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BURN OUT - «Ça cause beaucoup de dégâts»

Soumis par SAEN le 21 septembre 2016
L’enquête neuchâteloise sur les burn out des enseignants sera suivie d’une enquête romande. (Keystone)

Le corps enseignant neuchâtelois se fatigue. Témoignages.

«Quand j’ai commencé comme enseignante, je faisais énormément d’activités en dehors de l’école. Progressivement, j’ai réduit pour n’en garder qu’une seule. Tous les soirs, en rentrant du travail, je pleurais. Mon copain me récupérait à la petite cuillère. Un soir, alors que je ressassais comme d’habitude les tâches à faire absolument, c’est lui qui a dit ‘stop’. Il m’a fait faire la liste de tout ce qui n’allait pas. Le lendemain, je l’ai tendue au directeur sans pouvoir dire un mot. Un burn out, ça cause beaucoup de dégâts... Deux ans ont passé et je ne suis pas encore totalement remise.»

Simone (prénom fictif) a aujourd’hui 30 ans. Elle est toujours enseignante. Elle a été à l’arrêt total pendant plus de trois mois. Puis elle a repris le travail à 50%, dans un premier temps. «Pour moi, enseigner est une vocation. Je suis la seule de la famille. C’était une passion. Aujourd’hui, je vois les choses avec plus de détachement. C’est un travail. C’est moi qui dis à ma jeune collègue qu’on ne peut pas aller plus vite que les élèves. J’ai aussi appris à dire ‘non’. A m’écouter. Mais il y a encore des soirs où je dois me faire violence pour laisser le travail de côté.»

Simone est tombée sur une classe difficile du cycle 3. Une «super équipe» qui s’est transformée en cauchemar «à cause de quelques éléments perturbateurs», des jeunes qui faute d’apprentissage ont prolongé d’un an leur bail sur les bancs d’école. «Ils fumaient de la marijuana et arrivaient dans un état léthargique en classe. Ils étaient démotivés et ont ‘contaminé’ une bonne partie du groupe. Les problèmes de comportement ont suivi. J’avais parfois le sentiment de me préoccuper plus de l’avenir de ces élèves que leurs propres parents! Je ne savais plus quoi faire...»

L’environnement scolaire n’a pas aidé. Notamment un collègue «jamais présent. Les problèmes commençaient le lundi matin, dès mon arrivée à la salle des maîtres. Mes collègues me disaient sans arrêt ‘tes élèves ont fait ci ou ça’. Personne pour m’épauler. Je crois qu’eux aussi étaient débordés.»

Changement de collège

Quand Simone n’a plus pu se débarrasser de sa boule au ventre, elle a fini par demander de l’aide. Mais le conseiller socio-éducatif «était lui aussi très sollicité. On m’a fait faire des dossiers sur les cas qui posaient problème. Du temps que je prenais sur la préparation des leçons... Je ne me suis pas sentie très soutenue par la hiérarchie. Mais tout a changé le jour où j’ai été en burnout. Tout le monde était tellement surpris...»

C’est que Simone était toujours souriante. Toujours au taquet. «Je critiquais ceux qui n’étaient pas toujours à 200%. Mais aujourd’hui, je me dis que c’est eux qui avaient tout compris.» Simone a pris un nouveau départ. Elle enseigne à des plus petits. Quand elle a eu l’occasion de changer de collège et de localité, elle n’a pas hésité à la saisir.

Epuisement romand

Président du Syndicat des enseignants romands, le Jurassien Samuel Rohrbach constate que le phénomène de l’épuisement professionnel en milieu scolaire touche tous les cantons romands. «Nous sommes sur le point de lancer une enquête. Nous en dévoilerons les résultats dans un an, lors de la Journée suisse de l’éducation. Les politiques ne pourront plus nous dire qu’ils n’ont pas de données objectives pour justifier l’absence de prises de décisions.»

Qu’est-ce que le CAPPES?

Le Centre d’accompagnement et de prévention pour les professionnels des établissements scolaires (Cappes) est au service des écoles et des enseignants. Il dépend du secrétariat général du Département cantonal de l’éducation et de la famille, et comprend une équipe de six personnes. Il se préoccupe «de la qualité de vie, du vivre-ensemble, d’améliorer les relations et le climat scolaire, de prévenir la violence, ainsi que de gérer des situations difficiles ou critiques.» Un service qui garantit la confidentialité.

«C’est toute la société qui a changé»

Un couple d’enseignants en ville, elle à l’école enfantine (aujourd’hui cycle 1), lui à l’école primaire (cycle 2). Tous deux ont pris une retraite anticipée. Sandrine (prénom fictif) a été maîtresse de classe puis directrice avant de revenir à l’enseignement: «Passionnant du début à la fin.» Jean (prénom fictif) est toujours resté au pupitre. Pour lui, les dernières années ont été pénibles. «Le plus dur, ça a été la confrontation avec des milieux sociaux vraiment compliqués. Gros problèmes éducatifs, prostitution, drogue... Un ou deux individus qui systématiquement sabordent les leçons. ça touche au plus profond, ça démolit. Mais j’ai pu compter sur un service socio-éducatif très performant qui a su être à l’écoute et transmettre les problèmes au sous-directeur», confie Jean.

«Des phrases comme ‘Je ne ferai pas ça toute ma vie’, on ne les entendait pas avant. Dans les collèges, on l’a senti, il y a un épuisement, et ça nous touche», confie Sandrine.

Le couple s’est investi dans la dynamique scolaire. Son expérience lui permet aussi d’afficher du recul. «C’est toute la société qui a changé: la mobilité, les deux parents qui travaillent, les écoliers qui transportent leurs problèmes toute la journée de l’école au parascolaire. Les enfants sont comme déracinés de leur quartier. Le nombre d’élèves de nationalités fort diverses a pris l’ascenseur et la communication avec les parents est de plus en plus complexe. Il y a des élèves en surpoids et d’autres sont des sportifs surentraînés: ce n’est qu’un exemple, mais l’empan entre les uns et les autres a augmenté. Le réseau professionnel qui gravite autour de l’école s’est étoffé, les séances hors école se multiplient. La charge administrative est plus lourde, les mails, etc. Et puis, le statut de l’enseignant a changé.» Petite note nostalgique en plus: «Aujourd’hui, on ne supporte plus le risque. Une simple sortie dans la neige l’hiver devient une expédition, il faut être diplômé en tout...»

D’autres éléments sont directement liés au métier, voire aux finances publiques neuchâteloises: «Il faut reconnaître que c’est une profession pas facilement recyclable, avec relativement peu de perspectives. Et les réformes scolaires se succèdent à un rythme effréné. Il y a aussi un manque de soutien dans l’intégration des élèves en grandes difficultés comportementales, bref il y a des lacunes...»

«Je voulais tout arrêter d’un coup»

Eva (prénom fictif) a 30 ans. Maîtresse d’école enfantine (aujourd’hui, on parle de cycle 1) en ville, elle a su demander de l’aide à temps pour éviter la «sortie». Elle a aussi eu le courage de se réorienter, et aujourd’hui elle est active dans le soutien pédagogique. «En cinq ans, j’ai vécu passablement de réformes. J’ai aussi le sentiment que les journées des enfants sont devenues longues, si on compte le parascolaire. On ne leur laisse plus le temps, ils sont stressés. Comme maîtresse d’école, je ne pensais pas être confrontée à des situations familiales aussi lourdes. Et j’ai eu un jour un élève hyperactif qui m’a amenée à me questionner passablement: soit je l’aidais, soit je gérais le groupe. Je me suis sentie comme coupée en deux, je n’étais jamais satisfaite de moi. Vers la fin de l’année scolaire, j’allais au travail la boule au ventre, chaque matin je comptais les jours restants en enlevant un post-it.»

Eva a frappé à la porte du Centre d’accompagnement et de prévention pour les professionnels des établissements scolaires (Cappes), où l’enseignant peut bénéficier d’un accompagnement et d’une écoute selon sa demande. «Je voulais tout arrêter d’un coup. Mon échange avec la psychothérapeute m’a convaincu de prendre le temps de changer de voie. Ce que j’aime, c’est aider les autres.» Cette conviction a permis à Eva de faire une dernière année, «pour dire au revoir au métier à ma façon». Comme aucune place de travail dans le soutien scolaire n’était disponible, Eva a démissionné. Mais c’est elle qui a été choisie quand un poste s’est créé pour les degrés 1 à 4 Harmos: «Je suis reconnaissante aux personnes qui m’ont choisie.» La jeune femme s’est formée en cours d’emploi en art-thérapie, une voie qui l’avait toujours attirée: «J’ai découvert de nouveaux outils très utiles. Aujourd’hui, j’ai trouvé ma place. Et j’ai l’expérience pour aider au mieux en classe, par exemple quand un élève fait une crise.»

Eva intervient à la demande de l’enseignant, pour suivre, sur des mois voire des années, un écolier qui rencontre des difficultés. «Il arrive quelques fois qu’on soit trois adultes présents en classe, dont deux pour du soutien individualisé. ça complique l’organisation de l’enseignant principal. Il faut donc se poser la question de savoir jusqu’où ça a du sens. D’autre part, la volonté d’intégrer les enfants issus des institutions spécialisées permet à l’Etat de faire des économies, mais n’épargne pas le corps enseignant. Je suis pleine d’estime pour le travail qu’effectuent mes collègues, car je sais bien comme ce métier est beau mais aussi parfois difficile.»

Contexte

Réformes scolaires, finances publiques dans le rouge et bouleversements sociétaux: une partie du corps enseignant neuchâtelois souffre, comme d’autres, d’épuisement professionnel. En attendant les conclusions d’une enquête lancée par le Département de l’éducation et de la famille, voici trois témoignages anonymes autour du burn out.

Par Vincent Costet

Source (PDF)

Publié le
mer 20/03/2019 - 22:01
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