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Les premiers sont les derniers

Soumis par Jean-François Kunzi le 25 novembre 2005

Etrangement, sans que cela choque véritablement une grande partie de la population, les premiers degrés de la scolarité obligatoire sont ceux auxquels on octroie le moins de moyens comme si, de la taille et de l’âge des enfants, devait obligatoirement dépendre l’investissement consenti. Et que dire de la considération, traduite également en terme de niveau d’études exigé et de la rémunération proposée, dont jouissent les enseignant-e-s oeuvrant à ce moment pourtant crucial !Quand on sait qu’un nombre non négligeable d’élèves régresse au cours des premières années d’école, ne devient-il pas urgent de reconsidérer, avec une très grande attention, le parcours scolaire d’un enfant et d’affecter des moyens accrus à un début qui en conditionne grandement la suite ?

Quand, dans l’espace BEJUNE, les ministres de l’Education ont décidé que la formation des enseignant-e-s préscolaires et primaires s’effectuerait au sein de la HEP et serait attestée par un diplôme unique, que la maturité académique constituerait la voie royale pour y accéder, on a entendu, jusque dans les travées du parlement cantonal, des propos dignes du Café du Commerce. « Pour devenir une bête maîtresse enfantine, il n’est pas nécessaire d’avoir fréquenté l’université, ni même d’avoir obtenu son bac ! Le bon sens d’une mère de famille suffit ! » Evidemment, à l’époque, l’auteur de cette déclaration affligeante ne pouvait pas encore avoir vu l’émission « Super Nanny » diffusée par M6, ce qui lui a évité de devoir trouver un argument solide.

D’autres personnes expriment d’une manière encore plus cavalière leur condescendance doublée d’une méconnaissance totale, donc grave, qu’elles ont du rôle capital joué par cette catégorie d’enseignant-e-s. « Pour faire peindre un rouleau de papier hygiénique, confectionner un collier avec des pâtes ou jouer des gosses, point n’est besoin d’avoir effectué des études de haut niveau ! ». Avec une vision aussi sommaire et aussi simpliste comment pourraient-elles concevoir toutes les implications qu’ont, sur le développement harmonieux d’un enfant, ces gestes ou ces actes d’apparence banale et la détection précoce de certains troubles ?

Aujourd’hui, pour demeurer compétitifs, pour conserver des emplois et pour éviter une régression qui aurait des conséquences fâcheuses sur notre niveau de vie, nous n’avons guère le choix. La mondialisation de l’économie nous oblige à développer des capacités d’adaptation, d’innovation et d’invention. Dans ce contexte, notre société peut-elle encore s’offrir le luxe de compter en son sein des adolescents qui, parce qu’ils n’ont pas acquis un minimum de connaissances et de compétences au cours de leur parcours scolaire, n’ont aucune chance de s’insérer dans le monde professionnel ? Les enquêtes PISA mettent bien en évidence les carences – dont la difficulté à lire et à comprendre un message – qui handicapent une trop grande partie d’entre eux à un moment charnière. Plus la fin de la scolarité obligatoire approche, plus il devient difficile de combler les lacunes accumulées.

Dans sa conception, notre école publique, même si elle a connu quelques évolutions, reste un héritage du 19ème siècle. Compte tenu des réalités de notre époque, est-elle toujours en mesure de remplir efficacement sa mission ?

Ne devrions-nous pas, prioritairement, vouer notre attention aux débuts de la scolarité, convaincus de l’importance de partir d’un bon pied et d’assurer des bases solides ? Conscients du rôle capital que jouent les enseignant-e-s pourquoi ne profiterions-nous pas de la formidable opportunité offerte par le processus de Bologne pour augmenter leur niveau de formation ? L’avenir de beaucoup de jeunes dépend des décisions que nous saurons prendre avec sagesse.

Jean-François Kunzi

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