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Pas de devoirs à domicile!

Soumis par SAEN le 7 mars 2016
Selon Yves Corbat, directeur de l’école des Ranches à Vernier, les carnets du premier trimestre montrent globalement de meilleurs résultats que l’an passé. RA

L'école primaire de Vernier Ranches a intégré cette année les devoirs à la grille scolaire. Elle n'introduit les travaux à domicile que dès la 7P.

Forte d'un constat d'échec face aux devoirs à domicile, l'école primaire des Ranches, à Vernier, n'en donne plus ou presque. L'élément déclencheur, toutefois, a été l'introduction du mercredi matin d'école en 2014. L'équipe enseignante a souhaité amortir le choc en rapatriant les devoirs en classe. Après une intensive phase préparatoire d'une année, l'école a mis en œuvre son projet pilote lors de la dernière rentrée. A Genève, c'est un bouleversement culturel.

Le projet consiste à mettre l'accent, dès l'entrée à l'école, sur l'enseignement de stratégies pour permettre aux élèves de consolider par eux-mêmes les apprentissages. Des stratégies développées en réalisant les devoirs en classe. En 7-8P, toutefois, afin de permettre la transition avec le Cycle d'orientation, des travaux à domicile sont donnés, mais dans une moindre mesure.

Selon le directeur Yves Corbat, les carnets du premier trimestre montrent globalement de meilleurs résultats que l'an passé. Réunies dans son bureau, quatre enseignantes qui portent plus particulièrement la réforme ajoutent que le niveau en orthographe ou en vocabulaire s'est amélioré. Un bilan du projet, évalué régulièrement, sera fait en mai-juin.

Les devoirs étalés toute la semaine

L'école se fonde sur des constats et des faits, explique son directeur. «Chaque année, les retours que nous avions du Cycle faisaient état d'élèves mal outillés pour prendre en charge leurs devoirs, dont l'organisation devient au secondaire quotidienne et éparpillée dans de nombreuses disciplines.» Deuxième problème: les élèves en difficulté revenaient souvent avec des devoirs non faits. «Ce sont les bons élèves qui effectuent leurs devoirs à la maison, ceux qui en auraient le moins besoin», tranche Catherine, maîtresse en 5P. Enfin, «les devoirs sont souvent un facteur de grand stress dans la relation parents-enfants», relève M. Corbat. Entre les parents en décalage avec la matière, qui ne parlent pas français ou qui travaillent beaucoup, la difficulté traverse les couches sociales.

Certes ces tâches sont censées pouvoir être effectuées sans aide et les études surveillées sont l'un des instruments pour garantir l'équité des chances. Mais la théorie est bien jolie, relève-t-on dans cette école du Réseau d'enseignement prioritaire, située à Vernier, commune la plus précarisée du canton. Quant aux devoirs surveillés, pas facile d'encadrer correctement de nombreux élèves venant de tous les degrés, expliquent les enseignantes.

Apprendre par cœur ou réviser une notion ne se décrètent pas. Pour développer la capacité de mémorisation de ses élèves de 4-5 ans (1P), Dominique leur apprend à observer, à recourir au dessin ou encore à la technique de la répétition. Les panoplies stratégiques sont multiples.

Des parents satisfaits, d'autres remontés

Au début de l'année, Malika s'est montrée dirigiste, puis a laissé toujours plus de libertés à ses élèves de 6P dans le choix des stratégies à mesure que leur confiance en soi a grandi. «Certains révisent seuls, d'autres à deux...» Autre avantage: la répétition. Car les devoirs sont étalés toute la semaine.

Grignotent-ils sur le programme d'études, sachant que celui-ci est devenu plus ambitieux avec l'introduction du mercredi matin, qui a fait passer la semaine des 8-12 ans de 28 à 32 périodes? «Au début, la gestion du temps était difficile, mais je suis maintenant plus à l'aise», répond Malika. Ses collègues insistent: les devoirs à domicile prennent aussi du temps en classe puisqu'il s'agit de les expliquer, puis de les corriger.

Beaucoup de parents sont satisfaits de bénéficier de davantage de moments en famille et d'une baisse des conflits, affirme Catherine. Jouant au basket dans la cour, un élève se dit content d'avoir plus de temps libre et de pouvoir être aidé, contrairement à la maison. «J'ai l'impression de moins apprendre», déclare au contraire son camarade.

Récemment, le directeur a reçu des parents remontés. Quarante-six parents (l'école compte 450 élèves) lui avaient écrit pour déplorer une perte de contrôle sur les apprentissages de leurs enfants. Ces parents, habitant en majorité dans la zone villas du quartier, insistaient aussi sur une baisse de niveau, ce que le directeur a contesté. Mais il a convenu qu'il fallait réfléchir à nouveau à la façon de restituer à la maison le travail accompli en classe.

Autre évolution, pas facile à faire passer auprès de certains parents: les épreuves ne sont plus annoncées. Outre d'éviter des angoisses aux élèves et aux parents, la mesure vise à éviter le bachotage, qui biaise l'évaluation des connaissances. Quoique: «Les élèves sentent quand on arrive au bout d'une notion et que l'évaluation va tomber, alors ils se préparent d'eux-mêmes, commente ­Malika. Ne pas imposer de ­révisions a développé leur ­autonomie.»

Des devoirs «ou» travaux à domicile

La directive du Département de l’instruction publique qui régit les «devoirs à domicile» précise que «les élèves de la 3P à la 8P accomplissent des devoirs ou travaux à domicile». La marge de manœuvre réside dans le «ou», affirme Yves Corbat, directeur des Ranches à Vernier, dont l’école ne donne plus de devoirs à la maison sauf pour les 7-8P – une pratique qui tranche à Genève. «Une marge de manœuvre existe dans l’organisation et le type de devoirs», valide pour sa part Isabelle Vuillemin, directrice du Service enseignement et évaluation de l’Enseignement obligatoire. Mais ce projet pilote, comme les autres, devra être évalué avant d’aller plus loin.»

Deux autres établissements se démarquent encore. Depuis 2011, dans l’établissement Pâquis, les devoirs à la maison sont exclusivement de la lecture pour les 3-6P. Mais à la suite des premiers bilans, un volet «apprentissage par cœur», tel que la conjugaison et les livrets, a été ajouté. A l’établissement du Lignon, les devoirs sont essentiellement articulés autour de l’oral de la 3P à la 6P, l’objectif principal étant de développer les capacités à la lecture.
La directive du DIP stipule que les «devoirs ou travaux à domicile» visent à apprendre à l’élève à organiser son travail et à consolider les apprentissages qu’il réalise en classe. Ils ne sont pas conçus comme une opportunité de rattraper le travail qui n’a pu être accompli en classe, ni comme un temps d’enseignement pris en charge par les parents à domicile. En 3P, ils durent une demi-heure par semaine environ et peuvent durer jusqu’à trois heures en 8P.  RA

Rachad Armanios

Source

Publié le
mar 29/01/2019 - 22:13
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