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Pas simple, le travail avec les élèves à besoins éducatifs particuliers

Soumis par SAEN le 7 février 2015

Nouvelles mesures depuis la dernière rentrée.

Est-il possible de qualifier de manière globale l'état d'esprit des enseignants de l'école obligatoire neuchâteloise, sachant qu'ils sont au nombre de 2000 environ? Pas vraiment. Mais on se lance quand même: il y a unanimité pour dire que l'entrée en vigueur, en août 2014, des mesures destinées aux élèves qui ont des besoins éducatifs particuliers (voir la définition ci-dessous) pose des problèmes dont certains ne sont pas encore résolus.

Exemple de mesure: un élève souffrant de dyslexie peut disposer de davantage de temps que ses camarades pour faire son travail ou un contrôle (un "travail écrit", comme on dit).

 
Un élève de l'école secondaire neuchâteloise planche sur un exercice de maths.
Les élèves qui ont été reconnus comme ayant des besoins éducatifs particuliers bénéficient de mesures destinées à faciliter leur apprentissage. DAVID MARCHON

"C'est une catastrophe"

Le cas des élèves à besoins éducatifs particuliers - on parle des élèves BEP - suscite diverses réactions chez les enseignants. A un extrême, ceux qui confient, comme ce prof actif dans les Montagnes: "En théorie, c'est génial, car l'école doit être la plus intégrative possible. Mais au vu des conditions dans lesquelles ces mesures sont appliquées, c'est une catastrophe. Je suis toujours aussi motivé par mon métier, mais je ne vous cache pas que j'ai posé les plaques avec l'un de mes élèves BEP. Il me prenait à lui seul un tiers d'une période de cours. Je ne l'ai pas lâché, mais désormais, je fais passer les vingt autres élèves avant lui. De toute façon, si je ne le faisais pas, c'est moi qui allais craquer..."

A l'autre extrême, il y a les enseignants pour qui les élèves à besoins éducatifs particuliers ne posent pas de problème, et cela pour diverses raisons (qui parfois s'additionnent): le collège dans lequel ils travaillent a mis à leur disposition les moyens nécessaires (par exemple en termes d'heures de soutien); l'enseignant dispose de compétences spécifiques en lien avec les troubles de ses élèves BEP; plusieurs enseignants se sont regroupés pour être plus efficaces; ou encore, le "réseau" (voir ci-dessous) de personnes qui supervise l'évolution de l'élève BEP fonctionne bien.

Au milieu, osons le dire, "il y a les profs qui s'en fichent plus ou moins" , comme nous l'ont confié des enseignants. "En simplifiant, ils font tout ce qui va dans l'intérêt de leurs élèves BEP, et même davantage. Comme ça, ils sont tranquilles avec ces élèves, avec leurs parents et avec leur direction. Et peu importe si c'est injuste par rapport aux autres élèves."

Et du côté du Département cantonal de l'éducation et de la famille, qu'en pense-t-on? Réponse de Jean-Claude Marguet, chef du Service de l'enseignement obligatoire: "Nous ne sommes pas aveugles. Les enseignants s'impliquent, et nous connaissons les problèmes que peut poser, dans une classe, la présence d'un ou plusieurs élèves à besoins éducatifs particuliers. Nous sommes conscients, aussi, que des améliorations doivent être apportées, y compris dans les moyens mis à disposition. Mais je précise que ces moyens ont été augmentés ces dernières années, notamment dans le domaine du soutien pédagogique spécialisé." Il ajoute: "Nous sommes par exemple en train de revoir le fonctionnement des réseaux et de développer un blog de partage de pratiques destiné aux enseignants."

Le chef de service, toutefois, voit dans les mesures BEP "bien plus une opportunité qu'un obstacle." Une opportunité que Jean-Philippe Favre, en charge des mesures d'adaptation au sein du SEO, résume ainsi: "Les élèves à besoins éducatifs particuliers ont toujours existé. Mais on ne mettait pas forcément des mots sur leurs troubles ou sur leurs besoins. Voire on n'en tenait pas compte, ou pas assez. Aujourd'hui, nous savons mieux ce qu'il faut faire, d'où de nouvelles pratiques."

Comme partout

De manière plus générale, Jean-Claude Marguet fait le commentaire suivant: "C'est vrai, c'est une nouveauté de plus pour les enseignants, quand bien même des directives existent depuis le début des années 2000. Comme les autres nouveautés, elle demande une période d'adaptation. Nous savons que cela ne va pas de soi, mais dans cette société qui change toujours plus vite, c'est une situation qui est vécue dans une multitude de professions."

La suite au Grand Conseil puisqu'un postulat interpartis (tous les groupes) demande au Conseil d'Etat de se pencher sur la problématique des "BEP".  Lire aussi en page 11

"ON N'ACCEPTE PLUS QU'UN ÉLÈVE AIT DES DIFFICULTÉS"

Comme la grande majorité de ses collègues, Stefan Lauper, membre du Syndicat autonome des enseignants (SAEN), voit d'un bon oeil, à priori, les mesures destinées aux élèves à besoins éducatifs particuliers (BEP). "Le problème, c'est que le Département cantonal de l'éducation, comme dans d'autres dossiers, donne l'impression d'avancer sans s'appuyer sur un plan cohérent: on demande aux enseignants d'appliquer toute une série de mesures, mais les moyens pédagogiques, matériels ou financiers sont insuffisants, ou alors n'ont pas encore été mis en place. Ajoutez toutes les autres réformes de ces dernières années et vous comprendrez pourquoi les enseignants qui s'engagent le plus sont en burn-out..."

Stefan Lauper, qui pilote au sein du SAEN un groupe de travail sur l'intégration scolaire, observe que les troubles des élèves sont mieux détectés, de surcroît toujours plus tôt. "Mais on assiste à un phénomène inquiétant de pathologisation. On n'accepte plus qu'un élève ait des difficultés. Finalement, on attend aujourd'hui de l'école qu'elle fasse réussir tous les élèves."

Il poursuit: "L'individualisation, c'est très bien, mais avec une vingtaine d'élèves, on atteint vite les limites de la démarche. Il est impossible pour un enseignant de répondre à tous les besoins de chacun de ses élèves. D'ailleurs, répondre immédiatement et systématiquement à tous les besoins d'un élève revient à le priver de toute occasion de se dépasser et de progresser dans ses apprentissages."

EXEMPLES CONCRETS DE MESURES

En prenant en compte l'ensemble des élèves à besoins éducatifs particuliers dont elles ont la charge, deux enseignantes du Littoral ont dressé la liste des mesures qu'elles doivent appliquer pour que ces élèves puissent travailler conformément aux décisions prises:

  • donner plus de temps lors des travaux écrits (contrôles);
  • faire lire le travail écrit par l'élève pour vérifier que ce qu'il a écrit correspond à ce qu'il a voulu écrire;
  • permettre l'utilisation de la tablette électronique lors des travaux écrits;
  • ne pas sanctionner l'orthographe dans les autres branches que les langues;
  • adapter les travaux écrits (moins de questions par exemple);
  • surligner en couleur certaines consignes;
  • utiliser des feuilles A3 (et non A4);
  • utiliser une police de caractères spécifique.

DÉFERLEMENT D'UNE VAGUE?

Les enseignants pour lesquels la charge liée aux élèves à besoins éducatifs particuliers (BEP) est la plus lourde officient en 8e année Harmos. Il faut dire que ce degré fait face à une autre nouveauté: la suppression des classes de transition.

Jusqu'à l'année dernière, ces classes accueillaient les élèves les plus en difficulté au terme de l'"école primaire". Désormais, ces élèves ne sont plus "retirés" des classes de 8e. Les moyens qui étaient consacrés aux classes de transition sont utilisés désormais pour soutenir les élèves qui peinent en 8e année. Le Département cantonal de l'éducation considère que "ces moyens sont suffisants, mais ils demandent aux enseignants de se coordonner pour les utiliser au mieux", selon le propos de Jean-Claude Marguet, chef du Service de l'enseignement obligatoire. Il ajoute: "Les périodes octroyées sont équivalentes, en nombre, aux ressources des années précédentes."

Des moyens suffisants? Les témoignages que nous avons recueillis ne vont pas dans ce sens: "Lors d'une période, je n'ai plus une minute à disposition, je passe tout mon temps “libre” à aider les élèves en difficulté" , témoigne un prof du Littoral.

A la suppression des classes de transition, il faut ajouter les conséquences, en 8e année, de la réforme de l'"école secondaire" (suppression des sections, introduction de deux niveaux dans certaines branches). "La pression des parents est très forte" , déplore un enseignant des Montagnes. "Certains parents font d'ailleurs tout pour que leur enfant soit reconnu comme élève BEP. Comme ça, il bénéficie de conditions de travail particulières, pour ne pas dire qu'il est privilégié. Ou alors, quand leur enfant a des difficultés à l'école, hop!, les parents vont consulter un pédopsychiatre."

Un enseignant va jusqu'à lancer: "Une vague de nouvelles difficultés a déferlé sur la 8e année. Elle atteindra la 9e à la prochaine rentrée." L'une de ses collègues renchérit: "En plus, notre direction nous a dit qu'il ne devait pas y avoir plus de redoublements qu'en 2014, car il n'y a plus de place dans les classes terminales."

DES BESOINS PARTICULIERS, C'EST QUOI?

MESURES Depuis la dernière rentrée scolaire, des mesures doivent obligatoirement être mises en place pour les enfants reconnus comme "élève à besoins éducatifs particuliers" (BEP). Ces mesures s'adressent aux élèves " qui rencontrent de grandes difficultés d'apprentissage" , cela parce qu'ils "ne peuvent pas, plus ou seulement partiellement suivre le programme de l'école ordinaire" .

DIFFICULTÉS Concrètement, les élèves BEP éprouvent des difficultés pour: voir; parler; lire; mémoriser; comprendre; écrire; corriger; planifier; se concentrer. Il s'agit notamment des élèves souffrant de dyslexie (lecture), dysphasie (langage), dyspraxie (mouvements), dysorthographie (orthographe) ou encore de trouble du déficit de l'attention (avec ou sans hyperactivité), mais aussi des élèves à haut potentiel ("enfants précoces").

ADAPTATION Les mesures destinées à faciliter la tâche des élèves BEP peuvent porter sur le travail scolaire (exercices différents, temps supplémentaire lors des contrôles, évaluation différenciée, etc.) ou être d'ordre technique (tablette informatique, mobilier adapté, outils de travail spécifiques, etc.) ou encore porter sur différents types de soutien (pédagogique par exemple). Voir aussi la liste ci-contre.

"RÉSEAU" Sur demande des parents (via un formulaire ad hoc), c'est la direction de l'école qui décide si un élève a oui ou non des besoins éducatifs particuliers. Mais la problématique "BEP" implique toute une série d'acteurs réunis sous le nom de "réseau": parents, enseignants, direction, médecin, psychologue, orthophoniste, assistant scolaire, spécialiste, services sociaux, Office de protection de l'enfance, enfin Office d'orientation scolaire.

Par PASCAL HOFER

Source (pdf)


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Profs et enfants différents à rude école 

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