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Les parents laxistes vont passer à la caisse

Soumis par SAEN le 7 septembre 2008

Familles démissionnaires: les autorités scolaires renforcent l’arsenal punitif destiné aux parents. A Genève, dès la semaine prochaine, les réunions familles-enseignants sont obligatoires sous peine d’amende. Zurich envisage même de contraindre les pères et mères d’enfants violents à suivre une formation éducative.

La Suisse lance la traque aux familles démissionnaires. Si Bâle, Saint-Gall et Genève agitent le spectre de l’amende, Berne complète sa copie. Le canton planche en effet sur l’élaboration d’un cahier des charges contraignant notamment les parents à surveiller l’alimentation et le sommeil des élèves. Et Zurich veut renvoyer les pères et mères d’enfants violents sur les bancs de l’école.

Cette soudaine montée aux barricades sonne-t-elle définitivement le glas d’une éducation jugée trop conciliante? Pour ramener la paix au sein du couple tumultueux famille-école, faudra-t-il instaurer un permis de parent? Exercice politiquement incorrect.

Pas de droit absolu à être parent 

Professeur en droits de l’enfant et directeur de l’Institut universitaire Kurt Bösch à Sion, Philip D. Jaffé relève que la question d’un «sauf-conduit» parental n’est pas récente.

Relayée par le pédopsychiatre Jack Westman, elle s’était posée avec une grande acuité, il y a quelques années, aux Etats-Unis. «En Suisse, le droit d’être parent n’est de toute façon pas absolu. Puisque des mesures (curatelle, retraits de garde) sont prises régulièrement en cas de négligences graves ou de maltraitance», rappelle le spécialiste.

Mais de là à ce qu’une instance s’arroge le droit de distribuer les bons et les mauvais carnets aux familles, l’universitaire demeure circonspect. «En revanche, il me semble plus judicieux d’aider les parents à parfaire leurs compétences éducatives», reprend-il.

Le rôle des parents est, il est vrai, devenu plus complexe. A l’héritage de l’idéologie soixante-huitarde ultrapermissive s’ajoutent quelques grands bouleversements sociologiques. «Les familles élargies et modèles grand-parentaux ont disparu. Les enfants sont en outre immergés aujourd’hui dans un flot d’informations véhiculées par la télévision ou Internet et dont les parents n’ont pas la maîtrise totale.»

Un statut qui s’érode

Autrement dit, le statut des pères et des mères s’est érodé. Ils ne représentent plus les personnages centraux de l’existence de l’enfant. Ce qui rend la mission formative plus ardue.

Eduquer les parents avant les enfants, la proposition séduit le président de l’Association Refaire l’école (ARLE). André Duval, qui a enseigné durant trente ans, affirme que le rapport des familles à la chose scolaire s’est délité.

«Bon nombre de parents octroient des congés à leur progéniture en dehors des pauses officielles. Les décisions des maîtres sont, par ailleurs, de plus en plus contestées. Et certaines familles engagent des avocats pour faire pencher la balance de leur côté.» Alors? L’école, dit-il, doit reprendre un peu la main sur la toute-puissance parentale.

Beer refuse l’ingérence 

A cet égard, et avant même que la Suisse alémanique ne donne la charge, Genève avait planché sur un renforcement de l’autorité de l’école. Le projet qui entre en vigueur la semaine prochaine – soit dès sa publication dans la Feuille d’Avis Officielle – sanctionne les parents absents des réunions scolaires. Et ceux dont les enfants cumulent les jours d’absentéisme. Mais Charles Beer, le magistrat en charge de l’instruction publique, se refuse à faire plus d’ingérence dans la sphère familiale. «En dehors de la protection des droits de l’enfant, le Département de l’instruction publique n’a ni les moyens ni la légitimité de veiller aux modes éducatifs pas plus qu’au contenu des assiettes des élèves.»

Mettre des amendes? «Nous refusons cette nouvelle forme de répression», déclare Olivier Baud, enseignant et président de la Société pédagogique genevoise. «Actuellement, les dispositions légales sont largement suffisantes. Le règlement de l’enseignement primaire prévoit que l’école complète l’action éducative des parents. Et non l’inverse.»

Pour le pédagogue, stigmatiser les familles où l’on rencontre des difficultés est inutile et contre-productif. Un peu comme utiliser la technique du bâton, mais sans la carotte. «Elles représentent une part tout à fait marginale, quoi que fortement médiatisée… Pensez: potentiellement trente amendes par an sur les 50 000 élèves que compte l’école obligatoire à Genève!»

Pour un vrai partenariat

Au contraire, Olivier Baud préconise le dialogue, notamment au sein des conseils d’établissement. «Certes, je ne dis pas qu’il n’y a pas de problèmes. Mais c’est à l’école de faire un effort en vue de renforcer le dialogue avec les parents, en les reconnaissant comme partenaires et en leur laissant véritablement une place pour s’exprimer.»

Le partenariat, voilà bien la pierre d’achoppement. «Le mot fait peur. Mais tout le monde aurait à y gagner. Et en premier lieu l’enfant», soutient Sandra Capeder, directrice d’un secteur de crèches de la Ville de Genève et membre du Groupement genevois des Associations de parents d’élèves du primaire (GAPP). «Nous avons proposé, par exemple, que la collaboration avec les familles soit insérée dans la formation des enseignants.»

Punir les parents qui refusent de collaborer? «Et après? Je ne connais pas de parents qui ne coopèrent pas en sachant que cela peut péjorer la réussite scolaire et l’avenir de leurs enfants», répond Sandra Capeder. «Aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont. Et souvent, c’est difficile.»

ADÉLITA GENOUD ET CHRISTIANE PASTEUR

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