Pour l’école neuchâteloise, voici venu le temps de l’évaluation assistée par ordinateur!
Une espèce de logorrhée jargonaphasique indigeste, contre-productive à une vraie communication avec les parents. Le tout, sur feuilles «volantes» dès lors que le bulletin scolaire est révolu. Désormais, sous prétexte d’objectivité, on muselle les enseignants devant leurs ordinateurs, contraints de cliquer sur des menus déroulants aux énoncés barbares… De la pensée unique et simplifiante, on en est arrivé à la pensée mutilante!
On connaissait l’ésotérisme des juristes, la nébulosité des ordonnances médicales, l’opacité des conditions générales d’assurances et l’hostilité des modes d’emploi de meubles nordiques. Voici le verbiage du monde de la pédagogie, que Philippe Meirieu dénonçait ainsi: «Les pédagogues ont besoin de leur langage spécialisé, comme les médecins ou les avocats. L’erreur est de l’utiliser avec les parents. Ce vocabulaire pollue les échanges avec ces derniers!»
Depuis les années 1970, le canton de Neuchâtel fait figure de pionnier en matière d’évaluation du travail des élèves. Suppression des notes et des examens, abandon de la moyenne arithmétique, telles ont été les premières modalités, symboles d’une pédagogie centrée sur les apprentissages des élèves. Ainsi, l’école primaire est passée d’une évaluation sommative et à un système formatif incarné par une pédagogie active et individualisée, en concertation avec un corps enseignant en phase avec le propos d’Aristote: «Il n’est pire injustice que de vouloir traiter de manière égale des enfants inégaux!». Depuis, l’école neuchâteloise, pour les deux premiers cycles, n’a eu de cesse de permettre à ce système d’évaluation d’évoluer, en adéquation avec les pratiques et avec la ferme volonté de se rapprocher des parents… Et cela, pour les deux premiers degrés de la scolarité obligatoire également, autre incontestable évolution. Or, aujourd’hui, sous prétexte de «calibrer» les modalités d’évaluation sur la «table des lois» d’un Plan d’études romand obèse et abscons, le corps enseignant est contraint d’user d’un jargon incompréhensible pour expliquer à des parents médusés si leurs enfants progressent normalement ou pas.
Était-ce mieux avant? Question vaine pour dîner d’aïeux, car rien de sert juger les lubies du temps et de verser dans la nostalgie. L’académicien Bertrand Poirot-Delpech traduit ce syndrome ainsi: «On est passé de l’apprentissage-huile de foie de morue à la transmission-récréation, du noir blanc au fluo, des humanités sues par cœur au zapping, de l’encre violette à l’effaceur, de la mémoire à l’oubli de rigueur, de la vertu à l’efficacité…» Aujourd’hui, la colère gronde chez les enseignants. Le carcan dans lequel, par défiance et irrespect, on les cloisonne fâche.
Jusqu’ici, le carnet scolaire – document officiel aux armoiries de la République et canton de Neuchâtel – reflétait la réalité scolaire de l’enfant, ses acquisitions, ses aptitudes, ses progrès, ses difficultés… Toutes ces observations teintées au filtre de son histoire de vie et, surtout, imbibées d’objectivité. Le carnet se rédigeait à la main, d’une belle plume et d’une calligraphie soignée. Il dressait un portrait aussi exact que possible, déclenchant ainsi dialogues et collaborations à même de favoriser l’évolution de l’enfant.
Désireuse d’asseoir son autorité de plus en plus maigre, l’autorité cantonale a choisi d’aller au-delà de ce que le corps enseignant était prêt à consentir. Plutôt que gaspiller temps et énergie à une réforme mal fagotée, pourquoi ne pas faire évoluer, par souci de cohérence, le système d’évaluation du cycle 3, là où notes et moyennes continuent de sévir, au grand dam d’enfants cabossés par leurs difficultés scolaires?
Quant à savoir si c’était mieux avant, faisons le choix de croire que ce sera mieux demain, en ancrant les prochaines réformes dans la réalité du monde, avec ce zeste d’utopie incarnant un projet d’école, respectivement, un projet de société!
CLAUDE-ALAIN KLEINER, PÉDAGOGUE, MÔTIERS