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Drôle de genre

Soumis par SAEN le 28 juin 2009

Je viens de terminer la correction d'un certain nombre de dossiers sur l'orthographe, rédigés par des étudiants arrivés au terme de leur premier cycle universitaire. Dans un nombre non négligeable de ces travaux, orthographe est au masculin. L'erreur est trop récurrente pour qu'il s'agisse d'une faute de frappe.

Un petit tour sur la Toile confirme la régularité de cet usage, parfois même dans une offre d'emploi ! (« Word et Excel sont indispensables ainsi qu'une grammaire et un orthographe irréprochables »). Il semble donc qu'on peut ajouter orthographe à la liste des mots dont le genre n'est pas très marqué, style caramel, élastique, entracte, ananas, après-midi... Dans les dictionnaires pourtant, orthographe a toujours été recensé comme un substantif féminin, même si le masculin est régulièrement attesté depuis le XVe siècle.

Mais qu'est-ce qui peut pousser les locuteurs à parler d'« un orthographe correct », alors que le mot est très fréquent et que l'écrasante majorité de ses attestations est au féminin? Je vois plusieurs pistes d'explication. La première est l'attractivité exercée par la liste des mots en -graphe, qui sont en général au masculin (autographe, télégraphe, cinématographe, homographe, olographe...). La seconde tient aux caractéristiques des déterminants mon/ton/son, qui effacent la distinction masculin-féminin lorsqu'ils apparaissent devant des mots commençant par une voyelle (ton auto ; ton arbre). Et comme on entend souvent dire : « son orthographe est irréprochable » ou  « mon orthographe est déplorable », etc. cela peut éventuellement entretenir cette confusion du genre.

Il y a peut-être aussi une raison plus psychanalytique (de comptoir, mais quand même). L'orthographe en tant que norme ne représente-t-elle pas la loi du Père, celle que l'individu et la communauté doivent intérioriser ? Le côté « loi du Père » appelle peut-être inconsciemment l'emploi du masculin.

Marinette Matthey

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