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«Les cadeaux fiscaux sont en cause»

Soumis par SAEN le 21 décembre 2017

Tourmente budgétaire dans le canton de Neuchâtel : la droite renvoie la patate chaude au gouvernement.

Le déficit de 50 millions de francs du budget 2018 du canton de Neuchâtel est signe d’un mal profond. La décision du Grand Conseil prise dans la nuit de mardi à mercredi de renvoyer le Conseil d’Etat à ses calculs est le résultat de graves dissensions qui empêchent ce canton d’avancer. Les explications de Bernard Dafflon, professeur émérite de finances publiques à l’Université de Fribourg.

Le gouvernement neuchâtelois s'est vu refuser son budget (photo David Marchon)Le gouvernement neuchâtelois s’est vu refuser mardi soir son budget : un camouflet pour le chef des Finances Laurent Kurth (© David Marchon)

Pourquoi le canton de Neuchâtel connaît-il des problèmes budgétaires?

Bernard Dafflon : C’est le résultat de décisions prises sur la fiscalité des entreprises remontant à l’ère où les Finances, dirigées par Jean Studer (de 2005 à 2012), ont tassé les rendements fiscaux. Ces mesures n’ont pas réussi à faire venir les entreprises que ces rabais étaient censés attirer. En outre, le tissu industriel neuchâtelois est moins diversifié, de sorte que des difficultés sectorielles ont des conséquences directes sur la fiscalité.

A ce manque de recettes fiscales s’ajoute un canton à faible population...

L’autre partie de ce problème structurel tient aux dépenses du canton de Neuchâtel qui sont plus élevées que dans les autres, en particulier les cantons romands. Si l’on prend les dépenses par fonction et par habitant dans l’éducation, le système de santé, les dépenses sont en moyenne plus élevées. Pour le réseau hospitalier, par exemple, les fonctions de l’Hôpital neuchâtelois sont comparables à celles du Réseau hospitalier fribourgeois. Mais avec une population plus faible (170 000 habitants pour Neuchâtel contre 300 000 pour Fribourg, ndlr). Cela aboutit à des coûts fixes plus lourds par habitant. Et c’est bien là le problème.

Il y a clairement décalage structurel...

Oui. Vous pouvez faire tous les efforts que vous voulez, si Neuchâtel ne réduit pas le train de vie, il connaîtra des déficits de l’ampleur du budget 2018.

Justement, la droite du Grand Conseil demande l’austérité. Est-ce la bonne méthode?

Oui, mais vous ne pouvez pas aller en dessous d’un seuil critique, qui viderait la tâche de sa substance. Le vrai problème consiste à savoir quelle est la partie du train de vie qui est à l’origine du déficit. Il me semble que le Gouvernement neuchâtelois a déjà fait tout ce qu’il pouvait pour élaguer ce qui peut l’être. Je ne suis pas un fan des réductions structurelles : amincir l’Etat sans considération est un discours de droite. Le budget a deux côtés : dépenses et recettes. On pourrait aussi examiner la situation fiscale et se demander si la baisse accordée voici quelques années est raisonnable. Mais c’est un vrai problème car la droite est opposée à toute hausse fiscale! C’est pratiquement insoluble.

Finalement, les groupes PLR et l’UDC ont botté en touche...

En quelque sorte. Si vous voulez des réformes structurelles, il faut en débattre et assumer. Renvoyer le budget à l’exécutif est un aveu de faiblesse. La droite veut des économies structurelles, mais ne sait pas où aller les chercher. Les économies structurelles impliquent des baisses de prestations. Renvoyer le budget au Conseil d’Etat, c’est refiler la patate chaude!

Gouverner sans budget limite la marge de manœuvre...

Ne pas avoir de budget accepté signifie ne pas pouvoir dépenser plus que les stricts frais d’exploitation. Tous les projets d’infrastructures restent en plan. Vous vous engagez dans un déficit d’infrastructures.

C’est un peu le propriétaire qui n’investit rien dans sa maison?

Oui. Vous le payez cinq à dix ans après. Je reviens d’un séjour de recherche de trois mois au Canada, plus précisément à Toronto. Cette ville connaît un décalage important entre recettes et dépenses et la droite ne veut pas entendre parler d’un rééquilibrage des recettes. Les budgets sont limés et les dépenses se limitent à la stricte exploitation. Du coup, les infrastructures ne sont plus ou pas entretenues : elles subissent les contrecoups de cette austérité. Le canton veut-il s’engager sur ce chemin-là?

Certains cantons, comme Vaud, étaient en crise et ont finalement redressé la situation. Neuchâtel ne peut-il pas y parvenir?

Oui. Mais le canton de Vaud peut s’appuyer sur un bassin de population bien plus important que Neuchâtel, où vous avez un coût structurel par habitant beaucoup plus élevé. Pour l’hospitalier mais aussi pour la formation supérieure si vous la comparez à celle de Fribourg : on n’a pas le même volume d’habitants pour en répartir les coûts. Les coûts par habitant y sont plus élevés non pas parce que Neuchâtel est mauvais gestionnaire, mais parce que les coûts fixes se répartissent sur une population qui est plus faible.

Faudrait-il augmenter la masse critique en fusionnant avec d’autres cantons?

C’est la recette, c’est absolument clair. C’est la même chose pour les communes : celles qui sont trop petites résistent en coopérant. Mais, dans le canton de Neuchâtel, il y a des dissensions très importantes. Elles bloquent ce mouvement. Si vous prenez à nouveau le secteur hospitalier, un bassin convenable serait d’englober Neuchâtel et le Jura. Mais le canton du Jura est déjà occupé par deux hôpitaux, ne sachant pas encore ce qu’il va advenir pour celui de Moutier.

Le débat hospitalier à Neuchâtel n’est pas serein...

Il est soumis à des tensions à propos de ses deux établissements du Haut et du Bas. Elles ne sont pas favorables à des décisions structurelles prises à bon escient. Le renvoi du budget par la droite au Grand Conseil neuchâtelois à minuit passé mardi soir en est le signe.

« Appenzell a renoncé à des infrastructures »

Quel objectif poursuit la droite neuchâteloise?

Bernard Dafflon : La droite a comme objectif l’équilibre, mais l’équilibre n’est pas tout : il faut préciser comment l’atteindre. Y répondre est politiquement trop délicat : tension entre le Haut et le Bas, tension entre la droite et la gauche, personne ne veut perdre des voix. Renvoyer le budget au gouvernement est simpliste, mais ne répond pas à la question.

Pourquoi alors les demi-cantons d’Appenzell, qui ont aussi un petit bassin de population de 15 000 habitants environ, n’ont pas les problèmes de Neuchâtel?

Simplement parce qu’ils ont renoncé à certaines infrastructures et qu’ils signent des contrats de collaboration avec les cantons voisins, comme Saint-Gall, pour fournir des prestations comparables à leurs habitants.

Oui, mais les cantons se livrent une concurrence fiscale pour attirer les bons contribuables...

La baisse d’impôt pour attirer de nouveaux contribuables est très pratiquée. On se dit que la base fiscale va s’élargir en attirant de nouveaux contribuables et que cela compensera la baisse du taux. Mais on voit bien que la concurrence fiscale ne donne pas sur le long terme ce qui était promis au moment de la décision.

On l’a vu pour la fiscalité des entreprises...

Oui, Genève impose à hauteur de 13 %, Vaud suit à 13,8 %. et Fribourg s’alignerait à 13,72 % : Neuchâtel descendrait encore de 18,4 % à 15,6 %! Quand tous les cantons limitrophes baissent leur taux, les positions fiscales relatives ne changent pas et donc les différentiels fiscaux supposés être attractifs s’annulent. Mais les recettes fiscales en souffrent. Avec les mêmes prestations, cela se paie en dettes structurelles dont il est difficile de sortir. Et des lendemains difficiles, car l’impôt baissé ne se récupère pas politiquement. 

Propos recueillis par Pierre-André Sieber

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