Après le temps des carnets, nous revoilà à l’époque des entretiens de parents. Dans les corridors des collèges, des mamans et des papas attendent patiemment leur tour. À la salle des maîtres, des enseignants viennent profiter d’un petit moment de répit entre deux entretiens, certains sont épuisés, d’autres enthousiastes face à une situation qui se débloque; parfois, des collègues au bord des larmes aspirent à un peu d’empathie.
Si la majorité des entretiens se déroule de manière constructive et dans une écoute réciproque, il y a parfois des choses difficiles à dire, mais surtout aussi à entendre. Ceux d’entre nous qui ont des enfants le savent bien: cet enfant que nous avons rêvé, que nous aimons par-dessus tout, la chair de notre chair est notre plus grande fierté. Au fil du temps, nous apprécions ses forces, mais — tout au fond de nous — découvrons aussi ses fragilités. Si une large majorité des parents sont lucides face aux compétences et faiblesses de leur progéniture, certains ont toutefois plus de mal à admettre la réalité.
Nous avons tous connu ces moments délicats où il faut confronter à la réalité des parents dans le déni et les obliger à faire le deuil de l’enfant idéal. Pour certains, c’est une délivrance, pouvoir mettre des mots sur les maux permet d’aller de l’avant. Pour d’autres, c’est un coup de poing dans le ventre. Ainsi, une maman dont l’enfant souffrait d’un retard mental dû à un manque d’oxygène lors de la naissance m’avait raconté qu’elle avait traité les enseignantes de son enfant «de tous les noms d’oiseaux» lorsqu’elles lui ont fait prendre conscience des difficultés de son fils. Des années plus tard, toutefois, elle est allée s’excuser et les remercier de leur travail et de leur bienveillance.
Si on est préparé à affronter la douleur des parents dans de tels entretiens, d’autres nous surprennent. De plus en plus de parents attendent des miracles de l’école et en veulent alors aux enseignants si l’enfant rencontre des problèmes malgré les mesures mises en place. Face à des résultats qu’ils jugent non représentatifs des réelles compétences de leur enfant, ils mettent en cause toute sorte d’éléments: la place occupée dans la classe, l’enseignement dispensé, l’ambiance avec les camarades, voire un regard du maître empêchant leur enfant de manifester ses réelles capacités. Parfois, ils se présentent avec de véritables dossiers à charge, décortiquant chaque document pour désigner le vrai responsable à leurs yeux. Pris au dépourvu, sur la défensive, difficile pour les professionnels que nous sommes de rester calmes et ouverts afin de trouver un dénouement positif à cette confrontation.
Rapport français sur le suivi des risques psychosociaux au travail
Le rapport Gollac1, qualifie cet aspect du métier comme un «travail émotionnel», qui «consiste dans l’interaction avec ses bénéficiaires, à maîtriser et façonner ses propres émotions, afin de maîtriser et façonner les émotions des bénéficiaires du travail.»
Cette exigence émotionnelle fait partie intégrante de notre métier. Face aux élèves, il faut arriver à gérer des situations difficiles en restant calme et posé. L’enseignant doit être capable d’adopter cette même attitude face à des parents dans le déni ou en souffrance.
Une question de formation
Mais en sommes-nous capables? Lors de notre formation initiale, avons-nous été suffisamment préparés aux rencontres avec les parents? Avons-nous des possibilités de suivre des cours de conduite d’entretiens au même titre qu’un vendeur ou un employé de banque, qui suivent régulièrement des formations afin d’être prêts à calmer le courroux, justifié ou non, d’un client?
Un des aspects les plus difficiles de notre métier, probablement à l’origine d’une bonne partie des burnouts est la capacité de ne pas trop prendre sur soi les situations conflictuelles, que ce soit face aux élèves ou aux parents. Être capable de fermer la salle de classe en y laissant ses soucis pour se ressourcer en famille ou avec des amis, c’est aussi ça le «travail émotionnel». En sommes-nous donc capables? Avons-nous reçu les clés pour l’exercer?
Une fois encore, la solution réside dans la formation, continue si on nous en laisse le temps, mais surtout initiale afin de donner aux futurs enseignants les outils indispensables au travail émotionnel.
Brigitte Tisserand