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Une optimiste pour jeter des ponts entre les cultures

Soumis par SAEN le 23 juin 2017

Monika Maire-Hefti, conseillère d’Etat neuchâteloise, est en première ligne pour combattre la guerre des langues. Son arme? L’exemple!

«J’étais très anguleuse. J’ai toujours agi sans peur des autres. Je suis spontanée, ce qui me joue parfois des tours. Et j’exprime volontiers mon opinion»
«J’étais très anguleuse. J’ai toujours agi sans peur des autres. Je suis spontanée, ce qui me joue parfois des tours. Et j’exprime volontiers mon opinion» - Image: PATRICK MARTIN

Ouverture culturelle. Après les salutations d’usage, ce sont les premiers mots de Monika Maire-Hefti. Des mots qui reviendront en boucle ponctuer son discours, tout comme les éclats de rire de la conseillère d’Etat neuchâteloise. On savait la patronne de l’Instruction publique d’origine alémanique. C’est pourtant une vraie Latine que l’on rencontre, joyeuse, optimiste, gourmande. Dans son bureau aux fenêtres largement ouvertes sur la cour, tout respire le sud. La chaleur de l’accueil, les couleurs du décor et ce joyeux désordre fort peu ministériel: un bonnet de laine oublié sur le dos d’un canapé, des photos d’enfants accrochées au mur, une boîte de chocolats à disposition des visiteurs. Ici, c’est la vie. Et lorsqu’on demande à la maîtresse des lieux si elle aime son job de conseillère d’Etat, la réponse fuse: «J’adore! C’est une tâche merveilleuse, un vrai cadeau.»

Pour y arriver, Monika Maire-Hefti a gravi tous les échelons, du Législatif de sa commune des Ponts-de-Martel jusqu’aux portes du Château. Si les convictions de gauche sont là depuis très longtemps, le déclic se fait à la naissance d’un quatrième enfant, handicapé. «J’ai ressenti le besoin de m’engager activement au service des plus faibles», explique-t-elle. Une longue route, où elle doit apprendre «à arrondir les coins et à négocier». Question de tempérament, qu’on devine bien trempé. «C’est vrai que j’étais très anguleuse. J’ai toujours agi sans peur des autres. Je suis spontanée, ce qui me joue parfois des tours. Et j’exprime volontiers mon opinion. Je peux reconnaître que je me suis trompée, mais je sais aussi affirmer mes décisions, même si elles ne plaisent pas.»

Dialogue et confrontation

Une qualité utile lorsqu’on siège dans un gouvernement de mauvais temps. En crise, Neuchâtel cherche toujours ce deuxième souffle qui lui permettra de s’inventer un avenir. En attendant, il s’agit de réformer l’Etat, et de tailler dans les dépenses. Au risque de déplaire. Monika Maire-Hefti a dû faire face à une grève du personnel enseignant. Son cœur de socialiste comprend la révolte, mais elle ne cède pas. «La situation financière et les nécessités du moment n’ont peut-être pas permis de nouer un véritable dialogue», avoue-t-elle avec regret.

Le sens du dialogue est en effet une des valeurs que la conseillère d’Etat revendique haut et fort. Un goût qui lui vient de l’enfance. La petite Monika grandit près de Winterthur. Milieu populaire, un père qui travaille sur les chantiers, une mère immigrée italienne qui s’occupe du foyer. Ce sont les années Schwarzenbach et l’on parle beaucoup politique à la maison. On imagine son père de gauche. Tout faux. D’extrême gauche alors? «Pire que ça. UDC! Mon père était à l’opposé de toutes mes convictions, surtout dans sa manière de voir les autres non pas comme une ouverture ou une chance, mais comme une menace. Ma mère, elle, ne disait rien. Elle s’était battue pour se créer une vie en Suisse, et elle pensait que tout le monde devait faire pareil, analyse-t-elle avec du recul. Même si elle avait été blessée par l’accueil réservé aux immigrants, au moment où elle a reçu son passeport helvétique, à son mariage, elle est devenue totalement Suisse.»

Amour et politique

L’adolescente, elle, a le goût des autres et de la découverte. Trop jeune pour entrer à l’école d’infirmière, elle vient en stage dans les Montagnes neuchâteloises pour apprendre le français. Et y rencontre un certain Jacques-André Maire. C’est l’homme de sa vie, elle le sait. Mais elle entend d’abord poursuivre son projet de formation. «Un mariage n’est plus une assurance. Je voulais pouvoir subvenir à mes besoins.» Elle obtient son diplôme à Zurich et revient quelques semaines plus tard à Neuchâtel pour épouser Jacques-André.

Le couple est uni par les mêmes valeurs, à commencer par la foi. «La spiritualité m’a toujours portée. Aujourd’hui encore, j’y puise ma force», témoigne-t-elle. Tous deux s’engagent également en politique. Jacques-André Maire est conseiller national, tandis qu’elle siège au gouvernement. Alliés ou concurrents? «Nous avons toujours fait attention de ne pas être au même échelon de pouvoir. J’avais d’ailleurs des réticences à me lancer pour le Conseil d’Etat, alors que lui était au Conseil national. J’aurais pu entendre qu’on nous le reproche. Mais cela n’a pas été le cas. Les Neuchâtelois m’ont choisie en toute connaissance de cause.»

Un choix reconfirmé ce printemps. Monika Maire-Hefti entame donc son deuxième mandat à la tête de l’Instruction publique. Elle préside également la Conférence latine des directeurs cantonaux de l’instruction publique et, depuis ce jeudi, assure la vice-présidence de la Conférence au niveau national. Elle est donc en première ligne sur le front de la guerre des langues.

Langue et cohésion

Pas question pour elle de reculer ne serait-ce que d’un pouce sur l’enseignement du français et de l’allemand en primaire. «La langue, c’est un moyen d’approcher l’autre dans sa culture. Notre vivre ensemble serait beaucoup plus facile si tous les Suisses connaissaient la langue de l’autre», affirme la ministre, qui demeure confiante pour l’avenir du concordat sur les langues nationales. «On l’a vu lors des votations, les gens sont attachés à une Suisse multilingue. C’est une des clés de la cohésion nationale. Mais nous ne devons pas relâcher la pression.»

Cette parfaite trilingue (sa langue maternelle est l’italien) croit en l’apprentissage précoce de la langue par immersion. Le Canton de Neuchâtel vient d’ailleurs d’être primé pour le projet Prima de sensibilisation à l'allemand à l’école enfantine. L’idée peine cependant à essaimer dans les autres cantons romands, faute de trouver des enseignants suffisamment à l’aise pour parler allemand en classe. Dès la rentrée 2018, la Haute Ecole pédagogique BEJUNE va offrir une formation bilingue.

Engagée à 200% dans son mandat, Monika Maire-Hefti a-t-elle encore du temps pour elle? Le sourire se fait gourmand lorsqu’elle acquiesce. «Bien sûr. J’aime trop la fête, j’aime trop les gens pour rester enfermée dans la prison du pouvoir.»

Judith Mayencourt, 24 heures

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