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Éveil douloureux

Soumis par Brigitte Hofmann le 14 juin 2017

La fin de l’année scolaire arrive et revoilà la saison des carnets. PER à la main, je compare les performances de chaque élève aux objectifs de fin cycle, j’essaie de savoir si on est sur la bonne voie, si d’ici une année mes collègues pourront leur donner la carte d’embarquement pour le cycle 3 ou si c’est le dernier moment pour tirer la sonnette d’alarme.

Français, Maths, Allemand… Je commence à me sentir moins confortable. Certes, Blanche n’obtient pas d’excellents résultats, loin de là, malgré sa bonne volonté et ses efforts. Est-ce que je vais vraiment la motiver en lui mettant une mauvaise appréciation? Soit. C’est une branche importante pour la suite de la scolarité et pour l’orientation de sa vie professionnelle, je me résous à lui mettre cette insuffisance, la boule au ventre.

Bertrand. Français, Maths, Allemand. Ouf, ça roule. Musique… Voilà une autre chanson. C’est un bourdon, ça ne se soigne pas! Et puis il est extrêmement timide. Inventer un rythme, c’est mission impossible! Il n’est pas comme Emmanuelle qui fait du théâtre, joue de la flûte traversière et accompagne ses parents aux Jardins musicaux. Mais que suis-je en train de juger finalement? Les codes de Bertrand et d’Emmanuelle sont-ils le reflet de leurs progrès accomplis durant la leçon hebdomadaire de musique ou de l’environnement musical de la famille?

Colin. Jusqu’à la rubrique «Education physique», tout va bien. Mais Colin est en surpoids. Grimper jusqu’à notre classe au troisième étage est pour lui un défi quotidien. Il s’est investi à fond dans l’activité «gymnastique au sol» et a été très fier de présenter son programme aux camarades qui l’ont applaudi, réalisant bien que les figures élémentaires présentées lui ont demandé un travail bien plus conséquent que celui fourni par Gilles, qui vit par et pour le sport.

Tiens, de vieux souvenirs de camp de ski remontent à la surface. Chétive enfant d’une famille qui pratiquait la marche comme seul sport, j’avais fait face à mes peurs, j’avais vaincu ma fatigue et j’étais allée chercher la dernière once d’énergie après une semaine épuisante pour participer au slalom qui m’inspirait une peur bleue. Mes amies avaient compris et m’avaient félicitée. Mais la déception fut grande le soir à la proclamation des résultats. Les meilleurs, ceux que les parents emmenaient skier dès les premiers flocons, furent récompensés et applaudis pour leurs performances. Pas un mot pour moi qui m’estimais pourtant bien plus méritante en ayant accompli ce qui m’avait paru impossible quelques jours plus tôt. Ce soir-là, j’avais définitivement fait une croix sur le ski et le sport en général.

Le PER dans une main, le cœur saignant, j’inscris un code insuffisant dans le carnet de Colin. Il n’atteindra pas les objectifs de fin cycle, c’est clair. Même si la volonté dont il a fait preuve est largement équivalente à celle de Gilles le sportif.

Nous en débattons souvent à la salle des maîtres: est-ce vraiment nécessaire de mettre des notes sur le travail des élèves dans les branches d’éveil? Voulons-nous des élèves performants en éducation physique comme dans les anciens pays de l’Est ou des enfants ayant plaisir à pratiquer un sport? Les futurs maîtres d’apprentissage accorderont-ils de l’importance aux connaissances musicales ou préféreront-ils engager un jeune qui essaie d’y arriver même si c’est difficile? Et d’abord: arriverons-nous à motiver réellement les enfants en leur mettant une appréciation négative?

Brigitte Tisserand

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