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Deux philosophies parfois antagoniques

Soumis par John Vuillaume le 22 août 2011

Huit recours déposés cette année par des stagiaires qui n’ont pas obtenu tous leurs crédits de formation à la fin de leur cursus à la HEP-BEJUNE pour enseigner au niveau des deux premiers cycles HarmoS, soit les huit premières années d’école obligatoire, dont deux dans lesquels le SAEN s’est impliqué (deux stagiaires syndiqués) : l’occasion de renouer ou de prendre langue avec des personnalités remarquables : Mme Maréchal, MM. Faivre, Zumwald et Schnegg. La stagiaire qui recourt n’a pas manqué de mentionner également deux personnes admirables et compétentes, Mmes Caravaggi et Bieri.

Pourquoi alors un tel gâchis, autant d’échecs avec tant de personnes de qualité ?

La notion d’échec inscrite au cœur de la formation initiale

J’aimerais insister sur le seul véritable sujet de désaccord total, voire même de profonde incompréhension, qui est apparu lors des rencontres avec des responsables et des formateurs de la HEP-BEJUNE. J’ai expliqué à mes interlocuteurs qu'après avoir réussi ses deux premières années à la HEP, un échec en fin de troisième année me paraissait davantage relever de la responsabilité de l’institution que de celle du ou de la stagiaire. On m’a rétorqué qu’on préférait laisser sa chance aux candidats en difficulté jusqu’au bout et que le décompte des crédits de type universitaire dit « de Bologne » ne laissait aucune marge de manœuvre : s’il vient à manquer un crédit sur 180 en fin de formation, c’est l’échec définitif.

Une épée de Damoclès est suspendue sur la tête des stagiaires jusqu’à la toute fin de leur formation : une formatrice en établissement trop nerveuse parce qu’en instance de divorce, un problème aux anneaux en gymnastique, des qualités en chant plutôt moyennes ou quelques mauvais accords à la guitare et c’est fini, même si on est un champion dans l’enseignement du français ou des maths, on est coulé, détruit, anéanti. La notion d’échec inscrite  au cœur de la formation initiale des enseignants : idée tellement révoltante pour le praticien que je suis !

L’école d’aujourd’hui est celle de la réussite

On me paie pour faire réussir mes élèves, pas pour leur sucrer leurs résultats, mais pour les faire progresser suffisamment pour que la très grande majorité d’entre eux, et parfois toutes et tous atteignent les objectifs minimaux requis à leur âge et dans la classe qu'ils fréquentent. J’enseigne dans un Lycée, mais je sais que la très grande majorité de mes collègues, qu'ils œuvrent dans les deux premiers cycles HarmoS ou à l’école secondaire, fonctionnent comme moi. Si j’ai trop d’élèves en grande difficulté dans une classe à la fin d’une année et surtout à la fin d’un cycle (de deux ou de trois ans), j’ai ma part de responsabilité, je n’ai pas réussi à insuffler l’enthousiasme et la motivation nécessaires pour que ces enfants se mettent en situation de réussite, un point c’est tout. Pour relever régulièrement cet extraordinaire pari, celui de faire réussir une très forte majorité d’enfants à l’école, la remise en question de mon travail et de l’attitude à adopter envers les enfants qui me sont confiés est quasiment permanente, un ajustement de tous les instants, une gymnastique intellectuelle et émotionnelle stimulante, parfois risquée mais qui nous maintient tellement vivants ! Voilà comment je vois ma profession. Cette vision du métier d’enseignants semble être à mille lieues de celle que possèdent certains formateurs qui paraissent parfois avoir occulté, volontairement ou non, les défis quotidiens que doit relever l’enseignant-e qui veut bien faire son travail et qui vit pleinement sa vocation.

On enseigne ce que l’on est

« On n’enseigne pas ce que l’on veut ; je dirai même que l’on n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est » : cette citation de Jean Jaurès qui exprime une profonde vérité de notre métier devrait être donnée comme titre de dissertation à certains formateurs en établissement qui pensent que la seule manière de former leur stagiaire est d’en faire un clone d’eux-mêmes. Beaucoup de stagiaires comprennent qu’il faut se conformer pour réussir : « trois ans à la HEP, puis tu commenceras à apprendre ton métier ! », la boutade est bien connue, mais gare au futur enseignant qui désirerait tracer sa voie personnelle durant ces années de HEP !

Des dérives inacceptables

Si des formateurs font preuve d’empathie et connaissent très bien leurs stagiaires (cf. par exemple celles et ceux cités au début de l’article, mais naturellement bien d’autres), d’autres semblent s’être enfermés dans un système d’évaluation déshumanisé qui met avant tout en évidence les manques et les carences plutôt que les points positifs. Aucune vision globale des futur-e-s enseignant-e-s, des petites croix dans des petites cases, des considérations qui en disent plus sur le formateur que sur les performances des stagiaires, nous sommes quelquefois très loin de ce que nous serions en droit d’attendre d’une expertise professionnelle en matière de formation des enseignants !

Naturellement, il est tout à fait normal de voir une fois ou l’autre un rapport bâclé ou insuffisant. Mais quand un seul stagiaire en accumule plusieurs et que le conseil des formateurs se base sur ces documents pour prononcer un échec définitif, les bornes sont clairement franchies. Cela fait vraiment mal de voir de telles choses quand on s’intéresse de près à la profession enseignante. Cela fait légitimement naître de la colère. Aussi longtemps que certains «  peloteurs de nuages » ne font de mal à personne, on rit de certaines incohérences ou autres incongruités. Mais il y a malheureusement des moments où la farce tourne à la tragédie.

Une nécessaire adaptation de la HEP

Il ne faut pas rester les bras croisés. Une institution qui dispose de tant de ressources humaines que la HEP peut réagir et tenter de résorber le hiatus, quand il se fait jour, entre formation professionnelle et réalité des exigences de l’enseignement dans l’école d’aujourd’hui.

L’école neuchâteloise ne fera pas machine arrière : les multiples redoublements et les nombreuses mises en échec seront bientôt de la musique ancienne, n’en déplaise peut-être à certains formateurs, dont un, dont nous tairons le nom ici, incarnation d’une approche superficielle et archaïque de la profession, une personnalité si péremptoire, seulement péremptoire…

La HEP serait certainement bien inspirée de s’adapter à cette nouvelle donne.

John Vuillaume

Bonne reprise à toutes et à tous!

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