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Ecole: bienvenue chez les copieurs

Soumis par SAEN le 6 avril 2010

Citer, s'inspirer... Le plagiat a toujours fait partie intégrante de l'éducation à la littérature. Mais pour le professeur et blogueur Jean-Paul Brighelli, Internet a intensifié cette pratique.

Ma devise favorite est une formule de Valéry : « Rien de plus soi que de se nourrir d'autrui. Le lion est fait de mouton assimilé. » Juste derrière, ma seule certitude sur la littérature : « Le plagiat est la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui d'ailleurs est inconnue » (Giraudoux).

Autant dire que l'une de mes bibles critiques est le Palimpsestes de Gérard Genette, qui analyse en détail tous les niveaux du sous-texte, depuis la copie (qui n'est jamais l'original, aussi pure soit-elle, Borgès a écrit des choses définitives sur le sujet) jusqu'à l'allusion lointaine, l'écho amorti des mots des autres, en passant par tous les plagiats possibles... Bref, je ne suis pas hostile, loin de là, à ce que les élèves usent, pour leurs travaux scolaires, des ressources des bibliothèques - à commencer par la bibliothèque immatérielle de la Toile. Qu'ils citent ou s‘inspirent. Qu'ils démarquent, même, à la rigueur...

C'est ce que l'on appelait, depuis des lustres, un travail personnel (1)...

Sauf que...

Le Net, c'est la triche à portée de main. Tous les profs (et à tous les niveaux : il y a de plus en plus de « rédacs », en collège, qui arrivent naïvement immaculées, parfaites de la première à la dernière ligne) lisent des copies où ils sentent, en gros ou en détail, qu'il ne s'agit en rien d'un travail personnel (voir plus haut...). Les dissertations sont, de plus en plus, un montage de paragraphes piqués dans les innombrables sites, payants ou non, où se trouvent les corrigés de tous les sujets possibles, recensés par genres - quand on ne trouve pas exactement son sujet, on fait dans l'à-peu-près, c'en est divertissant, parfois. D'ailleurs, un enseignant un tant soit peu éveillé doit d'abord soumettre son sujet au Net, avant de le donner aux élèves - de même qu'il peut chercher, en soumettant quelques phrases de la copie suspecte à son moteur de recherche préféré, d'où l'élève paresseux a tiré sa copie - ou tel fragment d'icelle.

Le plus stupéfiant, c'est le culot des élèves. Non seulement ils nient (c'est de bonne guerre, nous l'avons tous fait, quand nous piquions au Gaffiot tel fragment de latin opportunément traduit), mais en amont, ils n'hésitent pas à piquer - le Net a mis la malhonnêteté à portée de souris, et la tentation est trop forte, dans une civilisation (et, pour certains, une Ecole) du moindre effort. À piquer des pages entières. Des textes entiers. Des devoirs tout faits.

Le correcteur hésite. Il a très envie de mettre zéro - mais neuf fois sur dix, à moins de se lancer dans une recherche au long cours, il n'a pas la preuve du forfait. Il accuse, mais aussi sec, les parents courroucés, éventuellement complices, débarquent bardés d'avocats. Alors, l'enseignant accablé hausse les épaules (c'est le tic physique le plus fréquent, en ce moment, en milieu scolaire), et note la copie de... l'un de ses collègues, probablement.

Oui - pourquoi se fatiguer ? se demandent les élèves... Les mathématiciens s'étaient heurtés au même problème il y a une trentaine d'années, quand ont débarqué les calculatrices - et ils ont changé leur fusil d'épaule, échangeant une exigence de résultat contre une esthétique du raisonnement. Mais en Lettres, que demander exactement ?

La solution la plus simple - ne plus donner de devoirs à la maison, et tout faire en classe - ne tient pas : n'importe quel portable relié à Internet apportera en temps réel les solutions désirées.

Peut-être faut-il partir de l'évolution des technologies, et partir du principe qu'ils ont accès au Net (pas tous, d'ailleurs : l'Ecole à deux vitesses est là aussi). Et leur demander des travaux de synthèse qui les fassent transpirer - sur la Toile.

NB : M6 cherche en ce moment des enseignants capables de témoigner, pièces en main, de cette tendance moderne à la triche informatisée. La chaîne voudrait leur témoignage pour une émission à enregistrer dans la première semaine d'avril. Si vous avez envie de briller sur les ondes, passez un coup de fil à Emmanuelle Ménage, 06 78 59 95 11. Vite !

(1) Cécile Ladjali (voir entre autres Eloge de la transmission et Mauvaise langue) et quelques autres ont suffisamment démontré qu'un travail personnel n'émerge pas tout armé de la cervelle du génial élève, mais qu'il est le fruit d'une longue fréquentation des travaux et des textes des autres. D'une humilité, d'une servitude volontaire. Leur dire autre chose est l'une des escroqueries, parmi tant d'autres, du pédagogisme.

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