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La menace des parents

Soumis par Myriam Facchinetti le 22 octobre 2021
Gerd Altmann (Pixabay)

Le comité cantonal assiste avec désarroi à une recrudescence d’interventions virulentes de parents d’élèves dans les classes de degrés primaires. Plusieurs collègues, malmené·es se retrouvent en première ligne d’un combat inéquitable.

Un phénomène inquiétant

Depuis quelques années, nous constatons une augmentation des intrusions négatives de parents d’élèves : messages à toute heure, tous les jours ; interventions inappropriées sur les messageries de groupe; demandes appuyées de remédiation; jugements ; plaintes sous différentes formes (parfois pénales). Ce phénomène est inquiétant. Notre école, qui se veut inclusive, accueille au sein d’une même classe des profils très différents les uns des autres, craquèle sous la pression des parents et se laisse morceler. Pourquoi en est-elle arrivée là?

La pédagogie de garçon de café

Philippe Meirieu, chercheur et spécialiste de la pédagogie et des sciences de l’éducation, a tenté une explication 1: « Nous vivons pour la première fois dans une société où l’immense majorité des enfants qui viennent au monde sont des enfants désirés. Cela entraîne un changement radical : jadis, la famille “faisait des enfants”, aujourd’hui, c’est l’enfant qui “fait la famille”. En venant combler notre désir, l’enfant a changé de statut et est devenu notre maître : nous ne pouvons rien lui refuser, au risque de devenir de “mauvais parents”. ».

Philippe Meirieu a été frappé par la complexité du métier d’enseignant∙e : comment contenir une classe qui s’apparente parfois fortement à une cocotte-minute? « Dans l’ensemble, les élèves ne sont pas violents, ni agressifs, mais ils ne tiennent pas en place. L’enseignant doit passer son temps à tenter de construire ou de rétablir un cadre structurant. Il est souvent acculé à pratiquer une “pédagogie de garçon de café”, courant de l’un à l’autre pour répéter individuellement une consigne pourtant donnée collectivement, calmant les uns, remettant les autres au travail. Il est vampirisé par une demande permanente d’interlocution individuée. Il s’épuise à faire baisser la tension pour obtenir l’attention. »

Remettre l’école au milieu du village

L’école est devenue un service, un espace où certains parents pensent être en droit d’exiger que l’enseignement soit distillé selon leurs critères et leurs appréciations. Et on ne vous parle pas des médisances, des rumeurs de mauvais traitement, des accusations de sévérité, du dénigrement auprès des autres parents, de la menace de procédure avec un·e avocat·e, etc. Il est temps de remettre l’école au milieu du village ! Le travail d’un·e enseignant·e, c’est de donner aux élèves les outils nécessaires à l’apprentissage de l’autonomie et de la responsabilité, en faisant face à une vingtaine d’individualités. Maman et papa ont parfois tendance à l’oublier, préférant presser le maitre ou la maitresse de demandes saugrenues : « Est-il possible que Kevin refasse cette évaluation? Il n’avait pas répété car il avait oublié de la noter dans son agenda… ». « Pouvez-vous enlever cette note à Marie ? Elle n’était pas dans son assiette le jour du travail écrit… ».

Et la direction dans tout ça?

Le phénomène est tel que les enseignant·es, même les plus aguerri·es, ont peur et se sentent menacé·es. Un seul faux pas, une seule demande non exaucée et c’est l’ouverture de la brèche, l’engrenage.

Il faut alors pouvoir s’appuyer sur les directions, qui peinent parfois à montrer les dents, à défendre leurs employé·es, craignant certainement de leur côté ces parents omnipotents et très remontés.

Chacun son rôle pourtant : la direction doit énoncer clairement ce qu’elle attend de l’enseignant·e (dans le cadre de référence), le·la faire se remettre en question si nécessaire, afin que celui ou celle-ci puisse être assuré·e de son soutien inconditionnel en cas de conflit avec les parents. Sans cet appui essentiel, chacun·e de nous peut à tout moment être menacé·e, malmené·e et conduit·e vers la sortie. C’est inacceptable, impensable.

Et ça ne devrait pas arriver.

1 Entretien de Ph. Meirieu, Le Monde, septembre 2011.

Publié le
ven 22/10/2021 - 00:03
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