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Le «capital humain» comme moteur de la croissance

Soumis par SAEN le 26 septembre 2018
L'éducation est, avec la santé, l'un des moyens d'augmenter le capital humain. (Photo Xavier Leoty. AFP)

Un rapport publié aujourd’hui dans la revue «The Lancet» fait le lien, chiffres à l'appui, entre investissements dans la santé et l’éducation et croissance du PIB.

Investir dans la santé et l’éducation est la meilleure manière d’assurer une bonne croissance économique à long terme. C’est en tout cas la conclusion d’une étude pilotée par l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) – un organisme statistique de l’université de Washington, financé par la Fondation Bill-et-Melinda-Gates – et publiée ce mardi dans la revue scientifique The Lancet.

En mesurant pour la première fois le capital humain de chaque pays et en le comparant à celui qu’il possédait en 1990, le rapport conclut à une «corrélation entre les investissements en matière d’éducation et de santé et une meilleure croissance du PIB». Ce nouvel indicateur combine «les compétences, les expériences et le savoir» d’une population avec son état de santé, pour en mesurer la contribution à la croissance économique. Il est exprimé en nombre d’années, pendant lesquelles «on estime qu’une personne peut travailler au cours de sa période de productivité maximale», c’est-à-dire en étant bien formée et en bonne santé.

La Finlande en tête, la France neuvième

La Finlande figure au premier rang du classement, avec un capital humain de 28 ans. A l’autre extrémité, avec un capital de deux ans, on trouve le Niger, le Tchad et le Soudan du Sud. La France, elle, se classe neuvième (première du G8 et deuxième du G20, derrière la Corée du Sud) bien qu’elle perde deux rangs par rapport aux données de 1990.

Le reste du classement est globalement conforme au tableau du monde que brossent nombre d’autres indicateurs de développement. Les vingt-cinq premiers rangs rassemblent uniquement des pays européens, le Canada, les «dragons asiatiques» (la Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan) et le Japon. En d’autres termes, des pays industrialisés et développés de longue date, avec toutefois quelques surprises.

On y repère ainsi la Biélorussie (taux et durée de scolarisation élevés) et les pays baltes, plutôt que la Grande-Bretagne ou l’Italie. Parmi les cinquante derniers du classement, on trouve une majorité de pays d’Afrique subsaharienne, accompagnés par le Yémen, l’Afghanistan et, plus étonnamment, l’Inde, qui figure seulement en 158e position, avec sept années de capital humain espéré, pénalisée par un mauvais score dans le domaine de la santé.

Déclin américain

Les Etats-Unis ont eux chuté depuis 1990 du 6e au 27e rang, victimes d’une baisse du nombre d’années de scolarité effective. Au contraire, la Turquie a connu la plus forte progression depuis cette date. Les autres améliorations les plus significatives concernent la Chine, le Brésil ou l’Arabie Saoudite. Autant de pays qui ont aussi enregistré une forte croissance de leur PIB par habitant.

La notion de capital humain, élaborée par les économistes américains Theodore Schultz et Gary Becker à partir des années 1950, a été largement utilisée dans le secteur des ressources humaines pour accroître la productivité des entreprises. «L’idée de départ du capital humain était d’encourager au développement des compétences des travailleurs par la formation. Mais cette acquisition de compétences était comprise comme un investissement de la personne en elle-même et sur son budget, pas un droit conféré par l’Etat», explique Philippe Bourmaud, historien à l’université Jean-Moulin-Lyon-3.

Appliquée aux Etats, elle est désormais considérée comme un indicateur de développement intéressant qui permet de combiner plusieurs facteurs et de prévoir des évolutions. Les pays qui s’appuient sur une population bien formée et en bonne santé sont plus à même de conserver une économie dynamique dans les années à venir, qui pourra s’adapter aux changements de tendance.

La Banque mondiale a appelé en juin, par l’intermédiaire de son président, Jim Yong-kim, à une mesure annuelle du capital humain. Cette mesure, et la démonstration de sa corrélation avec la hausse du PIB, serait un moyen d’inciter les Etats à investir dans les services de santé et d’éducation. L’enquête publiée ce mardi s’inscrit dans le même objectif. «La réalisation d’une telle étude sur la génération suivante – comme jauge des investissements en matière d’éducation et de santé – permettra de rendre les dirigeants responsables devant leurs citoyens», écrit ainsi le directeur de l’IHME, Christopher Murray.

Investir dans l'éducation et la santé

Comme tout capital, le capital humain peut en effet augmenter, sous l’effet de meilleurs services d’éducation et de santé. «Si le temps que chaque personne consacre à l’éducation augmente d’un an, le PIB par habitant devrait augmenter, sur le long terme, de 4 à 6 %», écrivait déjà l’OCDE dans une publication de 2007, intitulée le Capital humain - Comment le savoir détermine notre vie.

Côté santé, l’étude rappelle que les personnes mieux portantes sont généralement plus productives et analyse l’impact de la dénutrition, des retards de croissance ou de maladies infectieuses, comme le VIH et le paludisme, sur les résultats économiques.

La démonstration du lien entre croissance et capital humain est assez implacable, mais elle n’empêche pas de s’interroger sur le rôle de ce type d’indicateurs qui s’inscrivent dans le fonctionnement d’une économie mondiale libéralisée et contribuent à faire percevoir les populations à travers un prisme économique, où elles ne sont plus que les rouages, plus ou moins bien huilés, d’un système de production. «Cette étude encourage les gouvernements à investir dans l’éducation, mais en utilisant un outil pensé à l’origine pour favoriser le retour à l’individualisme libéral, poursuit Philippe Bourmaud. On peut donc se demander si les investissements seront concédés par les Etats, ou délégués au secteur privé, au risque d’accentuer l’endettement des populations.»

Par Nelly Didelot

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Publié le
mer 26/09/2018 - 18:48
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