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Les professeurs sont épuisés

Soumis par SAEN le 10 août 2017

Trop d’enseignants romands sont au bout du rouleau. Les syndicats tirent la sonnette d’alarme: trois profs sur cinq estiment que leur état de santé s’est dégradé à cause du travail et la moitié d’entre eux a le sentiment de «devoir tenir le coup». Pire, deux sur cinq montrent des signes indicateurs de burnout. C’est ce qui ressort d’une enquête mandatée par le Syndicat des enseignants romands (SER), qui met pour la première fois des chiffres sur le mal-être des enseignants. Plus de 5000 professionnels syndiqués, du degré primaire au post-obligatoire, ont répondu à un questionnaire en ligne.

Selon une enquête mandatée  par le Syndicat des enseignants romands, deux enseignants  sur cinq montrent des signes  de burnout.

Selon une enquête mandatée par le Syndicat des enseignants romands, deux enseignants sur cinq montrent des signes de burnout. KEYSTONE - PHOTO D’ILLUSTRATION

Le SER exige que des mesures urgentes soient prises par la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP). «La santé au travail est de la responsabilité des employeurs», martelait Samuel Rohrbach, président du SER, devant la presse hier.

Des syndicalistes de tous les cantons romands ont fait part d’une seule voix de leurs craintes d’une péjoration de la qualité de l’enseignement, si la santé des maîtres ne s’améliore pas. Mardi, la Société suisse des professeurs de l’enseignement secondaire dénonçait de son côté l’impact des mauvaises conditions de travail sur les élèves, suite à la publication de deux autres études.

Sacrifier sa santé

Pour le SER, la lutte contre l’épuisement professionnel passe par une mise à disposition de personnes ressources pour accompagner les enseignants et par l’amélioration des conditions de travail: baisse des effectifs, aides spécifiques pour les élèves en difficulté et allégement des tâches administratives. Le syndicat demande à la CIIP de créer une commission paritaire qui veille à l’application de mesures de prévention dans tous les cantons romands.

Selon l’enquête, les enseignants prennent à cœur leur travail. Plus de 80% considèrent que leur métier «est un véritable défi positif». Quitte à sacrifier leur santé. La plupart (90%) ont travaillé au moins un jour en étant malade. «Les enseignants sont face à un dilemme: se soigner et laisser leur classe à un remplaçant souvent sans formation ou assumer leur travail malgré tout», note Samuel Rohrbach. Et même s’ils restent à la maison, ils doivent préparer leur cours. Certains établissements demandent aux malades de trouver eux-mêmes leur suppléant.

40% d’enseignants touchés

Hors vacances scolaires, l’état de santé des enseignants est inférieur à celui de la population suisse. C’est dans les cantons de Vaud, Genève et Neuchâtel que la situation est la plus alarmante. Ces trois cantons ont des indicateurs de burnout un peu plus élevés. Dans la plupart des cas, l’état de santé se dégrade au fur et à mesure que les semaines de travail avancent. «La personne n’en peut plus mais serre les fesses jusqu’aux vacances. Et au bout de deux ou trois ans, ça casse», résume Pierre Graber, président du Syndicat autonome des enseignants neuchâtelois. Le taux de 40% d’enseignants présentant des signes indicateurs de burnout n’étonne pas outre mesures les syndicalistes.

Et l’épuisement n’est souvent pas reconnu, même par la personne concernée. «Certains signes ne doivent pas tromper. Un collègue qui n’est pas ponctuel, qui a perdu sa jovialité et reste dans son coin est à risque», relève Olivier Solioz, de la société pédagogique valaisanne. Pour sa collègue du SSP Neuchâtel, Laure Gallay, les directions peinent à reconnaître le travail comme cause du mal-être: «Les enseignants ont souvent honte de dire qu’ils n’en peuvent plus. Et quand un collègue épuisé s’entend dire par sa hiérarchie qu’il a des problèmes personnels, ça l’achève.»

La pénibilité évolue

Certains cantons commencent à prendre le problème au sérieux. En Valais, les enseignants peuvent faire appel à une personne ressource pour trois séances. Dans le canton de Neuchâtel, un catalogue de mesures de prévention de l’épuisement professionnel est en cours d’élaboration.

Présidente de la CIIP, la conseillère d’Etat neuchâteloise Monika Maire-Hefti concède que la santé des enseignants doit faire l’objet de davantage d’attention et salue la proposition d’une commission paritaire intercantonale. «La pénibilité du métier a évolué», relève-t-elle. «Nous devons notamment mener une réflexion sur la formation. En donnant par exemple des outils aux étudiants pour traiter avec des parents quérulents, accompagner un élève en difficulté ou gérer un colloque.» La conseillère d’Etat rappelle que chaque employeur, canton ou commune suivant les cas, est responsable de mettre en œuvre des mesures. La CIIP pourra évaluer leurs impacts et favoriser l’échange de bonnes pratiques.

«La direction m’a complètement lynchée»

Plusieurs témoignages corroborent le mal-être des enseignants romands.

Laurence*, quadragénaire, raconte son burnout. Enseignante chevronnée, elle vit une «descente aux enfers» en 2016, après plus de 20 ans dans le même établissement vaudois, où elle enseigne aux 6 à 8 ans.

«J’étais très fatiguée à cause d’un élève difficile, depuis près de deux ans. Il avait un syndrome pas encore diagnostiqué. Il perturbait gravement la classe par ses crises. A l’époque, ses parents faisaient un déni de réalité. Dans mon établissement tous les enseignants doivent faire un camp scolaire, c’est une tradition. J’ai dit que je ne pouvais pas partir, non seulement à cause de la fatigue, mais aussi parce que je devais rester avec mon fils, qui était alors malade. Je l’élève seule.»

En mai 2016, Laurence vit un conflit douloureux avec sa direction. «Mon burnout est dû au fait que la direction m’a complètement lynchée. C’était la première fois en plus de 20 ans de métier que je ne pouvais pas faire un camp. J’ai dit à mon directeur qu’à cause des difficultés en classe, je prenais des antidépresseurs. Il a mis en doute mes compétences. Sur un ton sarcastique, il m’a dit: «Allez travailler dans un établissement où il n’y a pas de camp…» La doyenne, en plus, m’a dit que la maladie de mon fils, ce n’était pas leur problème. Ils étaient extrêmement méprisants, suggéraient que je ne serais pas professionnelle, que je ne comprenais pas les enjeux pédagogiques des camps… Il y a une sacrée descente aux enfers quand on perd la reconnaissance! Je me sentais broyée.»

A ce moment, Laurence n’a toujours pas consulté de médecin. «Peu après, un matin, c’est le grand vide. Je n’arrive plus à penser. Ma mère me conseille de dire simplement au directeur que je n’en peux plus, «parce que c’est la vérité». Ensuite, je n’ai demandé que deux semaines d’arrêt à mon médecin, pour pouvoir revoir mes élèves avant la fin de l’année scolaire. Il m’a dit que ça ne suffisait pas et il m’a mis en arrêt pendant cinq ou six semaines. J’ai alors passé mon temps à dormir et à m’occuper de mon fils.»

«En juin2016, j’ai commencé trois mois de séances avec un psy. Ça m’a aidée à comprendre pourquoi j’ai vécu cet épisode comme un lynchage. Pour la rentrée 2016, le généraliste a voulu que je reprenne à mi-temps, mais j’ai repris à plein temps. J’ai changé ma façon de penser, de m’organiser. Mais je ne suis pas encore en pleine forme. Après avoir douté, j’ai compris que j’aime ce métier, que je veux continuer dans cet établissement, malgré ce qui s’est passé. Ce n’est qu’au printemps dernier que j’ai complètement récupéré.»

A posteriori, qu’est-ce qui aurait pu éviter cette situation? Pour Laurence, la rapidité de la prise en charge des élèves perturbateurs est cruciale, tout comme le soutien de la direction. Certes, des enseignants spécialisés interviennent en renfort. Mais souvent les parents tergiversent: «Le temps qu’une décision soit prise au sujet de leur enfant, les crises continuent. L’enseignant et sa classe sont pris au piège.» Propos recueillis par Jérôme Cachin

Enquête

Une étude révèle un état de santé inquiétant des enseignants romands. Les syndicats exigent des mesures.

Par Sophie Dupont

Source (PDF)

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