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La grande fugue d’Yves Yersin

Soumis par SAEN le 19 novembre 2018
Yves Yersin à Locarno en 2013

Créateur et pédagogue, figure du cinéma suisse, le réalisateur des «Petites Fugues» est décédé à l’âge de 76 ans.

C’est L’équipée sauvage à 30 km/h, c’est Born to be wild en boguet. Lorsqu’il touche sa première prime AVS, le vieux Pipe, valet de ferme depuis quarante ans dans le Gros-de-Vaud, s’achète un vélomoteur et taille la route pour découvrir le vaste monde. Cet hymne à la liberté l’entraîne jusqu’au Cervin, symbole ultime de la suissitude, et son réalisateur au sommet du box-office: Les petites fugues (1979) totalise quelque 425 000 entrées. Aujourd’hui encore, le blockbuster du nouveau cinéma suisse figure dans le peloton de tête des 100 meilleurs films suisses que publie tous les quatre ans la SonntagsZeitung.

Yves Yersin est né en 1942, à Lausanne. Il était le fils du graveur Albert-Edgar Yersin. Il étudie la photographie, fait une formation de cameraman et un stage de scénographe à l’Expo 64. Il réalise de nombreux reportages et films ethnographiques (Les cloches des vaches, Les boîtes à vacherin…), un sketch de Quatre d’entre elles, un documentaire (Swiss Made). En 1971, il rejoint le Groupe 5 auprès d’Alain Tanner, Jean-Louis Roy, Michel Soutter et Claude Goretta.

Avec Les petites fugues, le réalisateur résume l’air libertaire du temps. Au lieu de capitaliser sur le succès, il s’accorde trois années sabbatiques – dont il n’est jamais vraiment revenu. Il n’est pas resté inactif pour autant: appelé par l’Ecole cantonale des beaux-arts, il y fonde en 1988 le DAVI, un département audiovisuel dont sont issus quelques-uns des meilleurs cinéastes actuels. Il dirige cette entité jusqu’en 2001.

Transmission du savoir

En 2005, Yves Yersin entend parler de l’école intercommunale de Derrière-Pertuis, un hameau du Val-de-Ruz, dans le Jura neuchâtelois. Gilbert Hirschi y enseigne depuis quarante ans à une douzaine de gosses entre 6 et 11 ans. Le cinéaste investit les lieux avec l’idée de montrer «les enjeux de la formation élémentaire». Le tournage se déroule sur treize mois, à deux caméras. Le réalisateur se retrouve avec… 1200 heures de rushes. Il lui faut des années pour réduire cette matière surabondante à un format standard. De premières visions de Tableau noir, version longue, sont organisées à Neuchâtel, dans une ambiance survoltée. Car le maître d’école, dont les méthodes bourrues indisposaient certains esprits progressistes, a été mis à la retraite anticipée.

Yves Yersin à propos de «Tableau noir» (en 2013): «Le film permet de réfléchir à l’école de demain»

Dans une forme raccourcie, ce documentaire «sur la transmission du savoir» est présenté au Festival de Locarno en 2013. Il suscite une standing-ovation, mais ne reçoit qu’une simple mention du jury.

La vérité sort de la bouche des enfants, et le mot de la fin leur appartient. Le prof de Tableau noir demande à un petit gars: «Tu ne trouves pas que c’est super triste?» «Non», répond placidement l’enfant. Cultivons ce détachement zen au moment de déplorer la disparition d’Yves Yersin.

Source


Le SAEN est très triste...

Nous sommes fiers d'avoir apporté (modestement) notre contribution à la réalisation de Tableau noir, film témoin du foisonnement de vie de la dernière classe de Gilbert Hirschi à Derrière-Pertuis.

Souvenirs

Publié le
lun 19/11/2018 - 21:31