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«J’ai appris que la vie coûte très cher!»

Soumis par SAEN le 30 avril 2016

L’endettement frappe plus d’un tiers des 18-24 ans. Pour prévenir ce fléau, le Centre social protestant a créé un jeu de rôles qui se tenait, pour la première fois, dans un collège secondaire.

Les élèves de Cescole se sont plongés, durant deux heures, dans la peau d’un adulte qui gagne sa vie et doit élaborer son budget. Au stand des courses, ils ont été surpris par le prix élevé des denrées alimentaires et des produits d’entretien en Suisse.

(photos CHRISTIAN GALLEY)

Scotchés aux petites annonces immobilières placardées contre la paroi d’une salle de classe, des élèves tentent de trouver leur bonheur. Et enchaînent les commentaires. «Moi je vais habiter au Locle, dans un appartement à 700francs. C’est le moins cher. Ailleurs, les loyers, c’est vraiment abuser», décrète Amélia, 15 ans. Plus loin, un groupe de garçons opte plutôt pour la colocation, histoire de partager les frais.

Jeudi, au Cercle scolaire secondaire de Colombier et environs (Cescole), près de 80 élèves de dernière année participaient à une partie de «cash-cash» un peu particulière. Les adolescents avaient pour mission d’entrer dans la peau d’un adulte qui gagne sa vie, puis de se confronter à la réalité d’un budget lors d’un parcours traversant des postes sur les impôts, la santé, l’habitat, l’entretien, les transports et les loisirs.

«J’ai choisi le personnage de Cindy, 18 ans, avec un salaire de 2800francs net», explique Amélia. Comme elle, la majorité des élèves ont renoncé à la tentation de s’attribuer un gros salaire, afin de coller au plus près de la réalité qui les attend d’ici peu.

900 fr. d’argent de poche

Passant de poste en poste, les élèves découvrent les joies et les pièges des assurances maladies, des déclarations d’impôts, des leasings, des abonnements de téléphonie et des courses dans les supermarchés. «J’apprends que la vie coûte très cher», témoigne Karol, très intéressé par le jeu. «Je ne me rendais pas compte de ça. Je reçois mon argent de poche chaque semaine, dix francs, et je n’ai aucune idée de ce que mes parents paient comme factures. Je n’avais jamais vu de déclaration d’impôts.»

Les assistants sociaux du Centre social protestant (CSP) font le constat que les jeunes s’endettent beaucoup plus souvent et plus facilement qu’il y a quinze ans, victimes du marketing acharné dont ils sont la cible. Mais ils s’endettent aussi «par méconnaissance», comme l’explique Anne Bersot-Payrard, coordinatrice du programme «Les ficelles du budget».«Certains jeunes ne savent pas qu’ils doivent remplir une déclaration d’impôts et payer des tranches, même s’ils touchent un petit salaire.»

Isabelle Baume, directrice adjointe du CSP Neuchâtel, observe une «volonté de certains parents d’épargner leurs enfants des soucis liés à l’argent, ce qui ne va pas rendre service à ces jeunes».

Elle ajoute que lors des ateliers de désendettement proposés par le CSP, «certains parents avouent qu’ils n’osent pas demander de l’argent à leurs enfants», pourtant majeurs et en apprentissage, pour contribuer aux frais du ménage. «Du coup, des jeunes vivant chez leurs parents se retrouvent avec 900francs d’argent de poche par mois. Et courent le risque de penser que tout leur salaire est disponible pour les loisirs», s’inquiète Isabelle Baume.

Jeu de rôles à l’Université

Face au fléau de l’endettement précoce, le CSP s’est demandé comment rendre son programme de prévention plus sexy auprès des jeunes. En 2011 et en 2014, il testait le jeu de rôles «cash-cash party» lors d’expositions à la Case-à-Chocs et au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel.

Succès assuré. Au point que depuis 2015, le lycée Jean-Piaget et l’Ester à La Chaux-de-Fonds proposent cette activité à leurs étudiants. Et que d’autres institutions se montrent intéressées à tester le jeu de rôles.

«Cette action est très positive pour nos jeunes», se réjouit Pierre Wexsteen, directeur de Cescole. «Il est important de commencer la prévention dès la fin de l’école secondaire, car les jeunes qui s’apprêtent à commencer un apprentissage seront vite confrontés aux questions de budget», ajoute Anne Bersot-Payrard.

Mais les parties de «cash-cash» ne sont pas seulement destinées aux adolescents: «Notre jeu sera proposé fin juin aux étudiants de l’Université de Neuchâtel, avec un nouveau stand consacré aux bourses d’études.»

Budget shopping à revoir

Jeudi à l’issue de leur parcours dans la jungle des factures, les élèves de Cescole étaient reconnaissants d’avoir pu se frotter, durant deux heures, aux réalités financières de la vie. «Je voulais m’inscrire un budget shopping de 800francs par mois. J’ai vite compris que ce n’était pas possible», regrette Amélia.

A l’heure du debriefing, les garçons qui avaient opté pour une colocation étaient fiers de constater qu’il leur resterait quelques sous à la fin du mois. «On pourra même économiser 700francs

Cescole teste un jeu

Une classe de Cescole vient de jouer les cobayes pour toute la Suisse romande. Ces élèves de Colombier ont testé un jeu en ligne intitulé «Heroes», outil pédagogique conçu pour développer des compétences financières chez les jeunes. Mais qui se cache derrière ce jeu vidéo? Réponse: les banques cantonales de Suisse! Elles ont dégagé un montant important pour développer ce jeu et les outils pédagogiques qui le complètent, destinés aux enseignants d’école secondaire.

Pour réaliser leur projet, les banques cantonales ont créé l’association Finances Mission, dont sont membres les syndicats d’enseignants de Romandie et de Suisse alémanique. Ce jeu, destiné à l’ensemble de la population, sera téléchargeable gratuitement dès la fin mai. Neuchâtel fonctionnera comme canton pilote, puisque ses écoles secondaires utiliseront cet outil dès la rentrée d’août. «Nous souhaitions participer activement à l’élaboration de ce projet pilote, qui vient compléter les actions de prévention à l’endettement du CSP», commente Pierre Wexsteen, directeur de Cescole et membre de l’association Finances Mission.

Le contexte

En Suisse, plus d’un tiers des jeunes âgés de 18 à 24 ans ont des dettes. Témoin de cette évolution inquiétante, le Centre social protestant propose, depuis 2003, des ateliers de prévention au risque d’endettement. Il a également élaboré un jeu de rôles permettant aux élèves de se confronter à la réalité d’un budget lors d’un parcours. Cette partie de «cash-cash» se déroulait jeudi, pour la première fois, dans une école secondaire neuchâteloise.

TROIS QUESTIONS À... SÉVERINE MAEDER

Responsable de la formation à la Banque Cantonale Neuchâteloise

«Les jeunes développent des réflexes de survie»

Vous avez rédigé un livre intitulé «Vivre ses finances... c’est vivre sa vie!», que plusieurs communes neuchâteloises offrent à leurs citoyens devenus majeurs. Même des gens plus âgés l’achètent. Pourquoi ce succès?

Peut-être parce que ce livre répond à toutes les questions qu’un jeune peut se poser, en lien avec l’argent. En animant les ateliers de prévention à l’endettement du Centre social protestant, j’ai collecté, durant deux ans, toutes les questions que les 15- 25 ans me posaient. J’ai choisi d’y répondre dans un livre.

Pourquoi les jeunes s’endettent-ils? Ont-ils des goûts de luxe?

C’est un cliché de penser que les jeunes s’endettent à cause des natels ou des belles voitures. Les principales raisons de l’endettement sont les assurances maladie et les impôts. En Suisse, les banques ne permettent pas aux jeunes de s’endetter. En revanche, les grands magasins proposent de plus en plus fréquemment des crédits.

Le marketing qui cible les jeunes a une responsabilité. Les parents aussi?

Oui, on voit beaucoup de jeunes s’endetter à cause de leurs parents, qui sont par exemple interdits de crédit ou ne paient pas les assurances maladie de leurs enfants. Mais les jeunes développent des réflexes de survie. Ils se répartissent les frais, participent à des bourses d’échange, ils détestent se faire avoir.

PAR VIRGINIE GIROUD

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