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Les profs prennent le large

Soumis par SAEN le 15 août 2010

Elèves et parents difficiles, devoirs toujours plus astreignants, réformes scolaires à la pelle. Pour survivre, les enseignants suisses doivent avoir la peau dure. Beaucoup d'entre eux jettent l'éponge, créant un vide difficile à remplir.

Le nombre de pédagogues qui renoncent à la profession est impressionnant. La situation est délicate durant les deux à trois premières années surtout: de 20 à 50% des enseignants claquent la porte au terme de leurs premières expériences difficiles.

Mais en fin de carrière aussi, le nombre de professeurs endurcis qui jettent l'éponge ne cesse de croitre. C'est ce que révèle le «Rapport 2010 sur le système éducatif suisse».

Selon Jürg Freudiger, conseiller indépendant pour l'école publique de Zurich, les causes de cette défection croissante sont principalement dues à la surcharge de travail qui guette les maîtres d'école.

«La société, les directions des écoles, les parents accablent les enseignants de nouvelles tâches et de nouvelles responsabilités. Ceci engendre des situations de stress exacerbé.»

«Cet état de chose peut provoquer un burnout. Il frappe surtout les maîtres d'école qui ne reconnaissent pas assez vite les symptômes d'une telle fatigue psychophysique», explique Jürg Freudiger. Lui-même confronté à des situations similaires durant ses 30 ans de carrière dans l'enseignement à l'école secondaire, il a ouvert une étude de consultation dans ce domaine et assure des cycles de formation.

Récemment, durant les cours d'été de perfectionnement destinés aux enseignants suisses à Coire, Jürg Freudiger et son épouse ont saisi l'occasion pour diffuser des notions et autres stratégies aptes à éviter la dépression nerveuse. Leur cours a été suivi par des profs de tout âge: «De ceux qui venaient d'obtenir leur diplôme à ceux qui avaient de nombreuses années d'expérience derrière eux. Certains d'entre eux ont déjà vécu un burnout, d'autres l'ont frôlé».

«Les enseignants doivent apprendre à se ménager des pauses, à penser à eux et à préserver leur condition psychophysique. Ils doivent faire du sport ou d'autres exercices d'entraînement mental», assure M. Freudiger.

Paperasserie

Il est évident que ces expédients ne sont pas une panacée pour pallier à tous les maux de l'école. «Le problème doit être affronté à la base», estime le conseiller. «L'école ne doit plus être vue comme la seule institution responsable de tous les devoirs que les parents et la société ne veulent plus assumer.»

Reto Cadosch, maître d'école primaire, est du même avis. Chargé d'un cours qui a pour thème les devoirs principaux de l'école, il estime que «les enseignants devraient principalement se consacrer à l'enseignement et à l'éducation des élèves. La paperasserie qui accompagne la profession, les activités communes et la formation continue au sein des écoles ont réduit le temps que les maîtres d'école peuvent consacrer à ce qui leur plaît davantage, soit l'enseignement».

Cette opinion a été confirmée par une étude mandatée en février dernier par l'Association suisse des enseignants (LCH). Menée online auprès d'un échantillon de 5200 professeurs de 20 cantons suisses, elle a révélé que, par rapport à 1999, le temps de travail du corps enseignants a augmenté de 7%.

Si, d'une part, les heures consacrées à l'enseignement sont restées les mêmes, d'autre part, les tâches administratives, les cours de formation continue interne et les activités avec les parents d'élèves et les collègues ont augmenté. L'étude met aussi l'accent sur le fait que les réformes scolaires entreprises à la fin des années 90 ont surchargé les enseignants des écoles publiques.

Cette détérioration des conditions de travail a causé une grave hémorragie de pédagogues et engendré un nombre croissant de postes à pourvoir. En 2009 seulement, il manquait 3400 enseignants à l'école publique suisse, laquelle a dû recourir à du personnel provenant de l'étranger ou à des étudiants. Actuellement, la Haute Ecole Pédagogique ne parvient tout simplement pas à former suffisamment d'enseignants pour combler ce vide.

Entretemps, quelques cantons suisses ont tâché de remédier à cette situation en proposant une formation réduite pour des personnes provenant d'autres professions ou pour des maîtres d'école primaire qui veulent passer au degré secondaire.

Prestige perdu

Reto Cadosch connaît bien les défis auxquels l'enseignant d'aujourd'hui est confronté. Durant la semaine de formation, il enseigne donc à ses élèves de nouvelles techniques grâce auxquelles les enseignants retrouvent le plaisir du métier sans pour autant que le volume de travail n'augmente. «A la fin du cours, j'espère trouver des professeurs motivés, en mesure d'expérimenter et d'appliquer de nouvelles méthodes et formes d'enseignement», explique-t-il.

Reto Cadosch et Jürg Freudiger concordent sur la façon d'améliorer l'attractivité du rôle de l'enseignant. «Cette profession doit reconquérir le prestige qui était le sien il y a une dizaine d'années. Une hausse salariale - argument avancé aussi par l'Association faitière des enseignants suisses - pourrait freiner la fugue des enseignants vers le monde de l'économie privée», disent-ils.

Mais la pénurie d'enseignants n'est pas due à un facteur unique: «Actuellement, les jeunes professeurs ont de la peine à se bâtir une réputation», affirme Reto Cadosch. «Un maître expérimenté peut surmonter les difficultés grâce aux moments réjouissants qui ont jalonné sa carrière. Un jeune en revanche se décourage aux premiers insuccès et renonce à la profession.»

«Le vent qui souffle aujourd'hui sur l'école publique suisse est rude, mais moi je n'abandonne pas», conclut Reto Cadosch, en enseignant convaincu.

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