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Des chiffres confirment l'épuisement professionnel des enseignants

Soumis par SAEN le 4 octobre 2014
En dix ans, le coût des remplacements des enseignants est passé de 5 millions de francs par année à 6,8 millions. KEYSTONE

Les congés maladie sont en augmentation constante.

Depuis de nombreuses années, les enseignants neuchâtelois - ceux de l'école obligatoire en particulier - dénoncent une pression toujours plus forte sur leur profession. Vrai? Faux? C'est vrai si l'on s'en réfère à une étude dont les résultats sont tombés au mois d'août: entre 2003 et 2013, le coût des absences des enseignants pour raisons de santé a augmenté de 46%. On parvient même à 79% si on rapporte ce coût au nombre d'enseignants affiliés à la caisse cantonale de remplacement.

Ces chiffres sont tirés d'une étude menée par l'Institut universitaire romand de santé au travail, sur mandat du comité de la caisse de remplacement: il voulait en savoir plus sur l'augmentation constante des coûts, dont la très grande majorité est liée à des absences pour cause de maladie (voir les chiffres ci-dessous).

Quels enseignants sont les plus touchés? Les hommes ou les femmes? Ceux qui officient au sein de l'école obligatoire ou les autres enseignants? Ceux qui travaillent à temps complet ou ceux qui sont à temps partiel? Les jeunes ou les anciens?

Il y a quelque chose...

Vice-président du comité de la caisse de remplacement, Thierry Christ donne le verdict: "Les enseignants les plus exposés aux congés maladie sont les femmes de plus de 50 ans qui travaillent à temps partiel au sein de l'école obligatoire."

Au-delà de ce constat statistique, celui qui est aussi secrétaire général adjoint du Département cantonal de l'éducation fait le commentaire suivant: "Il s'est clairement passé quelque chose durant ces dix dernières années dans le domaine de la santé au travail, ce qui justifie que les employeurs et les représentants des enseignants s'en préoccupent. Quand une hausse dans le domaine de la santé se monte à près de 80%, un employeur se doit d'agir."

Les employeurs, en l'occurrence, ce sont le canton et les communes. Mais agir sur quoi? L'étude menée s'en tient à des constats chiffrés. Il n'y a pas eu d'enquête qualitative, et cela d'autant moins que les causes de maladie sont couvertes par le secret médical. "Les discussions menées entre les différents partenaires montrent que tout le monde part de l'idée suivante: la hausse des coûts est principalement liée au stress, à des burn-out, à de l'épuisement professionnel. C'est sur ce point que nous devons tous agir."

"Dégradation permanente"

A partir de là, les choses se compliquent. Aux yeux des syndicats d'enseignants, les conditions de travail sont clairement responsables de cette situation. D'où les arguments développés dans une motion populaire qui sera adressée au Grand Conseil (lire ci-dessous). "Nous avons assisté à une dégradation permanente de nos conditions de travail: effectifs plus lourds, multiplication des cas d'intégration d'élèves qui ont des besoins éducatifs particuliers, accroissement des exigences administratives, etc., tout cela sans moyens supplémentaires" , dénonce Pierre Graber, président du Syndicat autonome des enseignants neuchâtelois. Il mentionne également "les attentes toujours plus fortes des parents et un manque de reconnaissance par la société et les autorités politiques" .

La lutte contre l'épuisement doit-elle être menée grâce à des rémunérations plus conséquentes et une diminution du nombre de périodes par semaine? "Les syndicats sont dans leur rôle" , répond Thierry Christ. "Mais les salaires et la charge de travail ne sont de loin pas les seuls facteurs à prendre en compte. Les causes d'épuisement sont multiples. D'ailleurs, les enseignants qui ont connu une hausse du nombre de périodes, soit ceux des lycées, sont en quelque sorte à l'opposé du type d'enseignants les plus touchés par les congés maladie."

Le Département cantonal de l'éducation (que dirige Monika Maire-Hefti, présidente du comité de la caisse de remplacement) "proposera des pistes lors de la prochaine séance du comité, en novembre. Il s'agit d'un côté de renforcer ce qui existe déjà, et de l'autre de mener des actions de proximité, dans les centres scolaires."

Renforcer ce qui existe déjà, c'est en particulier voir ce qui peut être fait au niveau du Cappes, le Centre d'accompagnement et de prévention pour les professionnels des établissements scolaires. La petite équipe qui travaille dans cette institution cantonale a en effet pour tâche, entre autres, de soutenir et de conseiller les enseignants qui sont victimes de surmenage ou qui vivent une situation critique.

COMMENT ÇA MARCHE ET COMBIEN ÇA COUTE?

ASSURANCE La Caisse cantonale de remplacement des enseignants prend en charge les frais de remplacement - en cas de maladie, accident ou congé maternité - des enseignants de l'école obligatoire, des lycées, des écoles professionnelles, du Conservatoire de musique ou encore de l'Université. Au total, environ 4000 personnes sont assurées (2600 équivalents plein-temps).

ROLE La Caisse de remplacement a pour tâche d'assurer le salaire des enseignants en cas d'absence, de rétribuer les remplaçants, de contrôler les certificats médicaux, enfin d'encaisser les cotisations des enseignants et des employeurs. Le fonds de la caisse est géré par l'Etat de Neuchâtel.

HAUSSE Les coûts pour l'année 2013 ont augmenté de 15% par rapport à ceux de l'année précédente. Résultat: les comptes 2013 affichent un déficit de 1,1 million de francs (sur un total de 6,8 millions de charges). La fortune de la caisse, qui s'élevait à 0,7 million à fin 2012, est passée à un découvert de 0,4 million.

COTISATIONS En novembre 2013, le comité de la caisse, qui réunit toutes les parties, a décidé à l'unanimité d'augmenter les cotisations mensuelles, qui sont passées de 0,50 à 0,56 % du salaire pour les employés, et de 1,0 à 1,12 % pour les employeurs. Les cotisations représentent 68 % des revenus de la caisse. Autre source de recettes: les indemnités perçues dans le cadre de l'assurance accidents et des allocations de maternité.

MALADIE En dix ans, le coût des remplacements est passé de 5 millions de francs par année à 6,8 millions. Ces remplacements sont liés principalement à la maladie, à raison de 90% des jours d'absence en 2013 (6% pour les accidents, 4% pour les congés maternité). Le nombre de cas de remplacement pour cause de maladie est en augmentation constante, en particulier les maladies de longue durée.

Après la justice, le Grand Conseil sera saisi

"Quel avenir pour la caisse de remplacement?" C'est le titre de la motion populaire qui sera adressée au Grand Conseil par le Syndicat autonome des enseignants neuchâtelois (SAEN) et le Syndicat des services publics (SSP). Les signatures sont en cours de récolte.

Cette motion a pour but de modifier la loi cantonale sur la Caisse de remplacement des enseignants. Plus particulièrement, elle vise à "libérer le corps enseignant de son obligation de participer à l'alimentation de la caisse". Et à "prendre toutes les mesures utiles pour préserver la santé physique et psychique du personnel enseignant comme l'exige la loi fédérale sur le travail" (soit dit en passant, cette double demande posera peut-être un problème d'unité de matière).

Comme les autres fonctionnaires

Dans la motivation qui accompagne la motion, on lit que "le canton Neuchâtel est le seul à exiger de son personnel enseignant qu'il participe au paiement des remplacements en cas de maladie ou d'accident." Président du SAEN, Pierre Graber précise: "Il appartient aux employeurs, et à seuls, de prendre en charge des frais liés au bon fonctionnement d'un service éminemment public. Quand un sapeur-pompier, une infirmière ou un policier est malade, ils sont aussi remplacés, non?"

Le système est légal

Selon les syndicats, "la situation financière de la caisse est fragilisée par la dégradation de la santé du corps enseignant. Si bien que les cotisations augmentent régulièrement". Ils indiquent encore que "non seulement les enseignants souffrent dans leur santé, mais ils voient encore leur salaire diminuer continuellement du fait de la hausse des cotisations de la caisse. Ce mécanisme est-il digne d'un employeur respectueux de son personnel?"

Avec cette motion populaire, les syndicats utilisent la voie politique pour mettre fin à un système - instauré il y a plus de cinquante ans - qu'ils estiment injuste. Mais il n'est en tout cas pas illégal: en janvier dernier, le Tribunal cantonal a débouté deux enseignants qui avaient contesté l'obligation de cotiser à la caisse de remplacement. Ils avaient basé leur recours, notamment, sur deux supposées inégalités de traitement: inégalité avec les enseignants des autres cantons d'une part, inégalité avec les autres employés de l'Etat d'autre part.

Dans son jugement, le Tribunal cantonal considère que l'obligation d'affiliation des enseignants à la caisse de remplacement "n'est pas contraire au droit fédéral, ni au droit cantonal" . La différence avec les autres cantons? "Le principe de l'égalité de traitement n'exige pas que dans les différents cantons une même réponse soit donnée à des états de fait semblables ou identiques."

Un statut différent

Sur le second point, le tribunal estime que "le financement partiel de la caisse par les enseignants, à raison de 0,5% (réd: à l'époque) de leur salaire, n'est pas contraire au principe de l'égalité de traitement dans la fonction publique, compte tenu du statut particulier de ce personnel" . Le tribunal ajoute: "Le statut d'un enseignant absent n'est pas le même que celui d'un fonctionnaire absent. Il existe (...) de nettes différences objectives de traitement qui doivent être prises en compte."

Par PASCAL HOFER

Source / PDF

Publié le
mar 29/01/2019 - 10:21
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