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Regards croisés sur le conflit salarial

Soumis par SAEN le 22 novembre 2016

Les syndicats d’enseignants et l’Etat prennent position.

Regards croisés sur le conflit salarial
PHOTOS KEYSTONE

Qui a tort, qui a raison? Difficile de se faire une opinion dans le conflit salarial qui oppose une partie des enseignants neuchâtelois au Conseil d’Etat.

Après la grève des 9 et 10 novembre, et avant celle, peut-être, de ce jeudi (tous les ponts ne sont pas coupés), nous nous sommes approché des deux parties en leur demandant de répondre aux questions les plus chaudes. Si leurs réponses sont distinctes (en raison d’analyses différentes), elles ont accepté de le faire à l’occasion d’une rencontre commune.

Du côté des enseignants, nos interlocuteurs avaient pour noms Michel Gindrat, coprésident du Syndicat des services publics (SSP enseignants), et Pierre Graber, président du Syndicat autonome des enseignants neuchâtelois (SAEN). Du côté de l’Etat de Neuchâtel, il s’est agi de Thierry Christ, secrétaire général adjoint du Département cantonal de l’éducation et de la famille, et Raphaël Fehlmann, chef de projet et adjoint au chef du Service des ressources humaines.

Y a-t-il des perdants, dans quelles catégories et avec quelle ampleur?

En comparaisons intercantonales, les salaires actuels des enseignants neuchâtelois sont-ils plus bas ou plus élevés que dans les autres cantons suisses?

Syndicats SSP et SAEN: En raison de l’existence de divers systèmes de progression salariale, il faut comparer les salaires sur une longue durée, en l’occurrence le salaire de carrière (réd: l’addition des salaires sur toute une carrière). On constate alors que les salaires neuchâtelois sont de toute évidence parmi les moins élevés du pays, et tout particulièrement les plus bas de Romandie, y compris par rapport à Berne.

Nous n’avons pas tous les chiffres du pays. En Suisse romande, les salaires neuchâtelois sont légèrement supérieurs aux salaires vaudois à l’école primaire, si l’on excepte la 1ère et la 2e Harmos (1H et 2H). Mais sinon, Neuchâtel est partout en-dessous.

État de Neuchâtel: Il est difficile de faire des comparaisons: quels cantons choisir? Et dans quelle mesure faut-il tenir compte des conditions de travail (un exemple parmi d’autres: les allégements liés à l’âge)? Lors de l’élaboration de la grille, l’Etat a donc décidé de se concentrer sur certains cantons (VD, JU, FR et BE) et de ne comparer que deux éléments: le salaire d’une part, l’indice horaire d’autre part, soit le nombre de périodes d’enseignement par semaine.

Actuellement, en 1H et 2H, le salaire de carrière neuchâtelois est inférieur aux cantons comparés, mais avec un indice horaire plus faible également. De la 3H à la 6H, le salaire de carrière est supérieur par rapport à Berne et Vaud, et légèrement inférieur par rapport à Fribourg et au Jura, avec un indice horaire dans la moyenne. De la 9H à la 11H, le salaire de carrière est supérieur aux cantons comparés (pour l’enseignant détenteur d’un master universitaire), avec un indice horaire légèrement supérieur. Enfin, pour les lycées et les autres écoles de maturité à plein temps, le salaire de carrière est comparable, voire supérieur aux autres cantons, avec un indice horaire légèrement supérieur.

Est-il juste de dire que la nouvelle grille des salaires est calquée sur celle des enseignants du canton de Vaud?

Syndicats: Non, car ça ne fonctionne – et encore, pas tout à fait – que pour les enseignants du niveau primaire, sauf pour les deux premiers degrés, où Neuchâtel reste très en retrait. Par ailleurs, les conditions de travail sont bien meilleures dans le canton de Vaud: nombre de périodes, périodes de décharge, accession à la retraite, etc. Sans compter que les salaires vaudois pour l’enseignement primaire sont anormalement bas et qu’il ne fait aucun doute qu’ils seront revus à la hausse dans un avenir relativement proche.

État: La nouvelle grille s’approche des autres cantons romands en général, avec une progression en 25 paliers plutôt que dix jusqu’ici. Les valeurs salariales auxquelles parviennent les courbes de progression selon la nouvelle grille sont effectivement proches des valeurs vaudoises.

Avec la nouvelle grille, quelles catégories d’enseignants actuellement en fonction sont touchées par une diminution de salaire?

Syndicats: Il n’y a pas à proprement parler de diminution de salaire. Pour ceux qui sont déjà au maximum, soit environ 60% des enseignants, la nouvelle grille ne change rien. Par contre, ceux qui ne sont pas encore au maximum (moins de douze ans de métier) sont perdants. Plus ils sont en début de carrière, plus ils perdent. Cela peut aller jusqu’à 6% de perte environ.

État: En 1H et 2H, l’échelle 2017 comprend des valeurs provisoires qui vont être progressivement augmentées, mais les calculs sont impossibles à ce stade. De la 3H à la 6H, la nouvelle échelle a été construite de manière à ce que le salaire de carrière demeure inchangé. Toutes les autres catégories sont touchées par une diminution du salaire de carrière qui se situe entre 0,3% et 5%. Cette diminution a amené le Conseil d’Etat à proposer des compensations liées aux conditions de travail. Certaines doivent être mises en œuvre prochainement, d’autres sont encore en discussion.

Avec la nouvelle grille, les nouveaux enseignants engagés seront-ils mieux ou moins bien traités que les enseignants actuellement en poste?

Syndicats: Ils seront tous perdants, sauf les nouveaux enseignants du primaire… qui seront mieux payés durant trois à cinq ans, avant de perdre bien davantage. C’est comme si l’Etat se comportait en institut de crédit, qui prête une somme pour quelques années avant d’en récupérer bien davantage. En 1H et 2H, par exemple, il y aura un manque à gagner d’environ 92 000 francs après 30 ans de carrière. Dans toutes les autres catégories, les nouveaux enseignants sont moins payés, et cela dès le départ: 778 francs par mois pour un professeur de lycée débutant, 593 francs au cycle 3 pour un professeur avec master universitaire, 316 francs avec un bachelor.

De façon absolue, ce sont les hautes classes qui seront le plus touchées. Mais sur un salaire de carrière de 35 ans, toutes les classes perdent entre 1,37% et 6,6%.

État: Pour les 1H et 2H, cela dépendra de négociations encore à mener, mais nous allons vers une revalorisation globale: dès le 1er janvier 2017, le salaire initial sera augmenté de 380 francs par mois. De la 3H à la 6H, l’amélioration du salaire initial (240 francs de plus) et du salaire maximal (340 francs à terme) compensera intégralement une progression qui sera plus lente qu’auparavant. Pour les autres catégories, la diminution de l’ordre de 0,3% à 5% du salaire de carrière ne pourra pas nécessairement être compensée partout, mais il y aura des compensations via des améliorations des conditions de travail, dont certaines à négocier. En résumé, certains enseignants verront leur situation s’améliorer, tandis que d’autres verront leurs perspectives globales diminuer.

Est-il vrai qu’avec la nouvelle grille, toutes les catégories d’enseignants verront leur maximum salarial être augmenté?

Syndicats: Oui, sauf pour les professeurs de lycée. Mais la hausse sera beaucoup moins élevée que ce qui aura été ponctionné auparavant. Et pour l’heure, ce n’est qu’une promesse, aucune date d’entrée en vigueur n’a été annoncée.

État: Oui, sauf pour les titulaires de la classe de traitement supérieure, les enseignants de lycée notamment.

Est-il vrai que les pertes sur l’ensemble d’une carrière, avec la nouvelle grille, seront situées entre environ 50 000 et 300 000 francs selon la catégorie d’enseignants?

Syndicats: Tout dépend de la durée prise en compte. Après 35 ans de carrière, par exemple, la perte varie entre 47 000 francs au niveau primaire et 308 000 francs au lycée. Après 40 ans, cela varie entre 25 000 francs en primaire et 308 000 au lycée.

État: Non. D’une part, certaines catégories ne voient pas leur salaire de carrière diminuer. D’autre part, en ce qui concerne les catégories pour lesquelles c’est le cas, le Conseil d’Etat a prévu de diminuer le nombre de périodes par semaine. En prenant également en compte l’augmentation liée à la caisse de remplacement, la perte sur le salaire de carrière, pour les catégories touchées, s’élèvent à un maximum de 224 000 francs.

Peut-on dire que la reprise par l’Etat des coûts de la caisse de remplacement correspond à une augmentation nette de 0,67% pour tous les enseignants?

Syndicats: Oui, mais il s’agit seulement de la correction d’une injustice qui visait uniquement les enseignants neuchâtelois, à l’exclusion de tous les autres enseignants. Dans aucune autre profession on ne demande au salarié de participer au paiement du salaire de son remplaçant en cas de maladie.

État: Oui. Actuellement, le salaire de chaque enseignant est ponctionné d’une cotisation de 0,67%, ponction dont il est prévu qu’elle disparaisse à la rentrée d’août 2017. Le salaire net des enseignants sera donc augmenté d’autant.

Plusieurs grilles de lecture (Édito)
 

La nouvelle grille salariale des enseignants neuchâtelois justifie-t-elle qu’une partie d’entre eux se soient mis en grève? Et qu’ils remettent peut-être ça après-demain? Ou plus simplement: jusqu’à quel point la politique salariale mise en place par le Conseil d’Etat péjore-t-elle leurs futurs revenus? On peut en débattre des heures durant. Le dossier est technique, complexe, et les syndicats comme le gouvernement avancent chacun des arguments parfaitement légitimes.
 

Dans cette édition, nous donnons la parole aux deux parties. Elles tirent de cette fameuse grille des conclusions parfois divergentes et aboutissent à des chiffres qui ne sont pas forcément les mêmes. La faute à des interprétations et à des critères différents. Tout dépend, aussi, d’un paramètre majeur: les conditions de travail. Le nombre de périodes d’enseignement par semaine doit bien sûr être pris en compte. Mais quelle importance accorder aux diverses formes d’allègements, à l’âge d’accession à la retraite ou à divers types d’allocations?
 

Sans parler des conditions de travail au sens premier du terme... Or sur ce plan, les problèmes sont réels. Pas à tous les degrés de la scolarité. Pas dans tous les centres scolaires. Pas pour tous les enseignants. Mais problèmes il y a clairement, fruit d’une accumulation qui, dans certains cas, a rendu le métier extrêmement pénible.

C’est ainsi que si les syndicats, dans un premier temps, n’ont hélas parlé que des salaires, le sujet a ensuite été lié à la pénibilité de la profession. Bon nombre d’enseignants, syndiqués ou non, se sont alors joints à leur combat, non seulement pour défendre leurs intérêts, mais aussi ceux des élèves.
 

Car il est d’abord là, le principal problème de l’école neuchâteloise, dans ces conditions de travail qui ont été alourdies au fil des ans par des réformes aussi nombreuses que conséquentes, par l’intégration dans les classes d’élèves «différents» – on pense en premier lieu aux BEP, les élèves à besoins éducatifs particuliers –, cela avec des moyens financiers certes supplémentaires, mais insuffisants. Et le plus souvent sans la moindre formation. Ajoutez une société où tout change à la vitesse grand V, et vous comprendrez pourquoi ceux des enseignants qui s’investissent le plus sont à bout de souffle. Au-delà du seul aspect salarial, il appartient à leur employeur de corriger le tir.

Par Pascal Hofer

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