Aller au contenu principal

Faut-il supprimer les notes à l’école?

Soumis par SAEN le 13 juin 2012

L'école française reste trop et trop tôt sélective. Dans une course aux meilleures positions, la méritocratie scolaire se traduit par la distinction d'une minorité (socialement définie) et par une relégation rapide et particulièrement coûteuse de nombreux jeunes. Le chiffrage est permanent à l'école (rangs, récompenses, classements, mesures, performances) dans une sorte de mise en rang compétitive, de mise en concurrence délétère, de mise au pas qui est contre-productive pour l'intérêt général autant que pour l'épanouissement des élèves comme des professeurs. Au centre de la routinisation des pratiques pédagogiques, l'évaluation tient une place à la fois centrale : elle marque le parcours scolaire (voire social) de l'élève et elle est donc productrice de conflits, de régulation sociale des classes mais aussi de rapports au savoir, d'estime de soi ou de souffrances...

Le nouveau ministre de l'éducation nationale Vincent Peillon pose la question de l'efficacité de la notation chiffrée.

En France, l'évaluation fait généralement l'objet d'une note. Mais - et de nombreux travaux de sciences sociales en attestent - la notation scolaire est très incertaine et ce, quel que soit la discipline d'enseignement quelle que soit la déontologie et la bonne volonté du professeur, qu'il y ait un barème ou pas ! L'ordre de correction des copies, la place de la copie par rapport aux autres, le statut scolaire, l'origine sociale, le sexe et même l'apparence physique de l'élève ne sont pas sans effet sur la notation ! Mais aussi l'établissement, dans lequel l'élève est scolarisé, ou même la classe engendrent des biais... Et puis aussi les pratiques professorales. Il y a "effet de halo": la réputation d'un élève dans une matière contamine ses résultats dans d'autres matières. Les bons élèves en mathématiques, par exemple, auront plus de chances d'être considérés bons en français que les mauvais élèves en mathématiques. Il y a aussi "effet de contexte" qui consiste à juger un élève plus ou moins positivement en fonction du niveau général de la classe. Les notes sont aussi un mode de régulation des interactions scolaires et font l'objet de négociations implicites et explicites par les professeurs avec les élèves, comme le montrent les travaux du sociologue Pierre Merle. Enfin, la note n'évalue qu'un aspect du curriculum de l'élève. Les règles du jeu scolaire sont souvent implicites et pas décodées par tous les enfants.

Ces pratiques scolaires d'évaluation "fabriquent" les "bons" et les "mauvais" élèves.

Déjà en 1920, Claparède ne voulait pas une école de la mesure, mais une école sur mesure. Envisageons crânement la suppression des notes et le remplacement de la concurrence par la coopération. La note est supposée apprécier le travail et les performances de l'élève : en fait elle sanctionne pour une grande partie ce que l'on doit apprendre ailleurs qu'à l'Ecole. Quand sur une copie l'enseignant annote "travail trop scolaire" c'est bien une critique et donc l'aveu que l'école sanctionne aussi autre chose que ce qui s'apprend à l'école ! Au fond, que serait la réussite scolaire si personne n'échouait ? Qu'est-ce qu'une bonne note s'il n'y en a pas de mauvaises ? Et si l'exclusion était nécessaire au système pour perdurer ? Il ne faut pas confondre le moment de l'examen et le moment de l'entraînement. C'est ce que fait l'Ecole au quotidien !
La fin de cette évaluation ne signifie pas de ne rien évaluer mais de produire une évaluation singulière, non classante. Sur chacun des items, l'élève doit savoir ce qu'il parvient à réaliser et au fur et à mesure de l'année, il observe ainsi ses progrès et ce qui lui manque encore... Aucune comparaison chiffrée entre élèves n'est possible et chacun progresse à son rythme. Admettons que les acquis de l'élève soit matérialisés par un arbre, où chaque branche matérialise des objectifs généraux, et chaque feuille des objectifs plus fins à atteindre : en fin d'année tous les arbres seront nécessairement plus feuillus et deux arbres ne seront pas comparables terme à terme... Bien sûr, il s'agit d'une image, les modalités pratiques sont à étudier et c'est là le chantier qu'ouvre le nouveau ministre.

De nouvelles relations

Un nouveau mode d'évaluation non chiffré doit engager des nouvelles relations entre les élèves qui n'ont plus besoin de se comparer... La coopération entre les élèves pour progresser peut aussi être mise en œuvre et notamment la mise en projets collectifs. La coopération entre l'enseignant et l'élève peut enfin s'instaurer. L'enseignant n'est plus celui qui sanctionne ce qui n'est pas acquis. Il est désormais un pédagogue : ce lui qui accompagne l'élève sur le chemin des savoirs et qui lui permet l'entraînement le plus efficace en dispensant des savoirs, organisant des progressions, en permettant des erreurs, des essais, en mettant en place une discussion pour trouver des solutions face aux difficultés.
Comment faire alors avec les élèves qui ne feraient aucun effort ? Mais n'est-ce pas l'évaluation compétitive et ses échecs qui engendrent ce rapport au travail et à l'école ? Pour Philippe Perrenoud, le système compétitif actuel induit un manque de souplesse pour suivre des chemins de traverse, saisir des occasions ou répondre à une demande, et un recours permanent à des récompenses ou à des sanctions externes (notes, compétition, promotion, punitions) pour faire travailler les élèves ; ce qui se traduit par un rapport utilitariste au travail, en fonction de la note et de la sélection plus que de la maîtrise de savoirs et savoir-faire valorisés comme tels. Il s'agit un contrat didactique basé souvent sur la peur du désordre et des tricheries, la méfiance, la loi du moindre effort !!!

Un premier pas

Renversons la question et proposons donc une autre manière d'enseigner... Espérons une mutation de regards sur l'école et que cette réflexion sur la suppression des notes ouvre le pas à la suppression du redoublement, de la division des élèves en classes, à la fin de la concurrence scolaire, à des mutations dans les procédures d'orientation ou d'accompagnement scolaires, au lycée unique, aux développement de projets collectifs , à une ouverture des établissements vers la recherche, vers les artistes, à de nouvelles modalités de recrutement et de formation des enseignants, bref à la transformation radicale du système scolaire et des pédagogies.

Béatrice Mabilon-Bonfils est l'auteure de Indignons-nous pour notre école

Source

Mots-clés associés