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«De l’incompétence ou du fascisme»

Soumis par SAEN le 26 mars 2016

Alors que ses collègues, dont les dessins ont été retirés à Fleurier, les publient sur la Toile, le dessinateur de «L’Express» Vincent L’Epée est «extrêmement déçu» des autorités.


Ce dessin, œuvre du dessinateur Pigr (Igor Paratte), est celui qui a le plus fait réagir Yvan Perrin. L’allusion aux camps de concentration nazis lui a particulièrement déplu. DAVID MARCHON

Republié par son auteur sur Facebook, le dessin de Patrick Chappatte, retiré de l’exposition au collège de Fleurier mardi, connaît un succès impressionnant sur la Toile. En 24 heures, le dessin a été partagé près de 1800 fois. Ses collègues Pitch Comment et Pigr ont fait de même par la suite. Ces publications s’accompagnent d’un débat très large sur la censure et le rôle des différents acteurs du dossier, tandis que la majorité des médias romands se sont emparés du sujet.

Ces discussions réjouissent particulièrement Vincent L’Epée. Pour le dessinateur de presse de «L’Express» et de «L’Impartial», également professeur d’arts visuels à Neuchâtel, la nouvelle diffusion de ces dessins «est très positive. Depuis deux jours, on a un vrai débat. Là, on est en démocratie.»

Car plus que l’attitude du président de l’UDC, c’est la réaction des autorités qui chagrine le dessinateur de presse. «J’ai vraiment l’impression qu’Yvan Perrin a recherché le coup de publicité en plaçant l’UDC en victime. Si ce parti n’a pas à jouer les vierges effarouchées, il a surtout réussi à instrumentaliser Monika Maire-Hefti, qui est tombée dans le piège.»

«Ce qui me révolte, c’est que nous sommes dans un état de droit. Quand nos autorités prennent des décisions comme celles-ci vis-à-vis de dessins de presse, on glisse vers des réflexes d’Etat totalitaire. Dans cette affaire, soit on a affaire à de l’incompétence, soit c’est du fascisme», juge Vincent L’Epée.

«Eveiller le sens critique»

Les explications du département de l’éducation – qui invoque une neutralité de l’information donnée à l’école – ne conviennent pas au dessinateur. «C’est justement en montrant ceci qu’on éveille le sens critique», rappelant que l’on peut être d’accord ou non avec ces dessins. «Si l’on réagit comme nos autorités, il ne faut tout simplement pas prendre une exposition avec des dessins de presse», dit le dessinateur, rappelant que ceux-ci sont par essence «provocateurs». Caviarder une exposition comme cela a été fait est un manque de respect «pour les dessinateurs et pour le public».

«Pour moi, la véritable neutralité, c’est justement de ne pas censurer. Là, on prend nos ados pour des imbéciles. Ils sont bien assez grands pour se faire leur propre avis. Penser à leur place, c’est leur faire offense», estime le professeur d’arts visuels, qui, depuis les épisodes de «Charlie Hebdo» a beaucoup échangé sur le rôle de ces dessins avec ses élèves. Il rappelle aussi que l’exposition se tenait dans le cadre d’une semaine thématique, avec un encadrement pédagogique.

Le retrait des dessins représente finalement un formidable coup de publicité pour ces derniers. Si le rôle ambigu du président de l’UDC est tantôt critiqué, tantôt loué, pour Vincent L’Epée, cet épisode «montre surtout qu’il faut être vigilant avec la liberté d’expression. Car il peut y avoir de sales surprises.»

Des suites politiques?

Yvan Perrin l’annonçait mercredi à l’ATS, il réserve «des questions» pour la prochaine séance du Grand Conseil. Invité à préciser son propos, le président de l’UDC utilise le conditionnel, rappelant qu’il «n’est pas député».«Un élément qui m’interpelle toutefois, c’est que l’exposition, soutenue par l’Etat, s’en prend notamment à deux conseillers d’Etat vaudois. J’aimerais bien avoir l’avis du Conseil d’Etat à ce sujet», note Yvan Perrin, qui rappelle que son intervention est motivée non pas par les dessins, mais par «l’endroit» où ceux-ci ont été exposés. Répliquant au passage à ceux qui lui reprochent de dénoncer un procédé dont l’UDC fait allégrement usage dans ses affiches que celles-ci «ne sont pas affichées dans les collèges».

Dans les autres groupes politiques, aucune action ne semble encore officiellement décidée. Mais il est peu probable que la séance du Grand Conseil à venir, le mois prochain, échappe à quelques remarques. Certains politiciens, élus ou non, ont d’ores et déjà pris la plume, notamment sur Facebook, pour dénoncer la décision «prise à la va-vite» des autorités. Ainsi, l’ancien député socialiste Matthieu Béguelin a publié une tribune commençant par ces mots: «La neutralité de l’école, c’est le débat, pas la censure».

Rappel des faits

Mardi matin, le département cantonal de l’Education faisait retirer huit des 50 dessins de presse de l’exposition «La Suisse, terre d’accueil», affichée au collège de Fleurier. La décision faisait suite à une plainte du président de l’UDC Yvan Perrin à la conseillère d’Etat Monika Maire-Hefti. Depuis, les réactions se multiplient, notamment avec la publication des dessins par leurs auteurs sur internet.

Matthieu Henguely

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