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Parents et enseignants: l’amour, pas la guerre

Soumis par SAEN le 2 février 2016

Houleuses, les relations entre ces deux figures essentielles de la vie d’un enfant? Une chose est sûre, les échos de confrontations sont nombreux. Pour soigner ce lien essentiel à une scolarité réussie de l’élève, un mot d’ordre: communication.

A ma droite, des parents jugés intrusifs, agressifs ou démissionnaires; à ma gauche, des profs étiquetés tyranniques, laxistes ou incompétents. Au milieu, un champ de bataille? A l’heure où certains n’hésitent pas à saisir la justice pour contester une mauvaise note ou une punition, tandis que d’autres reçoivent une amende pour absence injustifiée de leur rejeton à l’école, les relations entre ces deux figures centrales de la vie d’un enfant paraissent pour le moins houleuses.

Jean-Claude Richoz,professeur formateur à la HEP Vaud. Attention toutefois à ne pas tomber dans la caricature! «De manière générale, parents et enseignants entretiennent de bons rapports, tempère Jean-Claude Richoz, professeur formateur à la Haute Ecole pédagogique (HEP) Vaud. Mais il suffit de quelques cas pour créer un climat d’affrontement plutôt que de coopération dans une classe ou même un établissement. Et les médias ne se privent pas d’amplifier le problème.» Afin de remettre l’église – ou l’école – au milieu du village, il a co-dirigé en 2015, avec son collègue Bernard André, un livre intitulé Parents et enseignants. De l’affrontement à la coopération (Ed. Favre, en vente sur exlibris.ch).

Bernard André, professeur à la HEP Vaud.Si, de son côté, Bernard André reconnaît que, «dans certains établissements, les parents représentent la préoccupation majeure des enseignants», il assure lui aussi qu’il n’existe aucune statistique démontrant une explosion de la fréquence des conflits. D’ailleurs, dans ce même ouvrage, Sylviane Tinembart, professeur à la HEP Vaud spécialisée en histoire de l’éducation, fait état d’une lettre écrite par un père outré en 1898 qui, à l’exception du style vieillot, pourrait avoir été rédigée en 2016. En substance, le géniteur critique vertement le rang attribué à sa fille, y joint le bulletin déchiré de cette dernière, tout en assurant qu’il la retirera de l’école si la situation n’est pas rectifiée…

Des institutions en crise

Alors, qu’est-ce qui a changé depuis le XIXe siècle? «Dans le passé, l’enseignant avait un tout autre statut social, explique Jean-Claude Richoz. Le maître était respecté, son autorité de compétence reconnue. Les parents acceptaient ou s’inclinaient beaucoup plus facilement devant son point de vue ou ses arguments.»

A l’heure actuelle, l’autorité des enseignants est assez largement contestée et même en ayant rapidement recours au juridique, notamment dans certains milieux.»

Et Bernard André de renchérir: «De nos jours, les parents voient l’école davantage comme un service que comme une institution. Ils ont plus d’attentes, et comme dans un magasin, s’ils ne sont pas satisfaits du produit, il se rendent au guichet du service après-vente. Les professionnels de la santé sont confrontés au même problème: on assiste à une crise des institutions.»

Si contestation il y a, elle est surtout due, selon lui, au climat d’incertitude dans lequel nous vivons. «De nombreux pères et mères s’inquiètent pour l’avenir de leur enfant. Que leur intervention soit justifiée ou pas, ils entendent avant tout sauvegarder les chances de ce dernier dans un contexte économique chancelant.» Quant à l’autre principal reproche adressé à quelques parents, à savoir leur côté démissionnaire, il n’est pas forcément synonyme de désintérêt. «Au contraire, dans certaines cultures, c’est plutôt un signe de confiance envers l’école: ils estiment tout simplement que ce n’est pas leur rôle de s’en mêler.»

Ajoutons à cela l’évolution du statut de nos têtes blondes, brunes ou rousses au sein de la famille, passant de l’enfant roi à l’enfant loisir: «Pères et mères travaillant bien souvent tous les deux, ils souhaitent vivre avec leur progéniture des moments de bonheur, de détente, sans devoir régler d’éventuelles difficultés, souligne Jean-Marc Haller, secrétaire général du Syndicat des enseignants romands (SER). Lorsqu’un problème surgit, ils en confient la gestion et la responsabilité, donc la faute, à un tiers.»

Des caractères incompatibles

Et d’insister sur le fait que ce cas de figure ne concerne pas la totalité des parents: «Nous trouvons chez ces derniers la même hétérogénéité observée à l’heure actuelle dans les classes. Tous n’entretiennent pas le même rapport à l’école.» Impossible donc selon lui d’établir des généralités: chaque conflit parent/enseignant diffère. «Parfois, il s’agit simplement d’une question de personnalité, d’incompatibilité de tempérament: tel père ou telle mère rencontrera des difficultés avec tel professeur, mais pas avec tel autre.»

Loin de lui également l’idée de jeter systématiquement la pierre aux géniteurs. «Je ne tolère pas ce genre de discours! Plutôt que de juger, il s’agit de se renseigner sur la situation des personnes en cause. Dans un climat socio-économique bancal, peut-être sont-ils dans l’incapacité de remplir leur mission. Par ailleurs, tout comme il existe une minorité de parents qui créent des problèmes, l’inverse doit être aussi vrai du côté des professeurs.» Un sentiment que partage Bernard André: «Certains enseignants font preuve d’un comportement inadmissible et, parfois, une intervention se justifie.»

Reste à savoir comment prévenir les éventuels conflits qui pourraient survenir. Car tous se rejoignent sur un point, résumé par Jean-Marc Haller:

«Si on veut que l’enfant travaille bien, il faut qu’une relation de confiance s’instaure entre les adultes.»

Jean-Claude Richoz et Bernard André franchissent même un pas supplémentaire: «Comment voulez-vous qu’un petit soit stimulé, qu’il donne le meilleur de lui-même à l’école, s’il entend constamment son papa et sa maman critiquer l’enseignant ou l’école?»

Paul Majcherczyk, président de la Fédération des associations de parents d’élèves de la Suisse romande et du Tessin (FAPERT). Pour eux, il est donc important que parents et enseignants se rencontrent pour poser les bases de leur relation et de leur coopération dès le début de l’année scolaire, bien avant de discuter de programmes ou d’objectifs scolaires. Une communication essentielle, qui semble parfois pécher aux yeux de Paul Majcherczyk, président de la Fédération des associations de parents d’élèves de la Suisse romande et du Tessin (FAPERT):

Certains professeurs ne fournissent pas suffisamment d’informations. Or, il s’agit de la même démarche que celle adoptée par un médecin ou un mécanicien: en expliquant comment ils procèdent, ils inspirent la confiance. Les parents notent que le dialogue s’instaure plus facilement avec les enseignants récemment formés.»

Indispensable donc pour les deux parties de favoriser le dialogue: la résolution des conflits n’en sera que plus aisée. Primordial également de réfléchir à deux fois sur la manière d’intervenir en cas de différend. «Avant de s’adresser au directeur de l’école, voire au département, il est important d’aller discuter avec l’enseignant lui-même, insistent Jean-Claude Richoz et Bernard André. Afin de s’assurer qu’il y a eu bonne compréhension: il est parfois difficile de prendre le recul nécessaire face à l’histoire relatée par l’enfant.»

Paul Majcherczyk souhaiterait quant à lui établir une charte des droits et devoirs des parents ou plutôt rassembler les éléments existant dans les lois cantonales: «C’est un projet qui me tient à cœur. Il est important qu’une relation de partenariat s’instaure avec les professeurs. Nous avons tous le même but: que l’enfant réussisse au mieux selon ses capacités.»

Un peu d'histoire

L’enseignant d’hier et d’aujourd’hui

«Il y a cent cinquante ans, dans certains villages, quand un nouvel instituteur arrivait, on le flanquait dans la fontaine. C’était une forme de bizutage: on voulait voir comment il s’en sortait…» A en croire cette anecdote, relatée par Jean-Marc Haller, secrétaire général du Syndicat des enseignants romands, les professeurs de l’époque n’étaient pas mieux lotis que ceux d’aujourd’hui! Il serait toutefois erroné de penser que la figure de l’enseignant n’a pas souffert d’une perte de crédibilité au cours des dernières décennies. Spécialisée dans l’histoire de la pédagogie, Sylviane Tinembart revient sur l’histoire de ce métier: «Au début du XIXe siècle, les classes étaient assurées par un régent. Le terme était bien choisi: artisan recyclé, ancien militaire, précepteur autrefois particulier, son rôle était avant tout de régir la classe, d’encadrer les enfants.»

Lorsque l’on prend enfin conscience de l’importance de l’éducation, les écoles normales se mettent en place pour former les futurs instituteurs. «Ils ont désormais un réel rôle à jouer, acquièrent un certain statut et, par l’exercice de fonctions annexes dans la communauté, comme celle de tenir la bourse communale ou de faire office d’écrivain public, ils jouissent de la reconnaissance de la population. Par ailleurs, ils côtoient quotidiennement les familles de leurs élèves, à l’épicerie, dans le chœur du village, au sein du conseil municipal...» Une dimension de proximité qui s’est malheureusement évaporée avec le temps, les rencontres avec les parents se résumant aujourd’hui bien souvent aux réunions annuelles et aux occasionnelles convocations. Autre changement, le degré d’éducation des parents: «Ayant eux-mêmes suivi des études, parfois plus poussées que l’enseignant, leurs critiques envers ce dernier deviennent plus pointues et argumentées. Ils ne le considèrent plus forcément comme une personne de référence. Leur regard, lui aussi, a évolué...»

Texte Tania Araman / Annina Ciocco

Illustration(s) Corina Vögele

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