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«Sans école, les villages meurent»

Soumis par SAEN le 30 janvier 2016

ENSEIGNEMENT - Un comité citoyen fait la promotion des classes multi-degrés

Annemarie Balmer, Claude Braun et Sophie Veya (de gauche à droite) se battent pour des classes multi-degrés dans les villages jurassiens. BIST

Passer de 60 à 35 élèves en 15 ans, c’est la dure réalité qui frappe les villages de Soulce et Undervelier, dans la commune jurassienne de Haute-Sorne. Sur les deux collèges que possédaient ces villages, un seul, celui de Soulce, est toujours ouvert. Une situation difficile pour des localités périphériques, qui voient leur population diminuer et les familles se déplacer vers des centres urbains plus importants. Loin d’être une exception, un comité citoyen s’est formé à travers le Jura à l’automne 2015. Son but: promouvoir les classes multi-degrés pour sauver les petits collèges de campagnes.

Argument pédagogique

Constatant cette chute démographique, le comité avait proposé, l’année dernière, de constituer deux classes regroupant les degrés 1 à 8, soit les cycles Harmos un et deux (de 4 à 11 ans). «Nous nous sommes heurtés à un mur de refus, car le Jura ne prévoit pas officiellement ce principe de mixité au-delà de deux degrés», explique Claude Braun, membre fondateur du comité.

Dès lors, trois des quatre classes de ces villages avaient été fermées. Un coup dur pour les élèves désormais obligés de se rendre à Glovelier pour poursuivre leur enseignement obligatoire et pour leurs parents.

Si le comité reconnaît que ce type de classe multi-degrés représente un grand défi de mise en place, il ne comprend toutefois pas les arguments des opposants. «Ils reprochent à ces classes de donner trop de travail aux enseignants, alors que nombre d’entre eux sont favorables à une telle démarche pédagogique», rétorque Annemarie Balmer, maire des Enfers, dans les Franches-Montagnes, et membre du comité citoyen. «Pour preuve, lors de la mise au concours de notre poste d’enseignant pour une classe regroupant pour certains cours jusqu’à quatre degrés, nous avons reçu 18 candidatures», souligne l’élue. Pour elle, pas de doute, les classes multi-degrés (ou multi-âges) permettent un développement de l’enfant sans pareil. «L’autonomie, l’entraide et les compétences sociales sont mieux développées dans ce type de classe. Plusieurs études scientifiques le prouvent», déclare Sophie Veya, membre fondatrice du comité, faisant notamment référence au mémoire de Bachelor d’Olivia Fringeli de la Haute école pédagogique (HEP) Bejune. «Contrairement aux classes à degré unique où une forme de compétition se crée, les classes «mixtes» permettent aux enfants de s’impliquer dans l’organisation de la classe. Les plus grands aident les plus petits, ce qui permet d’asseoir leurs connaissances et de développer des qualités sociales. Les plus petits, eux, sont motivés par le soutien de leurs «parrains» et sont stimulés par leur savoir. C’est la soif d’apprendre», continue Sophie Veya, éducatrice.

Mais du côté des parents, ressort souvent la crainte que leur enfant soit pénalisé par un élève plus en difficultés, qui monopoliserait davantage l’attention de l’enseignant. «Des études le prouvent, les résultats des élèves de classes multi-degrés sont similaires, voire meilleurs, que ceux d’élèves de classe à degré unique», répond Sophie Veya.

Débats au Parlement

Une réponse qui va dans le même sens que celle de Lucien Kohler (lire encadré), enseignant dans la classe multi-degrés des Enfers. «Concrètement, la classe avance ensemble la majorité du temps, mais chacun à son rythme. Les élèves les plus avancés peuvent alors aider ceux qui le sont moins, car plus petits, ce qui me laisse le temps de m’occuper des élèves qui rencontrent des difficultés», explique-t-il.

Si le débat citoyen est désormais lancé, il atteindra également les murs du Parlement, le 24 février. Une motion du groupe CS-POP et Verts demande effectivement au Gouvernement jurassien de «prendre les mesures nécessaires pour que les classes multi-degrés puissent devenir une alternative possible aux classes à degré unique et de prévoir un complément de formation aux enseignants concernés».

La position du Gouvernement n’est pour l’heure pas connue (lire interview), bien qu’une dizaine de parlementaires aient d’ores et déjà affiché leur soutien au comité citoyen.

Solution d’avenir

En résumé, si des classes multi-degrés existent déjà dans le canton, elles ne sont pour l’heure pas reconnues comme alternatives officielles. Une décision politique permettrait d’asseoir ce type d’enseignement, tout en reconnaissant sa valeur pédagogique comme solution d’avenir.

Pour les villages concernés, il serait dès lors plus facile de maintenir des classes et, donc, d’enrayer la baisse démographique. Un objectif commun avec la stratégie cantonale de développement 2030, comme le rappelle Annemarie Balmer: «Sans écoles, les villages meurent. Il faut renforcer la vie sociale pour maintenir la population.»

Des anciens élèves très satisfaits

Si quelqu’un s’y connaît en classe multi-degrés, c’est bien Lucien Kohler. Cet ex-enseignant chaux-de-fonnier en est effet à sa 14e année dans ce type de formation. Pour lui, le constat est clair: «Je ne me vois pas enseigner autrement!»

En poste depuis un an aux Enfers, dans les Franches-Montagnes, il a auparavant enseigné à La Chaux-de-Fonds, dans une classe regroupant les degrés trois à cinq, soit des élèves âgés de 6 à 9 ans. Un challenge qui porte ses fruits. «C’est une solution pédagogiquement parfaite. L’autonomie des élèves est renforcée et les compétences sociales également. C’est un stimulant immense pour les grands comme pour les petits. Par ailleurs, ce système permet une relation de longue durée entre le prof, les élèves et les parents», explique-t-il.

Pour illustrer à quel point la méthode est bonne, l’enseignant dégaine un argument de poids: «L’école de La Chaux-de-Fonds plaçait des enfants en difficulté dans ces classes (réd: il y en avait six à l’époque, lire encadré) pour les aider. Et ça fonctionnait!»

Mais voilà, le cercle scolaire de la Métropole horlogère a finalement décidé de supprimer cette classe, invoquant des raisons organisationnelles et reprochant le manque d’homogénéité d’une telle structure. «Je ne comprends pas cette décision, d’autant que parents et élèves défendaient cette manière de faire. Je croise aujourd’hui d’anciens élèves, qui ne gardent que de bons souvenirs de cette classe», déplore Lucien Kohler.

Une décision étrange, dès lors que la stratégie cantonale défend le principe d’hétérogénéité des classes. «Il est faux de penser qu’une classe à degré unique est homogène. Chaque enfant à ses particularités, ce qui crée un métissage enrichissant», conclut Jean-Claude Marguet (lire encadré).

Deux questions à...
Martial Courtet, ministre jurassien de la formation et de la culture

Un canton ouvert au dialogue

Quelle est la position du Gouvernement concernant les classes multi-degrés?

Comme la motion du groupe CS-POP et Verts n’a pas encore été débattue au Parlement, je ne peux pas répondre à cette question. Mais la politique du Service de l’enseignement (SEN) jurassien est assez claire. Les classes multi-degrés à deux niveaux existent. Pour ma part, j’estime qu’au-delà de deux niveaux, cela devient difficile pour les enseignants eux-mêmes d’atteindre les objectifs du Plan d’étude romand (PER). Car plus les degrés sont mélangés, plus la mission devient impossible.

Il n’y aura donc pas de classes à plus de deux degrés?

Nous ne voulons pas faire de dirigisme. Ça ne réjouit personne de fermer des écoles et le canton du Jura n’a jamais été fermé au dialogue. Il faut voir au cas par cas.

Le cas neuchâtelois

Dans le canton de Neuchâtel aussi, la fermeture de petits collèges avait fait couler beaucoup d’encre l’année dernière. Les collèges du Valanvron et du Bas-Monsieur, près de La Chaux-de-Fonds, avaient fermé leurs portes (nos éditions des 31 mars et 7 mai 2015).

Des classes multi-degrés auraient-elles pu sauver ces collèges? «Oui, en effet. Ces classes auraient pu être maintenues dans certaines conditions. La politique cantonale permet ce type d’organisation; elle y est d’ailleurs favorable, particulièrement pour les deux premières années de la scolarité», répond Jean-Claude Marguet, chef du Service de l’enseignement obligatoire neuchâtelois. «Mais il y a toutefois une condition. Il aurait fallu que des classes chaux-de-fonnières augmentent leur nombre d’élèves pour compenser ces petites classes périphériques. En effet, la moyenne d’élèves par classe est de 18 au cycle 1, 19 au cycle 2 et 20 au cycle 3. Comprenez que si une classe du cycle 1 est dotée de huit élèves, cinq autres classes devraient, elles, compenser en accueillant 20 élèves pour maintenir la moyenne, qui fait foi en matière de subventions».

Mais voilà, si la stratégie cantonale soutient ce type de démarche, il revient aux cercles scolaires de décider, en fonction de leur propre organisation. «Dans ce cas, le cercle chaux-de-fonnier a privilégié une autre stratégie», commente Jean-Claude Marguet.

Pour en revenir aux classes multi-degrés, le canton de Neuchâtel en compte 262 sur les 747 que comptent les cycles 1 et 2. Parmi elles, une majorité (254), sont des classes à deux degrés, dans le premier et le second cycle. Six autres englobent les degrés un à quatre (Buttes, Noiraigue, La Côte-aux-Fées, Saint-Sulpice, Le Crêt du Locle et Le Pâquier). Deux seulement regroupent les degrés un à cinq, à savoir les classes des Planchettes et de Chaumont.

A noter encore qu’environ 40% des classes de cycles 1 et 2 au niveau national sont des classes multi-degrés. De quoi inspirer les élus jurassiens?

Par Lucien Christen

Source (PDF)

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