic d’un spécialiste), traversant (ou ayant traversé) une période de perturbation personnelle ou familiale, etc. 10

Le projet de réforme tel qu’il se présente aujourd’hui, n’apporte hélas aucun élément concret pour garantir que le modèle choisi leur sera plus profitable (ou au moins pas plus néfaste) que le précédent. Pour ces élèves (plus de la moitié de la population solaire…) le système à niveaux/options n’apportera vraisemblablement pas les bénéfices attendus en termes d’« intégration », de « motivation », de « transition » ou de « renforcement des compétences ».

C’est pourquoi nous nous proposons d’exposer ci-après les doutes que nous inspire le rapport et, en toute modestie, les idées qui nous viennent pour tenter de l’améliorer…

Premièrement, l’éclatement du groupe-classe. Il est piquant d’entendre le chef du DECS vanter les mérites de l’hétérogénéité dans les cycles 1 et 2 afin de défendre un modèle de cycle 3 ma foi fort peu hétérogène, à bien y regarder! L’hétérogénéité ne pose, à sa connaissance, pas de problèmes majeurs à l’école primaire et il ne voit pas pourquoi il en irait différemment à l’école secondaire. En oubliant au passage une série de variables importantes : la crise développementale de l’adolescence, la dynamique de groupe, le rapport à l’autorité, la quantité bien plus grande de notions à assimiler durant le cycle 3, l’organisation du travail que nécessite le point précédent, la pression et l’inquiétude grandissantes des parents au moment de l’orientation vers des « formations subséquentes », etc.

Autre problématique : comment l’école peut-elle continuer à assumer valablement ses missions d’intégration sociale et d’éducation à la citoyenneté en rognant au fil des ans le temps passé dans un même groupe de pairs. « La finalité de l’école ce n’est pas l’“apprendre”, c’est l’“apprendre ensemble pour vivre ensemble”. L’école est un lieu où l’on apprend ensemble et où l’on apprend ensemble à vivre ensemble. Et la finalité des savoirs, c’est bien la capacité à insérer, pour la faire discuter, la culture d’appartenance du pays dans lequel ces savoirs sont enseignés et, au-delà, la culture universelle 11. » Sachant que « les établissements auront besoin d’un programme informatique performant pour mettre en place ce nouveau système (gestion des classes et des niveaux d’élèves) 12 », on comprend que complexité sera le deuxième prénom du nouveau système.

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Les meilleurs élèves n’auront probablement aucune peine à évoluer dans de multiples groupes de compositions différentes. Mais les autres? Nous pensons que c’est en limitant le nombre de disciplines à niveaux (voire en les supprimant) et en mettant en place des conditions-cadres favorables à la différenciation pédagogique que le système serait en mesure d’apporter les réponses les plus appropriées à chaque élève. À cet égard, si l’on voulait vraiment accorder plus d’importance à une discipline (par exemple, l’anglais) — à supposer que l’on considère essentiel que tous les élèves atteignent les compétences de base — il serait plus raisonnable de dédoubler les périodes et non d’installer un outil de sélection supplémentaire.

Deuxièmement, l’élaboration de « profils individualisés » et, plus généralement, la prétention à « individualiser l’enseignement ». Si ces concepts peuvent à première vue présenter un certain attrait, ils ont une proximité alarmante avec l’individualisme, cette attitude destructrice et habituellement décriée par quiconque s’engage pour la collectivité. Dès lors, comment ne pas voir que la promotion du « chacun pour soi » nous fait courir le risque d’un détournement de l’institution scolaire en un « service public de la réussite individuelle. » Prévoir la possibilité de fréquents changements de niveaux ouvre les portes de l’école aux pratiques de lobbying parental, exercées comme de bien entendu par les familles dont les rejetons ont le moins besoin d’aide…

Plutôt qu’une « école à la carte » pour les élèves performants, nous militons pour la différenciation dans des classes réellement hétérogènes. Pour que cette notion ne reste pas une coquille vide, mais qu’elle puisse s’inscrire dans les pratiques de l’institution, il faudra chercher à développer une culture commune au sein des établissements et des équipes pédagogiques, ce qui implique que des formations ciblées et consistantes soient proposées et que du temps professionnel (c’est-à-dire rémunéré…) soit consacré à la concertation et à la mise en place et au fonctionnement des dispositifs.

Sur un autre plan, on veillera à laisser aux équipes pédagogiques une large autonomie et une grande souplesse dans le choix des moyens d’enseignement, à l’opposé du contrôle tatillon que le DECS a souvent privilégié. Ce qui peut ressembler à des « scories » pour des responsables administratifs avides d’uniformité dans le paysage des moyens d’enseignement, peut au contraire témoigner de l’inventivité des professionnels du terrain et de l’irréductibilité de la relation pédagogique à une base de données officielle, fût-elle publiée online.

Troisièmement, la volonté affichée de mettre les structures de l’école en conformité avec les attentes du monde du travail. L’intention de « valoriser les élèves de l’ensemble des sections13 » est louable et la possibilité pour l’élève de rejoindre des groupes à plus fortes exigences probablement motivantes pour certains. Il n’en reste pas moins que l’élaboration de 32 profils individuels nous paraît vouée à se trouver rapidement simplifiée et traduite en une grille plus simple et plus claire, par exemple en 4 couches de 8 profils, les premières couches correspondant aux meilleurs candidats, les dernières menant aux « solutions transitoires » ou vers les parcours chaotiques déjà courants aujourd’hui. Les profils des sujets des « couches profondes » risquent de les écarter du « marché » des futurs étudiants et apprentis et ils resteront probablement sur le carreau. Pourrons-nous alors les regarder en face? D’ailleurs, le « maintien des classes de l’enseignement spécialisé [étant] préconisé dès la 9e année », il se pourrait même que des élèves terminent leur scolarité sans profil du tout.

Nous aurions aimé découvrir un modèle qui prenne au sérieux les difficultés d’insertion de certains élèves. Par exemple en proposant un accompagnement personnalisé d’un projet professionnel, par le biais de la définition d’objectifs de formation en lien avec des débouchés réalistes ainsi qu’un encadrement adéquat. De ce point de vue, les 4 périodes d’« options professionnelles » prévues au degré 11 apparaissent davantage comme un alibi qu’une mesure susceptible d’atteindre cet objectif. Par contre, la mise en place de directions d’écoles responsables du suivi de chaque élève durant l’ensemble de sa scolarité, ainsi que la professionnalisation des cadres de direction semble un levier intéressant pour répondre à ces préoccupations, pour autant que l’autonomie des établissements soit respectée et que, dans chaque cercle, la coordination et la (re)connaissance entre les intervenants de différents horizons professionnels soient assurées.

Quatrièmement, la répartition en groupes de niveaux et les contraintes organisationnelles entraîneront de facto que des quotas seront fixés a priori pour l’orientation des élèves dans les niveaux14. Un système qui accepte des décisions d’orientation pour motif de gestion d’effectifs ne peut certes pas recevoir un label d’équité… Là aussi, l’école intégrée serait bien plus juste -et probablement tout aussi efficace, même si ce dernier point n’a pas été étudié par le groupe de travail. Pour rappel, ce point posait problème durant l’année d’orientation (8e) et ne serait que reporté (voire étalé dans la durée) si le projet n’est pas retouché.

Cinquièmement, la « stratégie d’implémentation » du projet et notamment les moyens qui seront consacrés (ou non, en fait, plutôt non…) à sa mise en œuvre. L’on sait déjà qu’il s’agit de la principale pierre d’achoppement pour les opposants déclarés. Le chef du DECS se plaît à dire que ces derniers n’ont su lui communiquer aucun besoin concret et qu’il reste à l’écoute. Il faut reconnaître qu’un certain nombre d’enseignants ne veut simplement pas changer de système. Et on dit en effet qu’à défaut d’avoir une bonne raison de refuser quelque chose, on trouve généralement une bonne excuse : le manque de moyens… Mais il y a un risque majeur à entrer dans une réforme de cette ampleur en se contentant d’annoncer qu’« on va avec ce qu’on a et qu’on verra ensuite en fonction des demandes. » Sans aller jusqu’à voir dans cette déclaration une incitation à faire dysfonctionner le système pour espérer obtenir « quelque chose », nous sommes convaincus qu’il faudra investir massivement (du temps, de l’argent, de l’énergie, de la conviction, de l’écoute, …) dans la mise en place de nouvelles structures — pour éviter des coûts encore plus importants par la suite. Prétendre le contraire, c’est avouer que la réussite du projet importe finalement assez peu.

Finalement, le DECS réforme l’école secondaire; il développe également un concept cantonal de pédagogie spécialisée. L’occasion est belle d’élaborer une vision globale de l’école publique pour dégager les moyens nécessaires à la réussite des adaptations de l’institution scolaire, en avançant simultanément dans ces deux dossiers en partenariat avec les principaux acteurs. Certains « moyens » réclamés pour la réforme du cycle 3 pourraient être débloqués au titre de l’application du concordat sur la pédagogie spécialisée. D’un autre côté, il serait dommage de mettre en place un système aujourd’hui, dont on s’apercevrait d’ici peu qu’il recèle de nombreux obstacles pour progresser vers école inclusive. Mesurons les efforts investis/demandés à l’aune de l’école d’après-demain et peut-être trouverons-nous les solutions auxquelles nous n’avons pas pensé pour l’école de demain.

En bref. Le rapport soumis au Grand Conseil manque d’ambition. Il ne fait pas la promotion d’une école pour tous, mais apporte quelques ajustements utiles et bienvenus pour une partie de la population scolaire. Par contre, on peut douter que les élèves les moins scolaires tirent profit de cette réforme. À moins que…

Stefan Lauper

Article complet au format PDF

Article à paraître dans les numéros 9 et 10 de L’Éducateur


2 Département de l’éducation, de la culture et des sports

3 Plan d’études romand

4 Langues et cultures de l’Antiquité

5 Syndicat autonome des enseignants neuchâtelois

6 Réponse à la consultation

7 Rapport, p. 8

8 Rapport, p. 9

9 Rapport, pp. 1-2

10 Toutes ces caractéristiques pouvant être cumulées…

11 Michel Develay, A propos des savoirs scolaires In : VEI Enjeux N° 123, décembre 2000.

12 Rapport, p. 14

13 Rapport, p. 1

14 Rapport, p. 14

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