Aller au contenu principal

Violence des jeunes: des chiffres qui font mal

Soumis par SAEN le 10 mai 2009

La rue et les faits divers renvoient un sentiment de violence accru chez les jeunes; les spécialistes restaient toutefois divisés jusqu'ici sur la réalité chiffrée du phénomène

Selon une étude inédite des assureurs, le doute n'est plus permis: les jeunes victimes de bagarre ont triplé ces 15 dernières années!

Les assurances accidents s'apprêtent à publier une étude statistique qui va relancer le débat sur la montée de la violence chez les mineurs et les jeunes adultes. «Le Matin Dimanche» a pu lire en primeur ce document qui sera publié la semaine prochaine. Et ses conclusions sont brutales: les cas de violence ont doublé en général depuis les années 1990. En chiffres absolus, on est passé de 5000 cas en 1991 à 9300 en 2006. La classe la plus touchée est celle des jeunes hommes entre 15 et 24 ans, chez qui les victimes de bagarre ont carrément triplé (voir l'infographie).

Cette étude basée sur les cas soumis aux assurances accidents peut difficilement être qualifiée de subjective. Elle tombe au moment où le Conseil fédéral doit décider de mesures de prévention auprès des jeunes. En fait, le rapport est déjà prêt et doit être avalisé mercredi prochain par le gouvernement. Les chiffres des assureurs n'auront donc pas pu être pris en compte, ce qui peut apparaître regrettable.

Bataille d'experts

En effet, les études et les statistiques de la criminalité à disposition jusqu'ici ont divisé les spécialistes sur les conclusions à en tirer. A tel point que le Conseil fédéral avait conclu l'année dernière que «l'ampleur et l'évolution de la violence des jeunes ne peuvent pas être appréhendées de manière fiable». En gros, tout le monde était d'accord pour dire qu'il y avait une tendance à la hausse. Mais, pour certains, un effet de pondération devait être pris en compte, sachant que c'est aussi la tendance à porter plainte qui est à la hausse et qui nourrit la statistique de la criminalité au chapitre des agressions.

Une toute petite minorité

«Avec nos chiffres, il n'y a plus à discuter: l'augmentation de la violence est bien réelle chez les jeunes», résume Bruno Lanfranconi, auteur de l'étude et chef du secteur statistique de la Suva. «En tant que père de famille et voyant ce qui se passe dans notre quotidien, je n'ai pas été étonné que nos chiffres montrent une telle évolution», ajoute le scientifique. Il rappelle que c'est une toute petite minorité qui est touchée par cette violence (0,7% des jeunes assurés chaque année), mais qu'il ne faut pas pour autant minimiser le problème.

Les assureurs insistent aussi sur le prix: ils ont déboursé 65 millions de francs en 2006 pour des cas de violences physiques, tous âges confondus et allant du simple contrôle médical à l'invalidité et au décès.

Quatre grandes tendances

Très fouillée, l'étude révèle encore quatre grandes tendances:

  • L'augmentation de la violence n'est pas seulement alarmante chez les mineurs mais chez les jeunes adultes aussi. La gravité des blessures augmente avec l'âge. Les blessures sérieuses n'apparaissent qu'à partir de 17 ans.

  • Chez les hommes, les bagarres ont le plus souvent lieu en fin de semaine, tard la nuit ou au petit jour, dans des établissements publics et dans la rue.

  • Les femmes ne sont pas épargnées, mais les cas de violence sont trois fois plus rares chez elles que chez les hommes. La catégorie la plus touchée concerne les jeunes étrangères mariées lors de conflits conjugaux.

  • Si les statistiques de la criminalité sur les auteurs d'agressions montrent que les jeunes immigrés, notamment d'ex-Yougoslavie, sont surreprésentés, l'étude sur les victimes ne démontre pas de différence notable entre Suisses et étrangers.

Cette semaine, le Conseil fédéral devrait apporter des pistes pour enrayer cette douloureuse spirale...

Deux experts réagissent

Professeur en criminologie à l'Université de Zurich, Martin Killias a toujours douté des théories visant à relativiser la montée de la violence chez les jeunes. La publication prochaine de l'étude des assureurs n'est donc pas pour lui déplaire. «Au début des années 70 déjà, j'avais tenté d'obtenir des chiffres, soupçonnant que les assureurs ont des données intéressantes, mais ils se rebiffaient à l'époque! Leur démarche est donc à saluer.» Le criminologue est-il étonné par le résultat? «Non, j'y vois la confirmation d'un message que j'ai toujours défendu: on peut admettre que les cas bénins de violence n'explosent pas chez les jeunes, mais il en va autrement des cas graves. Ce que démontrent aussi les rapports de police et des urgences dans les hôpitaux.»

Chef de la Sûreté de la police cantonale neuchâteloise, Olivier Guéniat fait partie des experts consultés par le Conseil fédéral pour évaluer les mesures de prévention contre la violence des jeunes, mesures qu'il doit présenter la semaine prochaine. Estime-t-il que ces nouveaux chiffres changent la donne? «Non, je ne suis pas du tout surpris, j'aurais même fait un pronostic plus pessimiste encore. Ces chiffres en recoupent d'autres, mais ils restent en dessous du 1% de jeunes concernés. Il s'agit donc de la pointe de l'iceberg, sachant que lors de sondages un quart des mineurs estiment avoir été confrontés à la violence.» Alors que faire? «Commencer par investir un demi-milliard de plus dans l'enseignement serait un investissement sensé. Créer de l'intelligence et de l'estime de soi, voilà la priorité.»

Ludovic Rocchi - le 09 mai 2009, 22h27
Le Matin Dimanche

Source

Mots-clés associés