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Une numérisation de l’école en quête de sens

Soumis par John Vuillaume le 20 mars 2020
Option informatique appliquée et gestion dans le canton de Neuchâtel

Salle des maitres. La « mangeoire » est presque vide quand on n’est pas maitre de classe. Le tableau d’affichage aussi, mais pas « Espace-profs » sur le site de l’école, ni la boite électronique professionnelle, qui a longtemps débordé de messages qui ne nous étaient pas destinés. Mais aujourd’hui, la gestion administrative des écoles, presque totalement informatisée, satisfait grosso modo tout le monde. Flux contrôlés mais continus de l’information, vérifiée, précise, utile et personnalisée, « radio-couloir » a perdu des parts de marché et personne ne se verrait revenir en arrière. Les espaces « profs-profs » et « profs-élèves » donnent pleine satisfaction, les relations avec certains parents d’élèves sont souvent facilitées et un efficace travail à distance est possible, quand la maladie ou le malheur nous éloignent de nos écoles.

Salle de classe. Pas d’exposé sans recours au numérique, pas d’introduction d’une nouvelle matière sans un petit tour sur Internet pour découvrir en un clic ce qui pourrait être mis à disposition de nos chères têtes blondes lancées dans un nouvel apprentissage. Bilan régulier des ressources numériques idoines et disponibles sur le site de l’école, propositions de liens vers les meilleures capsules trouvées sur youtube en mathématiques, en français ou dans des branches de culture générale : le numérique s’est déjà fait sa place dans le fonctionnement de l’école et dans notre enseignement.

La mode est au tout-numérique. Les classes avec tablettes sont souvent présentées comme l’horizon indépassable de la modernité. Dans les faits, les collègues motivé·es qui n’utilisent plus que ces bidules électroniques dans leur cours parviennent à maintenir les performances scolaires de leurs élèves, sans plus-value pédagogique objective, mais sans baisse de la qualité de l’enseignement non plus.

Ce sont les buts de l’école qu’il faudrait interroger à l’aune des outils numériques qui façonnent de plus en plus nos façons de vivre, de consommer, de nous informer et même de nous aimer !

Sous l’Ancien régime, l’école servait à former les diverses élites du pays. Une société industrielle et nationaliste a généré une école plus populaire qui a imposé la discipline et le patriotisme pour tous, futurs ouvriers-modèles, soldats prêts à donner leur vie pour leur pays, et pour toutes, femmes au foyer modèles, épouses dévouées et mères de l’avenir de la nation.

Quels sont les buts de l’école aujourd’hui ? Pour ses utilisateurs, elle est d’abord un lieu de garde des enfants quand leurs parents travaillent. Elle constitue aussi une étape à franchir en vainqueur pour éviter le déclassement social qui guette immanquablement un·e jeune qui échoue dans sa formation scolaire et professionnelle. Elle reste un lieu d’excellence pour les bon·nes élèves qui peuvent se donner les moyens d’acquérir les connaissances et les compétences qui les feront réussir dans leur vie professionnelle, quelle que soit la filière choisie.

Dans ce contexte, le recours au tout-numérique voulu par nos politicien·nes n’amène pas grand-chose. Une gestion plus facile des élèves hypnotisés par leurs écrans ? L’illusion de rester dans le coup pour des élèves en difficulté qui multiplient les béquilles informatiques, tel l’exosquelette du paralytique ?

En Suisse alémanique, les charriots de tablettes acquis à prix d’or dorment au fond des écoles qui ont été les premières à se numériser. Dans le canton de Fribourg, l’obligation de s’acheter un ordinateur portable à l’entrée du secondaire II passe mal, puisque les objectifs pédagogiques affichés par une majorité du corps enseignant n’ont pas changé. Disposer de nouveaux outils pour faire la même chose n’est pas une raison suffisante pour passer au tout-numérique à l’école. Avec l’informatique, nous avons l’impression que ses modes d’utilisation sont plus importants que ce que nous pouvons réaliser grâce à elle, contrairement aux livres, dont les contenus ont toujours largement prévalu sur l’objet. Pour les mêmes raisons, le Conseil d’État genevois a dû remiser son enveloppe de 20 millions de francs destinée à inonder les salles de classe de tablettes électroniques plus adaptées à nos aîné·es qu’à nos élèves.

Espérons que le canton de Neuchâtel, qui a déjà annoncé par la voix de sa Cheffe de l’école, Mme Monika Maire-Hefti, sa volonté d’opérer au mieux son virage informatique1, saura se montrer plus pertinent et sensé que certains de ses voisins confédérés. Nos maigres ressources financières n’ont pas être dilapidées en dispendieux et inutiles charriots de tablettes  !

Publié le
ven 20/03/2020 - 12:07
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