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Les boucs émissaires de la cour de récré

Soumis par Stefan Lauper le 15 septembre 2008

Vendredi 12 septembre 2008 - L'Express/L'Impartial

ÉCOLE

Les boucs émissaires de la cour de récré

Près de 15% des élèves sont victimes de harcèlements divers de la part de leurs camarades. Un livre traite de ce sujet rarement évoqué en Romandie. Interview de son auteure, la pédopsychiatre française Nicole Catheline.

Ce n'est pas la violence qui fait la une des médias. Il ne s'agit pas non plus des broutilles qui agitent les cours de récréation depuis toujours. Selon des études effectuées dans plusieurs pays, près de 15% des élèves sont victimes d'exclusion, de rejet, de maltraitance, de harcèlement ou d'intimidation de la part de leurs camarades.Pour ces souffre-douleur, les conséquences de ces «microviolences» vont du refus scolaire au suicide. Baptisé aussi «school bullying» (maltraitance à l'école), ce phénomène se définit comme une conduite agressive intentionnelle d'un élève (ou de plusieurs) envers un autre, qui se répète régulièrement et qui engendre une relation dominé-dominant.

Observé notamment au Japon et en Angleterre, le phénomène semble général. Mais peu de littérature lui est consacrée - quasiment aucune en Suisse romande. Pourtant, il existe aussi dans nos cours d'école. La Française, qui vient de sortir un ouvrage sur le school bullying, donne quelques clés pour mieux cerner ces comportements.

Le thème du school bullying semble vieux comme l'école. Pourquoi choisir de le traiter maintenant?

Je suis pédopsychiatre depuis trente ans. Les adolescents que je reçois pour des problèmes de dépression ou de refus scolaire ont subi assez systématiquement des situations de harcèlement. Ce sont des cas trop fréquents pour être des coïncidences. De plus, je fais beaucoup de formation auprès des enseignants, qui évoquent souvent ce type de situations. Ces deux expériences m'ont fait prendre conscience de l'importance du sujet.

Il existe pourtant peu d'ouvrages écrits en français sur ces «microviolences»…

Dans les pays latins, nous avons une vision rousseauiste des jeunes, que l'on estime bons par nature. Mais les enfants ne sont pas des anges. Quand un enfant est brimé ou victime d'intimidation, on dit «il faut bien que jeunesse se passe» ou «il doit apprendre la vie». Pourtant les conséquences du school bullying peuvent être graves et aller jusqu'à la mort.

Comment distinguer le school bullying des autres formes de violence?

Une des particularités de ce type de harcèlement est d'être régulier - mais pas forcément constant. Il peut être entrecoupé de périodes où il ne se passe rien. Mais il faut penser au school bullying face à tout changement de comportement d'un enfant, par exemple s'il devient tout à coup solitaire.

Y a-t-il un profil-type d'enfant harcelé?

Tout le monde peut être victime de harcèlement. Un des critères est d'être porteur de différence dans une situation donnée. Beaucoup de bons élèves sont ainsi victimes d'intimidations, alors qu'être un «bon élève» n'est pas une pathologie. Mais s'ils se trouvent dans une classe avec un faible niveau, ils sont différents. Le même cas peut arriver à un enfant timide dans une classe où les élèves sont extravertis ou à un jeune immature dans une classe où la tendance est de valoriser l'autonomie.

Mais tous les enfants qui ne correspondent pas aux normes de leur classe ne sont pas exclus ou brimés…

Le second facteur est l'impossibilité pour un enfant victime de school bullying de trouver une réponse adaptée à cette situation. C'est ici que le poids familial intervient: sa famille ne l'a peut-être pas préparé à réagir à ces comportements. Et l'école n'a pas joué le rôle de substitut.

Que peuvent alors faire les parents?

Les conséquences du school bullying peuvent se confondre avec des attitudes banales. La première chose à faire est donc de se questionner et de discuter avec son enfant. S'il y a effectivement un harcèlement, il faut en parler avec l'enfant et réfléchir ensemble pour trouver une solution. L'important, pour un jeune, est d'être soutenu. Ce n'est pas tant l'humiliation qui lui pose problème que le fait d'être incompris. Quand il n'est pas cru, le harcèlement lui laisse des séquelles. Même adultes, les enfants qui ont été victimes de ces intimidations peuvent avoir des difficultés relationnelles, par exemple dans leur travail.

Quelles sont les autres pistes à explorer?

Le harcèlement fragilise l'estime de soi. A force, l'enfant se dit qu'il a quelques chose de différent et commence même à se sentir responsable de ce qui lui arrive. Pour sortir de cette situation, il faut lui redonner confiance en lui, par exemple en lui permettant de se réaliser lors d'activités extrascolaires. /TBO

Nicole Catheline, «Harcèlements à l'école», Albin Michel, 212 pp. Le site internet www.parlonsen.com permet aux enfants de se glisser dans la peau de différents intervenants du school bullying et de découvrir d'autres façons d'agir.

TAMARA BONGARD
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