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Cette réforme a besoin de temps

Soumis par SAEN le 1 avril 2015

LE CONTEXTE

La prochaine rentrée de l'école obligatoire neuchâteloise verra la disparition progressive des sections maturité, moderne et préprofessionnelle, et l'introduction de deux niveaux dans les branches principales. Le canton du Valais a vécu une réforme similaire à partir de 2010. Comment cela s'est-il passé? La parole à la présidente de l'Association valaisanne des enseignants du cycle d'orientation (9e à 11e année Harmos).

En histoire, pour prendre cet exemple, tous les élèves seront dans la même classe, quel que soit leur niveau. DAVID MARCHON

Regard valaisan sur la future "école secondaire" neuchâteloise.

Ils sont au taquet. Le Département cantonal neuchâtelois de l'éducation et les directions des centres scolaires mettent la dernière main à la grande réforme de l'"école secondaire" (cycle 3). Une révolution, même, puisque le système qui va disparaître existe depuis plus de cinquante ans. Les parents des 1800 élèves actuellement en 8e année sont donc eux aussi, un peu, au taquet...

Cette réforme correspond à la disparition des sections et l'introduction de deux niveaux dans les branches principales (voir le tableau ci-dessous). Elle s'inspire de ce qui a été mis en place en 2010 en Valais. Avec succès? Adrienne Mittaz, présidente de l'Association valaisanne des enseignants du cycle d'orientation du Valais romand - ce syndicat compte environ 850 membres - répond à nos questions.

A l'époque, comment les enseignants valaisans ont-ils accueilli le projet d'enseignement par niveaux?

Globalement, la démarche a été soutenue. Mais il faut savoir que des centres scolaires appliquaient déjà ce système. Comme il avait déjà fait ses preuves, le Valais a donc vécu une moins grande révolution que Neuchâtel. Cela dit, il y a quand même eu des résistances de la part d'enseignants actifs dans le système avec filières. Leurs craintes principales portaient sur l'éclatement de la classe et sur l'enseignement avec des groupes hétérogènes (réd: où il y a de grandes différences entre les meilleurs et les moins bons élèves).

Qu'en est-il aujourd'hui des craintes exprimées à l'époque?

On n'en entend plus tellement parler aujourd'hui. On peut dire qu'elles ont été démenties par les faits.

Selon votre association, l'Etat du Valais a-t-il mis les moyens - financiers, matériels, en formation, etc. - nécessaires à la réussite du projet?

Au départ, oui. Mais il faut savoir qu'en 2014, en raison de coupes budgétaires, des mesures spécifiques liées au projet ont été réduites, voire supprimées. Résultat: actuellement, ce sont les enseignants qui suppléent aux manques, ce qui devient "limite"... En plus, en raison de ces coupes, le nouveau système n'a "tourné" qu'une seule fois sur trois ans (réd: soit de la 9e à la 11e année pour une volée d'élèves). Il n'a donc pas été véritablement testé avant d'être modifié, ce qui est regrettable.

Le principal objectif de la réforme, c'est de valoriser les compétences personnelles de chaque élève dans les branches à niveaux. Cet objectif a-t-il été atteint en Valais?

Oui, clairement. L'enseignement est plus individualisé, dans la mesure où un élève peut avoir des facilités dans un domaine, les langues par exemple, et des difficultés dans un autre, les sciences par exemple.

Dans le canton de Neuchâtel, certains craignent qu'il y ait un nivellement par le bas, puisque les "meilleurs" élèves seront dans la même classe que les "moins bons". Cette crainte est-elle fondée?

C'était aussi une grande crainte en Valais... Il n'y a pas eu de nivellement par le bas, mais si c'est le cas, c'est parce que les enseignants se sont adaptés à la nouvelle situation en pratiquant ce que l'on appelle la différenciation, c'est-à-dire un enseignement le plus personnalisé possible en fonction du niveau de l'élève. Cela ne va pas de soi. L'enseignement dans des classes hétérogènes a d'ailleurs donné lieu à des cours de formation obligatoires pour les enseignants. En résumé, oui, il y a des différences de niveau entre les élèves, mais c'est gérable.

A l'inverse, l'hétérogénéité a-t-elle des vertus?

Oui. Le plus grand "mélange" des élèves demande que le travail se fasse davantage par groupes, ainsi qu'une plus grande entraide entre les élèves. Et pour un bon élève, le fait de devoir expliquer aux autres, de devoir formuler ce qu'il a compris, c'est très profitable aussi.

Pouvez-vous donner un exemple d'enseignement différencié?

On peut donner un texte plus long ou confier un travail plus compliqué aux meilleurs élèves. Ce qui montre que pour l'enseignant, c'est tout un travail! La manière de fonctionner a donc clairement changé. C'est aussi le cas pour ce qui est de la collaboration entre les enseignants. Nous devons davantage travailler les uns avec les autres, échanger, aller chercher le soutien d'un collègue si nécessaire. Une bonne collaboration entre les enseignants peut être d'une grande aide.

Dans le canton de Neuchâtel, des enseignants craignent la disparition des "vraies" classes, en particulier pour les élèves de l'actuelle section préprofessionnelle où le maître de classe joue parfois un rôle fondamental avec les élèves les plus en difficulté ou qui ne disposent pas d'une structure familiale adéquate. Cette crainte est-elle fondée?

Si je m'en réfère à ce que nous connaissons en Valais, on ne peut pas dire que la notion de classe a disparu. Je parlerais plutôt d'un groupe hétérogène d'élèves qui sont parfois ensemble, parfois pas. De même, la notion de maître de classe n'a pas disparu, puisqu'il y a un référent principal pour un groupe d'élèves (réd: le même principe sera appliqué à Neuchâtel).

Si vous aviez un message à faire passer aux enseignants neuchâtelois, quel serait-il?

Ouh là! Je ne sais pas si j'ai la légitimité pour le faire... Je leur dirais de partir confiants et de se donner du temps pour s'imprégner des nouvelles manières de faire.

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PAS DE GROS PROBLEME A L'HORIZON

Pas de problème majeur à signaler dans le fonctionnement de la 8e année, nouvelle formule. Pas de gros "bug" non plus dans la mise en place finale de la nouvelle 9e année: à l'heure où la première volée d'élèves concernés par la grande réforme de l'école neuchâteloise passera cet été de 8e en 9e année, Jean-Claude Marguet, chef du Service cantonal de l'enseignement obligatoire, considère que les choses se passent globalement bien.

"Tout le monde fait le maximum pour que tout se déroule au mieux", indique-t-il. Il donne l'exemple des modifications d'ordre informatique, "qui demandent un travail énorme". Ou encore: "Le groupe qui pilote cette réforme depuis 2010 a tenu sa 72e séance."

Travail de sensibilisation

Pour autant, Jean-Claude Marguet ne parle pas d'un long fleuve tranquille: "Notre service et les directions de centre ont droit à des questions, des demandes, des remarques, ce qui est bien normal." Il ne cache pas non plus qu' "il y a parfois des résistances" , avant de préciser: "Tout cela a pris et prendra encore du temps. Il faut compter environ cinq ans entre l'annonce et le bon fonctionnement d'un aussi grand changement."

Quand on entre dans le détail, Jean-Claude Marguet indique que "nous devons encore travailler sur la disparition des classes de transition" . Jusqu'en 2013-2014, ces classes accueillaient les élèves qui avaient connu de grandes difficultés scolaires en 7e année et qui sont désormais intégrés dans les classes "normales". Le chef de service parle aussi du "travail de sensibilisation qui doit encore être mené au sujet de l'hétérogénéité des classes et de l'enseignement différencié" (lire ci-dessus).

Dans cette optique, tous les enseignants qui officieront en 9e année en 2015-2016 ont eu (ou auront) l'obligation de prendre part à une "action" mise sur pied par la direction de leur centre dans le domaine de la différenciation. Par ailleurs, un travail sera mené à partir de cet automne en partenariat avec la Haute Ecole pédagogique Bejune. En résumé: les enseignants du cycle 3 (9e-11e), par petits groupes, devront échanger sur des situations problématiques concrètes (avec un élève, des parents, la direction, etc.). On sait qu'elles ne manquent pas...

Par PASCAL HOFER

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