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A l’école des nouveaux professeurs

Soumis par SAEN le 4 juin 2010

L'école n'attire plus. Les vocations se font rares.

Quatre enseignants vaudois et genevois racontent leur entrée dans un métier en perpétuel mouvement Comment devient-on enseignant? Quatre jeunes professeurs éclairent la façon dont on entre, aujourd'hui, dans le métier. Leurs parcours ne disent pas tout sur les arcanes de la profession. Mais racontent des trajectoires qui oscillent entre normalité et exception. On y découvre des cheminements originaux à partir d'un canevas de plus en plus standardisé, voire centralisé, soumis au contrôle d'institutions qui débordent largement le terreau local où s'enracinent les pratiques de chacun. L'enseignement, à tous les degrés, aspire à l'harmonisation, en Suisse comme en Europe. La formation des maîtres et professeurs y aspire aussi. Encore que certains évoquent les obstacles, les entraves administratives qui freinent les plus mobiles. Déménager d'un canton à un autre n'est pas une sinécure. La reconnaissance des papiers ne va pas de soi. Le cas d'un Neuchâtelois qui tente en vain depuis dix ans de valider ses diplômes au niveau suisse en illustre la difficulté.

Quoi qu'il en soit, les filières ont été modifiées, les cursus repensés. Finis les instituteurs et les écoles normales. Terminés les séminaires pédagogiques destinés à des universitaires en quête d'emploi. Les hautes écoles pédagogiques (HEP) ont surgi et réinventé l'apprentissage du métier. On y forme généralistes pour le primaire et maîtres spécialisés pour le secondaire, entre bachelors et masters. Genève a inauguré l'année dernière son Institut universitaire de formation des enseignants (IUFE). L'évolution ne se fait pas sans polémiques, contestations, mauvaise humeur. Mais elle avance. Pour une scène immuable - des élèves, des classes face à un professeur - les scénarios, les accessoires, les textes ont été bouleversés. C'est cette nouvelle histoire que racontent nos témoins.

Ces récits doivent par ailleurs être intégrés dans un décor en perpétuel mouvement. Les débats autour de la mission et de l'organisation de l'école obligatoire surtout reviennent sans cesse à la une. Des réformes scolaires sont à l'ordre du jour dans les cantons de Genève, Fribourg, Vaud. Dans ce dernier canton, un vote populaire doit départager d'ici à une année deux conceptions antagonistes de l'enseignement, entre intégration et sélection.

En même temps, l'école change, spontanément ou à son corps défendant, sous la pression de la société, de la démographie, des migrations. Les classes sont de véritables bouillons de diversité. Nationalités, langues, cultures s'y croisent, se mêlent, s'ignorent, s'opposent.

Cet immense chaudron est en outre menacé par une pénurie redoutable d'enseignants. Le vieillissement des titulaires, l'image écornée du métier avec des effets sur les vocations des jeunes candidats en sont les causes principales. En Suisse alémanique, la cote d'alerte a déjà été dépassée. Dans les cantons francophones, on commence à évoquer la question. Pour parer au plus pressé, on engage déjà des enseignants étrangers ou sans les titres requis. Le manque de profs touche historiquement le secondaire I (élèves de 13 à 16 ans). L'allemand, les mathématiques, les sciences en font les frais. Mais la pénurie pourrait s'étendre à d'autres disciplines.

Le milieu juge alors que la formation est le nerf de la guerre. Il faut «produire» davantage d'enseignants, et mieux. «Master pour tous», réclament notamment les syndicats. L'attractivité d'une profession se mesure aussi à l'aune des diplômes qu'elle offre. En attendant, les HEP réduisent certaines exigences d'entrée. Toutefois, des voix s'élèvent pour dénoncer à la fois l'académisation rampante aux dépens de la pratique sur le terrain et l'excès des titres demandés. Faut-il vraiment fréquenter l'université pour apprendre à lire, écrire et compter à des enfants de 6 à 10 ans?

Bref, le chantier est ouvert et fourmillant. Et nous ramène à nos «jeunes» enseignants. Choisis dans les branches à pénurie - allemand, mathématiques et sciences - et actifs dans le degré scolaire le plus problématique, celui que les réformes récentes de l'école obligatoire prennent pour cible: le secondaire I, là où se joue l'avenir scolaire et professionnel des élèves.


«En classe, la théorie ne suffit pas» Nadine, 33 ans

Les directeurs d'établissement l'appelaient pour l'engager. Pourtant, Nadine était encore étudiante de la Haute Ecole pédagogique de Lausanne (HEP), délocalisée en Allemagne pour un semestre dans le cadre des échanges Erasmus. Aujourd'hui, elle a 33 ans et officie depuis cinq ans dans un établissement vaudois. Elle enseigne l'allemand dans des classes de 5e et de 9e et l'anglais à des élèves de 7e, 8e, 9e. Le tout pour un emploi à 95% dont le salaire, qu'elle ne dévoile pas, lui paraît correct. Même s'il a fallu huit ans d'études autofinancées pour atteindre cet objectif.

«Je me voyais en assistante sociale. Mais après quelques mois d'université, j'ai bifurqué vers les lettres, les langues et l'enseignement.» Ses diplômes en poche, elle s'est inscrite à la HEP. Là, «j'ai découvert des programmes où la didactique prime sur la gestion quotidienne des classes. L'académisation, dans l'air du temps, ne suffit pas à former de bons professeurs», juge-t-elle.

Elle en sait quelque chose. Au bout de 18 mois, «j'étais épuisée. L'envie de changer les choses, la pression des parents, un univers nouveau à apprivoiser ont malmené ma résistance. Puis, petit à petit, j'ai appris à relativiser. Même si je souffre toujours du manque de reconnaissance des parents, voire des élèves. Prêts en revanche à se faire entendre quand ça va mal.»

Dans le débat qui traverse l'école obligatoire vaudoise et qui oppose, pour faire court, intégration et sélection, Nadine temporise. «En classe, face à des adolescents en pleine croissance, entre hormones et tentations, je transmets à la fois des connaissances et des valeurs, le respect mutuel surtout. Et j'évite de coller des étiquettes réductrices, notamment sur une frange d'élèves plus problématiques qui demandent un engagement affectif et organisationnel plus soutenu.»


«La formation néglige le vécu» Vincent, 34 ans

C'est grâce à un bachelor complémentaire en allemand que Vincent a décroché en 2009 une place stable dans un établissement scolaire genevois. Avant, depuis 2004, il multipliait les suppléances. Il enseigne donc à 50% l'allemand et l'histoire dans trois classes du cycle d'orientation (13 à 16 ans). Le professeur genevois gagne plus ou moins 3500 francs bruts par mois. Une paie correcte, juge-t-il. Encore que la surcharge de travail n'est pas vraiment compensée, nuance-t-il.

L'homme de 34 ans a entrepris des études dans le but de devenir enseignant. En revanche, il n'avait pas choisi les branches (histoire et espagnol) en fonction de la demande historiquement plus grande pour l'allemand, les mathématiques et les sciences.

«J'ai atterri au cycle d'orientation par choix, et par hasard. Des postes étaient à repourvoir et mon complément en allemand s'adaptait mieux à l'apprentissage de base dispensé à ce niveau.»

Vincent fréquente actuellement l'Institut universitaire de formation des enseignants (IUFE). La nouvelle école remplace la licence mention «enseignement» délivrée par la Section des sciences de l'éducation de l'Université de Genève. Le cursus de deux ans en emploi qu'il a intégré est «malheureusement» destiné à disparaître, regrette-t-il. «L'IUFE met un accent fort sur la didactique, mais néglige quelque peu le vécu, l'expérience», observe Vincent.

Quant à savoir si l'école obligatoire remplit sa mission, Vincent relève une ambiguïté. «D'un côté, on exige l'excellence, si possible pour le plus grand nombre et, de l'autre, on est confronté à des élèves de plus en plus hétérogènes, parfois difficiles, réticents à rentrer dans le système. Au-delà des réformes et des théories pédagogiques, c'est l'équation à résoudre chaque jour en classe», philosophe-t-il.


«L'apprentisage se fait sur le terrain» Salima, 27 ans

Salima a fui le canton de Vaud et la HEP de Lausanne. Elle a préféré se former à Genève, plus axé sur la pratique. Elle compte parmi les derniers étudiants de l'ancien système, remplacé désormais par l'Institut universitaire de formation des enseignants (IUFE). «L'apprentissage doit se faire sur le terrain. Aujourd'hui l'université domine et les études s'allongent, ce qui n'encourage pas les vocations. Pour les branches moins attirantes - allemand, maths et sciences - l'Etat embauche d'ailleurs en France voisine», note-t-elle.

Salima vient de terminer sa formation. Mais, elle enseigne le latin et raconte l'histoire à 6 classes du cycle d'orientation depuis 4 ans déjà. Elle a 27 ans et des licences dans trois branches enseignables, les deux qu'elle «donne» effectivement plus l'anglais. Une aubaine. Qui n'est pas le fruit du hasard. «Je voulais enseigner, j'ai donc choisi des disciplines en fonction de la demande. A peine quitté l'université, un établissement genevois m'a engagée.» Alors que d'autres accumulent les remplacements en début de carrière. Aujourd'hui, elle est employée à 80%.

«Le métier use, le stress menace, la charge de travail explose.» Le salaire, certes, soulage, mais ne suffit pas. A Genève, cas unique en Suisse, professeurs du cycle d'orientation et du gymnase jouissent du même statut et des mêmes rémunérations. Un néophyte, première année d'enseignement, touche 105 000 francs brut par an.

Si elle fait de la discipline en classe, «c'est pour pouvoir enseigner. Mais l'école ne remplace pas les parents», précise Salima. «Je ne condamne pas a priori le retour des sections à la vaudoise dans le canton de Genève après quelques années de tronc plus ou moins commun. Il n'y a pas de recette miracle. En revanche, il faut que la société adhère à son modèle d'école.»


«J'ai observé les autres enseignants» Sylvie*, 29 ans

Sylvie incarne une certaine normalité, pas banale toutefois. A 29 ans, elle enseigne les mathématiques à des élèves de 13 à 16 ans dans un établissement vaudois. Ce sont des adolescents orientés vers le baccalauréat, donc le gymnase. A plein temps, Sylvie gagne à sa satisfaction plus ou moins 7000 francs brut par mois.

«J'ai commencé en 2007, une fois terminées mes études universitaires en mathématiques. J'ai postulé tout de suite à la Haute Ecole pédagogique de Lausanne (HEP) où j'ai suivi trois semestres de formation pour maîtres spécialistes. Parmi mes amis, tous n'ont pas été reçus du premier coup. Certains ont dû batailler pour y accéder l'année suivante.» A la HEP, «j'observais beaucoup les autres enseignants; leur expérience est une véritable mine d'inspiration».

Au bout de dix-huit mois, Sylvie choisit l'école obligatoire plutôt que le gymnase. «Les relations avec des élèves en pleine croissance sont plus étoffées, explique-t-elle. Ils se confient encore à leur prof.» Sylvie répond à l'appel d'un établissement qui l'engage immédiatement. Les professeurs de maths sont ­recherchés.

Avec le recul, «le défi majeur consiste à gérer une classe d'une vingtaine d'adolescents. Il faut jouer entre les programmes et les qualités des élèves pour amener tout le monde à maîtriser les connaissances requises.» Finalement, entre intégration et sélection, elle penche pour l'intégration. «L'orientation précoce chère aux Vaudois stigmatise trop les VSO (la voie ouverte sur l'apprentissage), déplore Sylvie. Le système à niveaux, proposé par la nouvelle loi scolaire en préparation, a au moins l'avantage de distinguer par branche les qualités et les lacunes de chacun, sans ségrégation.»

* Prénom d'emprunt.


Marco Danesi

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