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Les correspondants amateurs, salut de la presse régionale

Soumis par SAEN le 21 juillet 2009

Crise oblige, les quotidiens «L'Express» et «L'Impartial» vont renouer avec la pratique d'employer des rédacteurs non professionnels pour alimenter leurs rubriques locales. Au risque de mettre leur crédibilité en jeu?

«Nous avons réduit les effectifs l'an dernier. Si nous voulons continuer à faire de l'information de proximité, nous n'avons pas le choix.» Rédacteur en chef de L'Express et L'Impartial, Nicolas Willemin va droit au but pour expliquer sa décision de constituer un réseau de correspondants amateurs chargés de traiter l'actualité des petites communes. «Le modèle n'a rien de nouveau, précise-t-il. Il a été peu à peu abandonné à la fin des années 1980 avec la professionnalisation des rubriques locales. Cet âge d'or est terminé. On en revient aux méthodes d'antan.»

Nicolas Willemin espère recruter, à terme, «entre 20 et 25 personnes, étudiants, retraités ou femmes au foyer». Quelques-uns ont déjà commencé à travailler. Ils sont payés 20 francs «pour la fourniture d'une petite info traitée ensuite par un journaliste» et 50 francs «pour un petit article de 1500-2000 signes». Les sujets, variés, doivent permettre de sentir le pouls d'un village, de la retraite du laitier à la dernière séance du conseil général (c'est-à-dire le parlement).

Crédibilité des journaux en question

Le projet n'a pas tardé à susciter des réactions. L'Association neuchâteloise des journalistes (ANJ) a rapidement fait part de son inquiétude. «La crainte est que cette pratique permette de remplacer des postes de journalistes à bon marché, indique Stéphane Devaux, journaliste à L'Express et L'Impartial et président de l'ANJ. Les rôles ne sont pas les mêmes. Un correspondant va réaliser ses papiers en vase clos, sans mise en perspective. Cela risque de porter atteinte à la qualité et à la crédibilité des journaux. Le travail de relecture et de réécriture risque en outre de nous prendre beaucoup de temps. On se demande si on arrivera encore à faire notre travail de journalistes.»

Répandu en France, le recours à des correspondants amateurs réguliers pour traiter l'information locale reste marginal en Suisse romande. Les grands quotidiens régionaux comme 24 Heures, Tribune de Genève, La Liberté et Le Nouvelliste n'en utilisent pas. Ils travaillent avec des stagiaires et des pigistes pour les rubriques culturelles et sportives. Ils disposent en général d'une certaine expérience ou se destinent au métier de journaliste.

«Engager plus de pros? Impossible»

Plus fragiles financièrement, les «petits» régionaux utilisent ce mode de fonctionnement de longue date. La Presse Riviera Chablais et La Presse Nord Vaudois avant leur intégration par 24 Heures; le Journal du Jura ou La Côte aujourd'hui. Ce dernier titre, propriété comme L'Express et L'Impartial du groupe français Hersant, a relancé le système l'an dernier après une période d'assoupissement.

L'impulsion a été donnée par le nouveau rédacteur en chef du journal, Isidore Raposo. Ancien directeur de La Presse Nord Vaudois, actif dans la profession depuis trente-cinq ans, il considère que le recours régulier à des personnes ancrées dans le terreau local constitue «une nécessité» pour faire de la «vraie» information locale. «Depuis Yverdon, il est impossible de savoir ce qui se passe à lavallée de Joux», image-t-il.

Isidore Raposo reconnaît que la gestion d'un réseau de correspondants - La Côte en utilise une soixantaine - constitue un travail important pour les journalistes et secrétaires de rédaction. «C'est un travail pour professionnels. Il suscite certaines réticences. Les journalistes préfèrent faire leurs articles pour eux... Je comprends qu'ils défendent leur place de travail. Mais il n'est pas possible de fonctionner en faisant fi de la réalité économique. A La Côte, nous couvrons l'actualité de 83 communes. Pour y arriver avec des pros, nous devrions tripler ou quadrupler notre effectif. C'est tout simplement impossible.»

Un réseau de rédactions détachées a disparu

Car en dix ans, tout a changé. Les médias ont connu une révolution avec le développement des télévisions locales, ainsi que l'arrivée d'Internet et des gratuits. Les journaux régionaux ont dû partager le gâteau publicitaire et revoir leur mode de fonctionnement. «Durant les années 1990, L'Express et L'Impartial disposaient de rédactions détachées à Boudry, à La Neuveville, au Locle et même en France voisine, se souvient Stéphane Devaux. Elles ont toutes disparu.»

La crise économique devrait entraîner de nouvelles mutations ces prochains mois. Administrateur délégué du groupe Hersant en Suisse, Jacques Richard estime que la formule adoptée par ses trois journaux - qu'il précise ne pas avoir téléguidée - pourrait faire des émules. «Sur Internet, de nombreux non professionnels tiennent des blogs. C'est un enrichissement qui permet de faire remonter des informations. Bien encadré, le correspondant de proximité peut jouer le rôle de blogueur de presse écrite. A mon sens, c'est une tendance qui est de nature à progresser.»

Selon Isidore Raposo, la presse écrite doit se repositionner. «Les journaux régionaux n'auront de salut que dans le traitement d'infos que les autres ne traitent pas, estime-t-il. Les correspondants locaux ont un rôle important à jouer: ils permettent de toucher un lectorat issu de régions dont on ne parlait plus.»

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