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Du rouge dont on fait les budgets

Soumis par SAEN le 3 novembre 2015

«C’est le dernier budget à gros déficit», assurait le Conseil d’Etat neuchâtelois en 1982, par son président et chef des Finances, René Felber, alors que le Grand Conseil votait un trou de 34 millions avec la seule opposition des quatre députés popistes...

Le futur conseiller fédéral ne le savait pas encore, mais il avait bien tort. Nous nous sommes plongés dans les archives historiques de «L’Express» et de «L’Impartial» de ces 35 dernières années pour constater que pas une seule fois le budget de l’Etat n’a présenté de bénéfice. Au contraire: au fil des décennies, il a plongé, atteignant 68 millions en 2004, un record.

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Trente-cinq ans de déficits acceptés par le Grand Conseil.

ANNÉES DE CRISE

Les années 1980 sont des années de crise. En cinq ans, le canton perd 10 000 habitants. Et si les budgets sont dans le rouge, ils sont acceptés relativement facilement, quelques députés mettant quand même en garde leurs autorités: «Il faudra examiner dans quelle mesure le canton doit réduire son train de vie», lit-on fin 1981. Un discours récurrent de la droite qui reviendra, d’année en année, avec plus ou moins de décibels.

A l’examen du budget de 1986, malgré deux refus libéraux-PPN effrayés par le trou de 33 millions, le parlement applaudit à un «déficit accepté comme un pari sur l’avenir.» C’est un autre discours récurrent: tant dans les années 1980 que lors des décennies suivantes, l’argument selon lequel il faut accepter un déficit pour pouvoir investir pour rebondir plus tard fait mouche.

En dix ans, les charges de fonctionnement passent de 500 à 900 millions. Le déficit est alors compris entre 2% et 6% des charges.

TROUS «RAISONNABLES»

Le début des années 1990 est marqué par de premiers coups de gueule, venant surtout des libéraux. «Cela suffit, l’heure n’est plus aux déclarations d’intention mais à l’action, par une stricte limitation d’effectifs», tonne Jean-Marc Nydegger fin 1991. C’est une période charnière: depuis 1989 et pour la première fois, la gauche a placé trois ministres au Conseil d’Etat. La droite est restée majoritaire au parlement. Cela vous rappelle quelque chose?

La suite des années 1990, avec une droite à nouveau majoritaire aux deux chambres – elle le restera jusqu’en 2005 – est une suite de déficits costauds, quasi culturels, mais assez peu remis en question. Celui de 52 millions, au budget 1995, est qualifié de «raisonnable», celui de 1996 (déficit de 45 millions) de «plutôt satisfaisant». En 1997, le budget est «dans le rouge avec confiance», titre «L’Express». Des mesures d’assainissement sont parfois votées, touchant la fonction publique ou les communes, mais elles ne durent pas très longtemps. Ici où là, quelques députés de droite s’interrogent: «Il faudra bien prendre des mesures d’économies», lit-on. Durant les années 1990, les charges de l’Etat passent de 900 millions à 1,4 milliard. Le déficit oscille entre 3% et 6% des charges.

LES ANNÉES 2000

Le millénaire marque un tournant. Les députés râleurs se font plus nombreux. A gauche, on se pose des questions: «Pourra-t-on continuer à offrir autant de formations?», se demande le socialiste Claude Borel fin 2001, alors que le libéral Michel Barben parle de «Titanic» et estime que l’Etat «vit au-dessus de ses moyens».

En 2003, on frôle le clash: il faut une session supplémentaire, à huit jours de Noël, pour que soit accepté un déficit de 54 millions. On lorgne enfin sur un frein à l’endettement, qui sera en vigueur dès 2005 – et qui limitera alors nettement le ratio entre le déficit et les charges de fonctionnement. «Mais refuser un budget ne servirait à rien», relève le radical Jean-Bernard Waelti. Prémonitoire pour 2016? Electrochoc au budget suivant: le Grand Conseil accepte un trou de 70 millions, mais réclame de vraies économies pour l’année suivante. Elles viendront, ces économies, et pousseront d’ailleurs les fonctionnaires à la grève. Les socialistes refusent le texte au vote final. Ils remettront d’ailleurs ça en 2013.

SOUS LES 20 MILLIONS

Fin 2005, après des comptes 2004 qui bouclent sur un déficit record de 100 millions, un train de mesure est négocié: Jean Studer, qui vient de reprendre les Finances, réussit à faire passer une répartition des sacrifices. Les subventions sont coupées, mais les grandes fortunes sont taxées. Le dispositif passe malgré le niet des libéraux et de la jeune UDC – qui refusera plusieurs fois par la suite les budgets. Par contre, l’extrême-gauche l’accepte, elle qui en 35 ans n’a voté que de rares budgets.

Il faut attendre 2011 pour que les déficits passent sous la barre des 20 millions. Parfois, grâce à des transferts de charges sur les communes. Parfois après des bras de fer gauche-droite où les députés frôlent le naufrage. D’autant que, depuis 2013, la majorité peut facilement basculer.

«Refuser un budget n’est pas anodin», plaidait le conseiller d’Etat Laurent Kurth l’an passé. «Les autorités politiques seraient discréditées à l’heure où le canton de Neuchâtel a besoin de solidité pour défendre des dossiers importants.» Il ne dira sans doute pas autre chose à la session de décembre. Sachant que ces 35 dernières années, où les crises ont succédé aux embellies, jamais le canton de Neuchâtel ne s’est retrouvé sans budget à fin décembre. La situation sera-t-elle différente le mois prochain?

Réunion ce matin

Une réunion de la dernière chance doit permettre ce matin au Conseil d’Etat in corpore de présenter aux commissaires des propositions qui pourraient l’inciter à revoir sa position, et donc à voter l’entrée en matière qu’il avait refusée le 22 octobre, par 8 voix UDC-PLR contre 7. Au cas où ces propositions feraient mouche, les commissaires pourraient alors se remettre au boulot et faire le travail de fond – déjà passablement dégrossi en sous-commission – en décidant d’amendements, à gauche comme à droite, qui seraient ensuite discutés en plénum, les 1er et 3 décembre.

Hier soir, les commissaires PLR et UDC devaient se réunir pour décider de leur position. Selon nos informations, les propositions faites par le Conseil d’Etat semblaient assez floues et guère chiffrées. «Il faudrait que le Conseil d’Etat nous propose quelque chose de vraiment nouveau pour qu’on entre en matière», relevait hier un commissaire. Réponse ce matin, avant une session du Grand Conseil de novembre hyperchargée: on y parlera des options stratégiques de l’HNE et du préfinancement du RER.

Les commissaires socialistes montent au front

«La majorité PLR-UDC de la commission a un comportement condamnable»: les commissaires socialistes, minoritaires, montent au front après le refus de la droite d’entrer en matière sur le projet de budget. Dans leur rapport de minorité, publié hier, ils qualifient l’attitude PLR-UDC d’«irresponsable et dangereuse pour l’avenir de notre collectivité». Ils évoquent aussi la «suffisance et le manque de respect du processus institutionnel et des partenaires politiques».

Pour les commissaires, «que ce soient les réformes de l’Hôpital neuchâtelois, la gouvernance des partenariats, l’évaluation des subventions, le projet de nouvel hôtel judiciaire, tout sera durablement bloqué par le refus d’entrer en matière sur le budget, qui équivaut à un refus sans discussion de celui-ci.» Et de dénoncer l’attitude des commissaires PLR-UDC: «La majorité de la commission démontre son absence manifeste de volonté sincère de défendre le bien public.» Avec cette pique: «Son seul but est de pointer artificiellement du doigt un gouvernement à majorité socialiste, à quelques mois des élections communales et cantonales.» Un reproche d’ailleurs contesté par les commissaires de droite.

Bibliobus, subsides Lamal, etc.

La gauche dévoile aussi, dans son rapport, ses premières revendications sur le budget. Dont certains éléments lui déplaisent aussi, mais pour d’autres raisons que la droite. Ainsi, les socialistes déposeront des amendements dans un certain nombre de domaines aussi sensibles que le Bibliobus, les subsides Lamal – «la hausse massive des primes exige que l’on adapte l’enveloppe afin d’éviter les effets de seuil» –, la fonction publique ou le transfert de charges sur les communes.

Globalement, pour les socialistes – majoritaires au Conseil d’Etat –, le budget 2016 est certes déficitaire, «mais il constitue incontestablement l’un des plus transparents de la décennie», soulignent-ils. «Il intensifie l’effort de redressement durable des finances cantonales en proposant de nouvelles mesures.»

Les commissaires popiste et vert ne se sont pas associés au rapport de minorité. Ils auraient préféré un vote d’entrée en matière déjà la session d’automne déjà.

rappel des faits

Le projet de budget 2016 de l’Etat de Neuchâtel, qui prévoit un déficit de 11 millions de francs, est menacé par la droite d’une non-entrée en matière. A gauche, la minorité de la commission financière dénonce cette attitude. Alors qu’un bras de fer s’annonce, retour en chiffres et en quelques sessions sur 35 années de déficits budgétaires.

PAR FRANÇOISE KUENZI

Source


Voir aussi :

Budget 2016: nouvel examen du Conseil d'Etat

Les Vert'libéraux devraient faire échouer le coup de force PLR-UDC

La commission financière refuse l'entrée en matière sur le budget

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