Aller au contenu principal

Les marques se glissent dans le cartable

Soumis par Stefan Lauper le 21 novembre 2008

SPONSORING - La Poste, Nestlé, Coca: les marques sont de plus en plus nombreuses à s'introduire dans les écoles. En Suisse, elles sont peu nombreuses, mais ailleurs certains établissements ne peuvent plus vivre sans.

«À L'AVANTAGE DE L'ÉLÈVE»

Le sponsoring scolaire touche aussi l'informatique. Dans le cadre de l'initiative «Internet à l'école», lancée en 2001, Swisscom fournit gratuitement la connexion à haut débit jusqu'au bâtiment scolaire, de même que le routeur et l'assistance technique. L'équipement informatique reste à la charge de la commune. «Notre but est de donner un accès aux nouvelles technologies au plus grand nombre», affirme Christian Neuhaus. Le porte-parole de Swisscom précise que ce sponsoring, qui se monte à plusieurs dizaines de millions de francs par an, se veut «neutre»: les écoliers ne tombent pas sur le logo de l'opérateur en allumant l'ordinateur. En revanche, ils y découvrent très souvent les produits de Microsoft ou d'Apple. Les écoles peuvent bénéficier de «prix éducation» pour les logiciels, explique à Fribourg Jean-Daniel Dessonnaz, conseiller en informatique au Centre fri-tic. Selon lui, l'offre n'est pas désintéressée, mais reste «à l'avantage de l'élève», qui peut apprivoiser des outils pour sa vie future. Pareil sponsoring permet aussi de «belles économies» à l'Etat. PFY

Ça commence, l'air de rien, par la subvention d'un ouvrage que les écoles ne peuvent pas s'offrir. A l'instar de ce manuel d'histoire pour les 4e, 5e, et 6e primaires édité dans les années 1980 pour les petits Jurassiens. Un manuel qui porte le logo de la Banque jurassienne d'épargne et de crédit (BJEC, ancêtre de la Banque Jura-Laufont), sponsor grâce auquel le livre a pu voir le jour. Ça finit, dans les cas les plus extrêmes (lire ci-dessous), par des classes d'Américains scotchés 14 minutes par jour devant le TJ de Channel One et ses coupures publicitaires.

Petit à petit, les marques se glissent dans les salles de classe du monde entier. En 2005, Lise Corpataux a mis le doigt sur le phénomène dans «L'entreprise: un partenaire pour l'école?», mémoire de licence réalisé à l'Université de Fribourg. La sociologue des médias y décrypte l'évolution des relations entre entreprises et école publique. Des liens marqués par les nouveaux besoins de la formation, (notamment en équipement informatique). Mais aussi par le changement de philosophie au sein des entreprises: celles-ci estiment depuis quelques années devoir s'engager socialement et accordent de plus en plus d'importance à leur image. De quoi générer un terreau favorable au sponsoring ou, comme l'appellent pudiquement les représentants des milieux éducatifs, aux «partenariats».

Un vecteur de bonne image

«Le Jura est un petit canton, avec des moyens modestes», raconte par exemple au téléphone François Laville, ancien responsable de l'école obligatoire du Jura, au sujet du soutien de la BJEC. «Alors parfois, nous avons accepté des soutiens.» Récemment, le spécialiste en équipement internet Cisco a donné pour 120 000 francs de matériel à l'instruction publique du canton. En échange... d'une conférence de presse, permettant à la société de se faire connaître du grand public et de soigner son image.

«Ces gestes ne sont pas sans arrière-pensées. Les entreprises veulent faire parler d'elles», admet François Laville. «Mais il faut être pragmatique, tout en mettant des limites: les partenariats avec des marques de cigarettes ou d'alcool seraient bien sûr exclus.» Même son de cloche du côté des instituteurs fribourgeois. «Rien n'est gratuit», observe Marcel Bulliard, enseignant en classe primaire à Arconciel, et président de la Société pédagogique du canton. Dans les écoles fribourgeoises l'usage de matériel d'appoint fourni par d'anciennes régies fédérales ou des entreprises aux mains de l'Etat est fréquent. La Poste leur procure par exemple du matériel destiné à apprendre les bases de la comptabilité ou de la gestion d'un compte («Mon Compte Jaune ­ Mon argent»). «On pourrait presque parler de messages subliminaux, puisqu'à chaque fois qu'un enfant prend son matériel, il voit le logo», relève l'enseignant, qui rejette toutefois le dogmatisme: «Si le matériel est de bonne qualité, pourquoi s'en priver?»

A la demande des enseignants

Souvent, les marques entrent d'ailleurs à l'école sur demande de ses représentants. Ainsi le groupe Nestlé est-il fréquemment sollicité par des enseignants. «Ceux-ci souhaitent recevoir des bouteilles d'eau ou du chocolat pour leurs joutes sportives, ou des céréales lors de cours liés à l'alimentation», explique le porte-parole, Philippe Oertlé. Mais le groupe sait aussi se montrer proactif: ainsi la maison Nestlé a-t-elle récemment offert aux écoles des protège-cahiers à l'effigie du bonhomme THOMY. D'autres marques éveillent plus subtilement le palais des bambins. Comme Ovomaltine (de Wander), qui profite des journées liées à l'alimentation ­ plus précisément aux campagnes des Producteurs suisses de lait ­ pour entrer dans les préaux.

D'autres maisons, comme Coca-Cola, font preuve de moins de finesse. La firme américaine a en effet installé ses automates dans une centaine d'établissements suisses, sous couvert de démarche pédagogique: les enseignants et leurs classes étaient invitées à gérer eux-mêmes les ventes des boissons, fournies à un prix préférentiel, explique Lise Corpataux dans son étude. «Fondamentalement, je ne suis pas contre l'idée que les entreprises aident les écoles. Mais il faudrait beaucoup plus de contrôles», conclut la Fribourgeoise. De fait, des cas comme celui de Coca, de La Poste, ou de THOMY servent autant (voire plus) l'intérêt des marques que celui des élèves.

Poste télé contre publicité

En manque chronique de moyens, les écoles américaines cèdent facilement à la tentation des partenariats éducativo-commerciaux. Ainsi le phénomène a-t-il prix outre-Atlantique une ampleur incomparable avec ce qui se passe en Suisse. Conscient du manque des écoles, le diffuseur Channel One a frappé aux portes des établissements du pays à la fin des années 1990. Avec dans sa malette un nouveau concept: la diffusion quotidienne de 12 minutes d'information dans les classes, assorties de 2 minutes de publicité. En échange, les établissements ne touchent pas d'argent, mais peuvent utiliser le matériel audio-visuel installé par Channel One. De quoi séduire des milliers d'établissements, qui ont rendu la séance obligatoire pour des millions d'élèves, explique Naomi Klein dans «No Logo», paru en 2001 chez Actes Sud.

Les programmes sportifs proposés par l'équipementier Nike sont un autre exemple de l'importance des entreprises dans le système éducatif US. Alors que les établissements délaissent peu à peu l'éducation physique, le géant de la basket sponsorise «la réinsertion des programmes de sport dans les écoles américaines», écrit Lise Corpataux. La société ne lésine pas sur les moyens, puisqu'elle investit jusqu'à 10 millions de dollars par an. En contre partie, Nike récolte des informations sur les loisirs qui intéressent les jeunes, ce qui lui permet d'ajuster ses produits à leurs attentes. Le système connaît parfois de graves dérives. Comme l'a découvert à ses dépens Mike Cameron, en 1998, alors qu'il était élève au collège de Greenbriar, en Géorgie. Un beau jour de mars, afin que l'établissement décroche le prix (500 dollars) d'un concours organisé par Coca Cola, tous les élèves de l'école reçurent ordre de venir en cours flanqués d'un TeeShirt à l'effigie de la marque. Adepte de la provocation, Mike Cameron préféra revêtir les couleurs de Pepsi... Et fut immédiatement suspendu par la directrice de l'établissement.

LBT

Source

Mots-clés associés