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La rentrée, un stress pour les profs

Soumis par SAEN le 21 août 2017

Comment les enseignants des écoles professionnelles et des lycées neuchâtelois vivent-ils la rentrée? Ils nous livrent leurs impressions.

Les lycées

La rentrée scolaire dans les lycées neuchâtelois, c’est aujourd’hui. L’événement est marqué par une légère hausse du nombre d’élèves par rapport à l’an dernier. Au total, ce sont 2383 jeunes qui franchiront les portes d’un des trois lycées du canton. Un stress pour les enseignants? Pierre Monnat, professeur de français et d’histoire au lycée Blaise Cendrars à La Chaux-de-Fonds, répond à nos questions.

Pierre Monnat, professeur de français et d’histoire au lycée Blaise-Cendrars à La Chaux-de-Fonds, évoque  les bouleversements qui secouent son métier depuis 20 ans.
Pierre Monnat, professeur de français et d’histoire au lycée Blaise-Cendrars à La Chaux-de-Fonds, évoque les bouleversements qui secouent son métier depuis 20 ans. PHOTOS CHRISTIAN GALLEY

La rentrée scolaire, c’est un moment stressant?

Une rentrée au lycée Blaise Cendrars est un plaisir, car c’est une école qui fonctionne bien, avec une direction qui soutient les enseignants, ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs. Mais la rentrée, c’est aussi un moment de grand stress, le début d’une période de fortes tensions. C’est d’autant plus lourd que le nombre d’élèves par classe ne cesse d’augmenter. Cette année, j’aurai deux classes de 25 élèves en troisième année: on arrive gentiment dans les fourchettes des lycées français. Lorsque j’ai commencé à enseigner il y a 19 ans, les plus grosses classes atteignaient au maximum 20 élèves, et elles étaient rares.

Des effectifs de 25 élèves par classe, est-ce approprié pour amener ces étudiants aux examens de maturité?

Non, ce n’est vraiment pas idéal. Les études réalisées à ce sujet prouvent que plus le nombre d’élèves est important dans une classe, moins bons sont les résultats. Mais la cheffe du Département de l’éducation, Monika Maire Hefti, ne semble pas considérer cela comme un problème. Elle nous a répondu qu’il n’était pas si grave d’augmenter les effectifs des classes dans les lycées, puisque ce sont déjà les meilleurs élèves.

Les médias ont beaucoup parlé du burn-out chez les enseignants. Avec des effectifs de classe plus nombreux, la charge de travail s’est-elle vraiment beaucoup alourdie?

Oui, elle est toujours plus importante et nous oblige à trouver des stratégies pour ne pas être submergé: le nombre d’épreuves peut par exemple diminuer, tout comme le nombre d’exercices à corriger. Les enseignants de français ont vraiment souffert des mesures d’économie entamées en 2010 par l’ancien conseiller d’Etat Philippe Gnaegi, lorsque le Département de l’éducation a supprimé des heures de décharge pour les corrections. Aujourd’hui, il faut avoir quatre classes de français pour obtenir une décharge. C’est comme si le canton ne cherchait pas à privilégier l’exercice de la dissertation: pourtant, cet exercice donne l’occasion aux élèves de réfléchir sur le monde!

Le profil des élèves a-t-il évolué au cours des années?

Oui, j’observe clairement une évolution: les élèves sont un peu moins sérieux qu’auparavant, surtout dans le travail à la maison. Le taux d’absentéisme a augmenté et pose un véritable problème aux directions d’école. Les élèves sont également dotés d’une culture générale un peu moins bonne que ce qu’elle pouvait être encore il y a une quinzaine d’années. Mais je m’empresse d’ajouter que, dans leur grande majorité, ces élèves sont magnifiques, ils sont respectueux de l’institution et de leurs camarades et ont conscience de ce que représente l’éducation pour leur vie future.

Des parents d’élèves trouvent que les exigences ont augmenté au lycée. Est-ce le cas?

Non, je pense qu’elles sont restées les mêmes. Mais ce n’est pas à l’école de s’adapter au niveau des élèves, c’est aux élèves de s’adapter au niveau de l’école. Le lycée peut sembler lourd pour certains élèves qui, il y a 20 ou 30 ans, ne seraient pas allés au lycée. Il y a aussi beaucoup d’élèves qui, à l’école secondaire, réussissent bien sans trop travailler, puis se retrouvent en difficulté quand ils doivent étudier au lycée. Les bons élèves d’école secondaire ne sont pas forcément les bons élèves du lycée.

Malgré les difficultés, enseigner reste-t-il un beau métier?

Si je devais sortir de l’Université aujourd’hui, je ne suis pas sûr que je choisirais le même parcours. J’aime ce métier, mais il est devenu difficile à pratiquer. L’image de l’enseignant s’est dégradée dans la population, tout comme l’image de l’école. De plus, la manière dont l’Etat s’occupe de l’instruction publique dans ce canton interpelle. En 19 ans de carrière, je n’ai connu aucune mesure favorable à l’enseignement: l’Etat n’a fait que de sarcler et de racler. L’école obligatoire neuchâteloise est la plus pauvre de Suisse, ce qui signifie que l’élève neuchâtelois est le «meilleur marché» du pays. Au niveau des lycées, on arrive en 22e position des cantons helvétiques. C’est quand même un peu tristounet!

Les écoles professionnelles

Plus de 6000 apprentis ont fait leur rentrée lundi passé dans l’un des trois centres de formation professionnelle du canton. Comment les enseignants ont-ils vécu cet instant? Jehanne-Gabrielle Béguin, professeur de français au Centre professionnel du Littoral neuchâtelois (CPLN), évoque le métier qu’elle exerce depuis dix ans.
  


Jehanne-Gabrielle Béguin, professeur de français à l’Ecole professionnelle commerciale du CPLN à Neuchâtel, juge les réformes stimulantes.
 

La rentrée, c’était lundi dernier pour vous. Comment s’est-elle passée?

Comme à chaque rentrée, il y a la peur de l’inconnu, une certaine appréhension de se retrouver face à de nouveaux élèves. Il faut se montrer à la hauteur, sachant que la première impression compte pour beaucoup. Avant la rentrée, je me retrouve dans le même état d’esprit qu’avant un examen: je fais des cauchemars, je rêve que je n’entends pas mon réveil, que je ne trouve pas ma classe. Mais après la première semaine, on est vite dans le bain. Et j’éprouve un grand plaisir à retrouver mes collègues: il y a une belle entente au sein de notre équipe.

Beaucoup d’enseignants constatent une augmentation de la charge de travail: est-ce le cas aussi dans les écoles professionnelles?

La charge n’est pas forcément plus importante, mais elle s’est complexifiée. Nous devons maîtriser les outils informatiques et de nouvelles plateformes avec lesquelles nous travaillons au quotidien. Cela peut prendre un certain temps pour se familiariser avec ces outils, notamment pour les collègues qui ne sont pas très à l’aise derrière un ordinateur. Par ailleurs, je constate que l’autorité de l’enseignant est plus souvent remise en question et que les recours se multiplient en cas d’échec à un examen. Pour nous prémunir de ça, nous passons plus de temps à commenter et détailler les exposés et les dissertations de français par écrit, même pour des notes suffisantes. Il est normal que le métier évolue avec les années, il faut vivre avec son temps. Mais ce qui m’a surprise depuis mon arrivée dans le métier, c’est le rythme des réformes. Nous devons régulièrement repenser notre manière d’enseigner et adapter nos programmes.

Adapter votre enseignement à l’évolution de la société, n’est-ce pas stimulant?

Oui, c’est très stimulant! De nouvelles branches apparaissent au programme, par exemple celle appelée «Interdisciplinarité»: plusieurs professeurs de branches différentes doivent collaborer pour proposer aux élèves des travaux interdisciplinaires. Au début, j’avais l’impression que ce serait difficile à gérer. Mais je me suis vite rendu compte de la plus-value que cela apporte à mon métier. Nous sommes habituellement seuls face à nos classes: cette branche nous permet d’échanger avec nos collègues et de voir comment d’autres personnes peuvent enseigner, ça fait du bien.

Le profil des apprentis a-t-il changé?

Les classes sont plus hétérogènes qu’auparavant, avec de grandes différences d’âge et de parcours: au sein d’une même classe, nous pouvons avoir des élèves de 15 ans et d’autres de 40 ans qui font une reconversion professionnelle. J’observe aussi que les connaissances de français ne sont pas toujours maîtrisées, même chez des élèves francophones. J’organise des cours d’appui de français: il y a cinq ans, nous ne donnions qu’un seul cours alors qu’aujourd’hui, on en dispense quatre.

Et le comportement des apprentis?

La barrière entre élève et enseignant est parfois très fine, il y a beaucoup de revendications. La gestion de la classe est devenue plus compliquée. Mais ce changement, nous l’avons souhaité aussi, en évitant le cours magistral frontal et en prônant le dialogue. Le comportement des élèves a aussi changé avec les nouvelles technologies: certains d’entre eux ont de la peine à se passer de leur téléphone portable durant 45 minutes. D’où une réflexion en cours: doit-on continuer à interdire les portables en classe ou faut-il les intégrer à notre enseignement?

Votre métier est en pleine mutation. Vous l’aimez malgré tout?

C’est justement parce qu’il change qu’il reste attrayant! Les réformes me font sortir de la routine et me stimulent. Mais si les changements sont supportables pour moi, c’est aussi parce que je travaille à 80%. Je me sens mieux reposée, plus efficace et il me reste du temps pour me ressourcer. En revanche, ce qui est difficile à gérer, c’est la non-reconnaissance de notre métier. Malgré notre engagement, on se sent parfois dévalorisés ou incompris par les personnes qui ne peuvent pas constater la réalité de notre profession.

PAR VIRGINIE GIROUD

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