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Camps de ski neuchâtelois : le règne de l’inégalité

Soumis par SAEN le 14 novembre 2018
 Camps de ski neuchâtelois : le règne de l’inégalité

La facture envoyée aux parents pour les camps de ski des élèves neuchâtelois varie fortement d’un cercle scolaire à l’autre. Le coût oscille entre 80 et 400 francs la semaine. La gratuité de l’école, c’est pour qui?

En décembre 2017, le Tribunal fédéral (TF) décrète que toutes les activités scolaires obligatoires doivent être gratuites pour les parents d’élèves. Selon lui, faire payer les familles viole la Constitution fédérale et le sacro-saint principe de gratuité de l’enseignement obligatoire. Cet arrêt du TF a eu un impact important sur les écoles neuchâteloises. La majorité des cercles scolaires du canton ont dû revoir leur pratique en matière de caisses de classe, de courses d’école, d’activités culturelles ou de camps de ski.

Que signifie réellement « gratuité » de l’enseignement? Combien une école peut-elle exiger pour ses camps de ski? Si la participation financière des parents diminue, les activités extra-scolaires disparaîtront-elles? Notre enquête fait le point. 

1. La gratuité de l’école, ça signifie quoi concrètement?  

Le Tribunal fédéral est clair : les activités organisées par l’école doivent rester gratuites pour les familles, si elles sont obligatoires. L’école peut tout au plus demander aux parents une participation de 16 francs par jour, soit 80 francs par semaine, pour l’alimentation de leur enfant. A la suite de cet arrêt du Tribunal fédéral, les sept cercles scolaires neuchâtelois ont cessé de demander de l’argent aux parents pour le matériel, les courses d’école et autres activités obligatoires, à l’exception des repas.

« Notre école a dû changer sa pratique pour les activités créatrices et manuelles, qui sont obligatoires, et dont les frais sont dorénavant totalement pris en charge par l’Ecole », explique Fabrice Demarle, directeur à l’école obligatoire de La Chaux-de-Fonds. Les parents peuvent toutefois être amenés à fournir du matériel plus personnel comme des pantoufles ou un tablier.

2. Gratuit pour les familles : qui débourse au final?

Evidemment, cette décision du Tribunal fédéral a eu un coût sur les finances des cercles scolaires et des communes neuchâteloises : « Pour nous, cela représente 150'000 francs par an supplémentaires à charge du syndicat intercommunal », explique Etienne Bourqui, secrétaire général de l’Eoren (Ecole obligatoire région Neuchâtel). « Néanmoins, les activités hors-cadre ont toutes été maintenues », souligne-t-il. C’est également le cas dans la majorité des autres cercles scolaires, où le choix a été fait d’augmenter la participation communale et de préserver les sorties et les activités culturelles proposées aux élèves.

3. Pourquoi plusieurs cercles scolaires font encore payer les parents pour les camps de ski? 

Malgré la décision du Tribunal fédéral, toutes les écoles neuchâteloises n’ont pas réduit la participation financière des parents aux camps de ski. Afin de ne pas tomber sous le coup de l’arrêt du TF, cinq cercles scolaires ont maintenu, ou rendu leurs semaines blanches... facultatives.

En fait, seuls deux cercles scolaires, à savoir Les Cerisiers et Le Locle, appliquent à la lettre l’arrêt du Tribunal fédéral. Ils ont souhaité poursuivre avec des camps de ski obligatoires et ont donc, logiquement, adapté leur tarification à la baisse. « C’est 80 francs pour 5 jours de camps », soit la participation autorisée pour couvrir les frais de repas. « Les comités d’école assument la différence », informe Laurent Schüpbach, directeur des Cerisiers. Toutefois, selon nos informations, certains collèges du cercle scolaire des Cerisiers ont rendus ces camps facultatifs et les facturent plus cher au parents.

Au Locle, où la participation des parents a baissé de 195 à 80 francs, on souhaitait garder le caractère obligatoire de ces camps : « C’est une activité importante pour la socialisation des jeunes, un apprentissage de vie en communauté », réagit Françoise Casciotta, directrice du cercle scolaire. « Des camps obligatoires nous semblent plus justes en terme d’égalité de traitement pour les enfants. » 

4. Qui sont ces écoles qui demandent plus de 80 francs aux parents?

Les cercles scolaires de La Chaux-de-Fonds et de Val-de-Travers ont pris la décision de maintenir leurs camps de ski facultatifs, afin de ne pas subir les conséquences de l’arrêt du tribunal fédéral. Ils n’ont donc pas modifié le montant de la participation financière demandée aux parents, qui s’élève à 190 francs au Val-de-Travers et jusqu’à 400 francs à La Chaux-de-Fonds.

Deux autres cercles scolaires ont rusé pour éviter de faire exploser le budget de leurs semaines de neige : Cescole et l’Eoren ont rendu ces activités facultatives, et demandent une participation de 200 à 250 francs par semaine aux parents. « Les camps de ski de 6e et 7e sont passés du statut d’obligatoires à facultatifs », explique Pierre Wexsteen, directeur de Cescole. « Chez nous, les camps des 7e et 8e, qui étaient obligatoires, sont également devenus facultatifs », informe Etienne Bourqui, secrétaire général de l’Eoren. « Si nous les avions maintenus obligatoires, l’impact financier aurait été trop important et nous aurions dû les remettre en question. »

En rendant ces camps facultatifs, la fréquentation a-t-elle baissé? « A priori pas, le nombre d’inscriptions est stable », répond Etienne Bourqui, pour l’Eoren. C’est également le cas à Cescole, où le pourcentage moyen de 6 % de non-participants reste le même.

5. La palme de l’inégalité : Val-de-ruz, où les élèves sont privés de camps

Les différences en termes de coûts facturés aux familles sont nombreuses dans le canton : mais la palme de l’inégalité de traitement revient au Val-de-Ruz, où les camps de ski ont été supprimés pour l’hiver 2019, à la suite de la votation de juin dernier contre la hausse d’impôts.

Les semaines blanches seront remises au programme dès l’année suivante, nous assure Fabrice Sourget, directeur du cercle scolaire de Val-de-Ruz.

6. Difficile de payer : que peuvent faire les parents?

Pratiquement tous les cercles scolaires du canton de Neuchâtel disposent d’un fonds de solidarité destiné à aider financièrement les parents qui n’auraient pas les moyens d’assumer leur part pour les camps de ski.

Seule la Ville du Locle, qui accordait des subsides aux parents aux revenus modestes, a cessé de le faire. « Depuis que les camps sont facturés à 80 francs, aucun soutien financier n’est accordé », indique Françoise Casciotta, directrice du cercle scolaire. « Les parents peuvent s’approcher d’associations caritatives. »

« Il faut se mettre d’accord sur les mêmes règles »

« Oui, nous sommes sensibles à ces différences de traitement entre les cercles scolaires et nous reconnaissons qu’elles ne devraient pas exister », réagit Monika Maire-Hefti, conseillère d’Etat en charge de l’Education neuchâteloise. « Il faut effectivement que nous ayons une certaine équité de traitement entre les élèves. » 

La ministre rappelle que le législateur a choisi de régionaliser l’école, donnant une grande liberté aux cercles scolaires. 

Face aux divergences soulevées, Monika Maire-Hefti souhaite « cadrer » les choses en émettant des recommandations discutées avec tous les cercles scolaires. « J’espère que tout le monde pourra se mettre d’accord pour appliquer les mêmes règles. » La ministre se dit favorable à des camps de ski obligatoires, à moindre coûts pour les parents, dans tous les cercles scolaires. « Je défends les activités extra-scolaires qui enseignent la socialisation et la vie en communauté. »

« Des parents se demandent si on vit vraiment tous dans le même canton »

Jacques Bouvier, vous êtes membre du comité de la Fédération des associations de parents d’élèves neuchâtelois. Comment réagissent les parents d’élèves en découvrant que la participation financière demandée pour les camps de ski est différente d’un cercle scolaire à l’autre?

Ils hallucinent! Et je peux vous assurer que les élèves discutent entre eux et sont également surpris d’apprendre que dans un collège voisin, le camp de ski coûte trois à cinq fois moins cher aux parents. C’est choquant : alors que les autorités prônent sans cesse « un canton, un espace », le traitement des élèves est parfaitement inéquitable d’un cercle scolaire à l’autre.

Certains parents se découragent et se demandent si on vit vraiment tous dans le même canton. On court le risque d’une école à plusieurs vitesses.

Les parents peuvent-ils agir contre cette inégalité de traitement?

Non, ils ne peuvent pas faire grand chose. Soit les parents acceptent de payer la participation financière demandée, soit ils renoncent à envoyer leur enfant en camp.

L’école neuchâteloise a été régionalisée et chaque cercle scolaire est autonome en matière d’activités extrascolaires. Les services juridiques de l’Etat pourraient se pencher là-dessus et changer le règlement scolaire pour tous les cercles : mais ils n’en n’ont pas les moyens, en raison de la sacro-sainte autonomie des communes en la matière.

Les directions d’écoles font ce qu’elles veulent avec leurs moyens. Les syndicats d’enseignants et les associations de parents d’élèves dénoncent cette régionalisation et ont lancé une initiative populaire pour une cantonalisation de l’école : nous voulons une école efficace et équitable pour tous!

Où en est votre initiative pour une cantonalisation de l’école neuchâteloise?

Nous devons récolter 4500 signatures jusqu’en février, ça avance bien. Surtout lorsqu’on rappelle aux citoyens les millions de francs de surcoûts générés par la régionalisation de l’école.

Neuchâtel est une exception dans le paysage romand. La région lausannoise, avec 25'000 élèves, est d’une taille supérieure à celle du canton. Elle ne constitue pourtant qu’un seul cercle scolaire.

par Virginie Giroud

Source (PDF)

Publié le
mer 14/11/2018 - 09:37