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Futur : Apprendre à apprendre

Soumis par SAEN le 4 mai 2009

Premier épisode d’une série consacrée à l’avenir de la Suisse: l’éducation. Pour Patrick Aebischer, dans un marché de l’éducation globalisé, les universités retrouveront leur fonction première: l’universalité.

Nous sommes un beau jour de mai 2029. Il est 8 heures, Elodie, huit ans et demi, commence ses cours de mathématiques à la maison. Elle est aidée par son père, qui profite du télétravail pour passer plus de temps avec ses enfants. Via Internet, un enseignant corrige les travaux de la petite fille. Arrivée à l’école à 10 heures, elle rejoint une grande classe composée d’une trentaine d’élèves d’âges différents.

«Les nouvelles technologies changeront le visage de l’école, pas son essence, prédit Isabelle Chassot, présidente de la Conférence suisse des directeurs de l’instruction publique. Elle restera le lieu principal de la transmission des savoirs et surtout de l’apprentissage de la vie en groupe. C’est un élément essentiel, que l’on ne peut apprendre en restant chez soi. Les classes seront plus grandes et mélangeront les âges afin de pouvoir stimuler la soif de connaissance de chaque enfant, en fonction de ses intérêts et de ses compétences.»

Immersion. Onze heures, cours de langue par immersion. Reliée par vidéoconférence avec un établissement scolaire de Winterthour, la classe d’Elodie suit un cours d’histoire donné en allemand. Elle connaît d’ailleurs bien ses camarades alémaniques: accueillie dans la famille d’unécolier de Winterthur, elle vient de passer un trimestre outre-Sarine.

«Les enfants apprendront une deuxième langue dès la première année enfantine, soit à partir de quatre ans. les échanges d’élèves seront réguliers et l’enseignement par immersion fera que tout Suisse pourra comprendre ses concitoyens parlant dans leur propre langue.» Nous profiterons enfin de la richesse linguistique de notre pays, en particulier pour des carrières qui nous emmèneront sans doute en Europe.

Interdisciplinaire. «L’école fournira toujours des enseignements formels de base comme la langue maternelle (orthographe, grammaire et lecture), ainsi que la réflexion logique abordée notamment par les mathématiques. Ce sont des éléments essentiels pour tous les apprentissages de la vie. Sur ce socle viendra se greffer une offre beaucoup plus diversifiée et interdisciplinaire, dès le cycle primaire.

En abordant par exemple un thème tel que le développement durable, les élèves seront obligés d’utiliser des approches variées. Elles vont des connaissances scientifiques et linguistiques à des compétences culturelles et relationnelles.» Les élèves passeront plus de temps dans des ateliers couvrant des domaines techniques, culturels, sportifs ou encore artistiques. La différence entre activités extraet intrascolaires s’estompera, car elles feront partie intégrante du processus d’apprentissage.

Après un repas pris à l’école et une période de français, Elodie se rend aux ateliers «protection des cours d’eau» et «culture chinoise». Elle revient chez elle à 16 h 30 pour y finir ses devoirs avec sa mère qui, elle aussi, peut travailler à la maison.

Individualisé. Confrontée à une croissance exponentielle des connaissances, l’école ne pourra jamais transmettre tous les savoirs. Elle devra donc apprendre à apprendre et donner aux enfants le goût de la découverte. Elle montrera aux élèves comment utiliser les nouvelles technologies pour trouver une information de qualité et, surtout, cultivera en eux l’esprit critique qui leur permettra de filtrer ces montagnes de données, afin de les utiliser intelligemment.

«L’enseignement ne peut passer à côté de ces développements technologiques, poursuit Isabelle Chassot. Ce serait comme si l’on ignorait la lumière électrique pour continuer à s’éclairer à la bougie. Mais il faut en connaître les limites.» L’école se déplacera en partie à la maison, et l’enseignant communiquera davantage avec les élèves et les parents. Ces derniers joueront un plus grand rôle dans l’accompagnement de leurs enfants, car leur parcours scolaire deviendra plus individualisé et donc plus compliqué.

Mobilité. Nouveauté: les élèves pourront choisir leurétablissement. Les écoles secondaires se démarqueront en adoptant des points forts, comme la citoyenneté, la communication ou les sciences expérimentales. Le modèle des cours à options, offerts actuellement au gymnase, se retrouvera dans les dernières années de l’enseignement obligatoire, vers 13-14 ans. «Il serait vain de vouloir suivre toutes les branches en sciences naturelles. L’enfant devra se concentrer sur celles qui l’intéressent le plus, et pourra apprendre les autres tout seul ou bien plus tard.»

Avec les instituteurs, les écoliers établiront des plans de travail mensuels. Plus autonomes et indépendants, ils utiliseront eux-mêmes les instruments informatiques pour gérer leur temps et atteindre les objectifs fixés. «L’évaluation du travail réalisé se fera en groupe et avec la participation active de l’enfant. L’autoévaluation permet de l’impliquer davantage dans son propre apprentissage et de le responsabiliser.» L’enseignant prendra donc un double rôle: accompagner les élèves dans leurs travaux autonomes tout en transmettant des savoirs formels de base.

Harmonisation. Et l’Europe dans tout ça? «Je crois en une harmonisation de la reconnaissance des études au niveau européen pour le secondaire supérieur, pas pour l’école obligatoire. Elle est plus ancrée dans notre propre culture, ce qui amène des spécificités au niveau des profils et des exigences d’études. Le besoin d’être de quelque part sera d’ailleurs plus grand dans un monde globalisé. Si le savoir est global, les racines et la culture, elles, sont locales. Je ne veux pas d’une école uniformisée, mais d’une institution locale intégrée dans un système harmonisé. Un point essentiel pour faciliter la mobilité des élèves et de leurs parents.»

Pour Patrick Aebischer, président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, la diffusion du savoir sur Internet n’annonce aucunement la fin des universités. «Je ne crois pas au campus virtuel. En sciences, par exemple, il est indispensable d’effectuer les expérimentations. C’est une composante réelle et physique, qui ne peut pas être remplacée par le virtuel. Les nouvelles technologies changent notre manière de transmettre l’information, pas de la produire. Il est essentiel de garder des lieux et des instants propices au partage des connaissances, car la recherche avance au hasard des rencontres. L’architecture des hautes écoles va changer, pour que les interactions deviennent plus fluides et puissent décloisonner les disciplines.»

Les matières de base (philosophie, mathématiques, droit, etc.) vont rester, mais leurs frontières vont s’atténuer. «La recherche avancera de plus en plus à travers des projets globaux effectués dans des laboratoires interdisciplinaires. Mais l’enjeu principal des prochaines années est de revenir à une approche globale de la connaissance, qui inclut à la fois les sciences dures et les sciences humaines. Il faut refermer le fossé actuel. En réalité, les humanités deviendront encore plus importantes demain. Elles permettront de donner du sens à la science, de l’expliquer et d’en montrer l’utilité.» Située entre les domaines expérimentaux et théoriques, la simulation par ordinateur trouvera sa place dans les programmes d’études.

«Il faudra mélanger davantage les différentes couches sociales qui viennentétudier et mettre sur pied un système de bourses efficace, souligne Patrick Aebischer. pour éviter les divisions entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, la place de la formation continue grandira et les offres de post-formation formeront un marché considérable. Les gens n’arrêteront pas l’école à vingt ans.»

Concentration. Le secteur de l’éducation se divisera en trois grands marchés: l’Amérique du Nord, l’Asie et l’Europe. La Suisse (qui, avec l’Angleterre, est aujourd’hui à la pointe sur le Vieux Continent) est bien placée pour tirer sonépingle du jeu. «Le prix de la recherche de pointe devient trèsélevé et une concentration est inévitable. Il faudra partager les infrastructures les plus chères.» En Suisse, l’agglomération zurichoise et l’arc lémanique ont tout pour servir de pôles d’excellence en matière de recherche.

Dans notre petit pays, toutes les universités seront connectées entre elles. Elles continueront à conjuguer sciences humaines et exactes, soutenues entre autres par la médecine et les hôpitaux. «Nous avons besoins d’institutions phare. L’ensemble de la formation, qui s’étend des universités aux apprentissages en passant par les HES et les écoles spécialisées, forme un édifice essentiel à notre pays.»

Les frontières nationales se seront estompées, et la quasi-totalité des étudiants passeront un semestre dans un autre pays. «La langue des études bachelor doit rester locale pour préserver nos racines. Au niveau du master et du doctorat, la lingua franca sera bien sûr l’anglais.» Avant de laisser la place, peut-être, dans une cinquantaine d’années, au chinois. La petite Elodie y sera bien préparée.

DANIEL SARAGA

Extrait d’une série, cet article a été publié dans PME Magazine à l’occasion des 20 ans de la publication, en mai 2009.

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