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Violence à l’école, comment en sortir ? Tout a déjà été dit, tout reste à faire.

Soumis par SAEN le 2 avril 2010

Nul doute que les violences scolaires ne soient un problème. Comme les violences conjugales et familiales, les violences urbaines, les violences économiques et sociales ou les violences dans les médias. En toute logique, il faudrait donc multiplier les "états généraux" afin de "sécuriser" tout cela ! A moins de comprendre enfin que tous ces phénomènes renvoient à un modèle de société qui exaspère les pulsions archaïques, engendre l'exclusion systématique des plus faibles et les condamne à la résignation amère ou à la revanche brutale...

Il faudra bien, un jour, regarder de près les corrélations entre, d'une part, un système économique fondé sur la surchauffe consommatoire et l'organisation des rivalités à tous les niveaux, et, d'autre part, le choc des égoïsmes, la montée des agressions psychiques et physiques, le développement du tribalisme et le délitement du lien social. Nous n'avons pas assez pris la mesure de la situation inédite que nous vivons : disparition des tutelles théocratiques qui contenaient les forces centrifuges - c'est l'avènement de la démocratie... 

Et triomphe d'un libéralisme autoritaire qui exige, en même temps, la liberté absolue pour les marchands d'excitants et la répression féroce pour les excités : c'est le signe de notre incapacité à construire démocratiquement le bien commun. Un changement radical de logiciel politique s'impose donc. C'est le défi majeur pour notre société comme pour notre école.

Si l'on veut, néanmoins, traiter de manière spécifique la question des violences scolaires, sachons que la tradition pédagogique et les recherches en éducation ont déjà stabilisé les choses : en réalité, tout a été dit, mais tout reste à faire. Nous savons qu'il faut créer des unités pédagogiques à taille humaine encadrées par des équipes stables, favoriser l'engagement des professeurs dans des projets partagés, leur permettre d'assurer une présence éducative dans l'établissement en plus de leurs heures d'enseignement.

Rituels structurants

Nous savons aussi qu'il faut mettre en oeuvre des activités d'apprentissage où les rapports de force puissent faire place à l'exigence de rigueur, de précision et de vérité, qu'il faut instituer des rituels structurants permettant de faire baisser la tension et de créer l'attention, qu'il faut associer, au quotidien, l'écoute attentive avec la ferme obligation de surseoir au passage à l'acte. 

Nous savons, enfin, qu'il faut développer l'éducation artistique et sportive pour permettre aux élèves de métaboliser leur violence intérieure et d'apprendre la maîtrise de soi... Tout cela suppose une véritable formation pédagogique des enseignants et un accompagnement spécifique pour les situations les plus difficiles.

Le gouvernement et le ministère de l'éducation nationale pourraient donc agir. Mais ils sont paralysés : les réductions de postes interdisent tout renforcement des équipes, le barème impose de nommer les enseignants les plus inexpérimentés dans les situations les plus difficiles, l'administration, de plus en plus caporalisée, bloque toute initiative et se replie sur des modalités d'organisation obsolètes, l'idéologie antipédagogique dominante décourage toute initiative et ne laisse guère aux professeurs que le choix entre la dépression et la répression... 

Et, surtout, il faut rassurer la droite en lui offrant une politique sécuritaire qui, au mieux, fera disparaître les symptômes, mais ne soignera pas les causes des violences.

L'organisation des Etats généraux de la sécurité à l'école constitue ainsi une initiative habile : elle affiche une ambition rassurante pour l'électorat inquiet de la montée des désordres scolaires. Et elle mobilise des experts qui vont proposer, une nouvelle fois, des solutions déjà éprouvées, mais que nul n'envisage de mettre en oeuvre. On peut s'attendre au pire ! A un affichage sécuritaire et un étalage de lieux communs bienveillants : portiques de sécurité et encouragements pieux à la concertation. 

Mais on peut aussi espérer mieux : une analyse des raisons pour lesquelles nos intentions générales et généreuses ne parviennent pas à s'incarner, un regard lucide sur le manque de courage politique de ceux qui se sont partagé le pouvoir ces dernières années, et l'affirmation qu'il faut prendre le problème à sa racine, en repensant l'école pour qu'elle devienne un lieu de transmission de connaissances et de formation à la citoyenneté. Un beau chantier.

Philippe Meirieu est professeur à l'université Lumière-Lyon-II, vice-président chargé de la formation de la région Rhône-Alpes (Europe Ecologie).

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