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Les syndicats d’enseignants tirent un premier bilan très négatif

Soumis par SAEN le 23 décembre 2016

La grande réforme de l’école est appliquée en 10e année.

Les syndicats estiment que les élèves les plus «faibles» sont les grands perdants.Les syndicats estiment que les élèves les plus «faibles» sont les grands perdants. KEYSTONE

A la question «Quelle est la principale réussite à vos yeux?», la réponse est cinglante: «Il n’y en a aucune.» Elle émane du SSP, le Syndicat des services publics, section enseignants. Selon lui, la réforme de l’«école secondaire» neuchâteloise (cycle 3), dont les effets s’appliquent depuis le mois d’août à la 10e année Harmos, provoque «un profond malaise» et «un découragement à la mesure des attentes déçues».

La suppression des trois sections, remplacées par des classes à niveaux dans cinq disciplines (lire ci-dessous), amène l’autre syndicat, le SAEN, à dresser un premier bilan un tout petit peu moins négatif: «Tout n’est peut-être pas à jeter. L’abandon des étiquettes liées aux sections est un élément positif. Au sein des collèges, on sent une plus grande unité parmi les élèves. Par ailleurs, de nombreux enseignants ont développé des compétences pour gérer des effectifs hétérogènes, mais on n’en est encore qu’au début.»

Des élèves décrochent

Voilà pour les seuls aspects positifs de ce bilan après quatre mois. Pour le reste, les syndicats, à qui nous avons demandé de faire part de leur position, tirent à boulets rouges sur la réforme, ou plutôt sur la manière dont elle est appliquée (en rappelant que l’avis des syndicats ne représente pas forcément celui de l’ensemble des enseignants). Leur principale critique porte sur la situation au niveau 1, celui qui regroupe les moins bons élèves: «L’hétérogénéité liée aux différences énormes de compétences entre les élèves constitue un très gros problème. Les élèves les plus ‘‘faibles’’ sont les grands perdants. Les enseignants n’ont pas la possibilité de gérer efficacement leurs classes  dont les effectifs sont trop élevés  et de fournir le travail attendu. Le suivi des élèves s’est clairement dégradé.»

Un avis pour l’essentiel partagé par le SAEN: «Le grand nombre de branches enseignées à deux niveaux, ainsi que la part réduite accordée à la classe en tant que groupe, tend à fragiliser encore davantage les élèves en décrochement. Comme cela se passe avec des préadolescents, cela crée trop fréquemment des problèmes de comportement qui perturbent la progression des autres élèves, à commencer par les éléments les plus fragiles.»

Le poids de la note 5

L’évaluation des élèves constitue un autre problème aux yeux des syndicats. «Sur ce plan, tout est à reprendre à zéro», considère carrément le SAEN. «A l’heure actuelle, l’évaluation se fait comme dans les anciennes conditions. Ce n’est absolument plus adapté, il faut inventer autre chose.»

Le SSP donne l’exemple suivant: «En section préprofessionnelle, un élève pouvait avoir une note de 5 qui correspondait à son niveau, c’était valorisant. Actuellement, ce même élève ne peut pas avoir un 5, car cela voudrait dire qu’il peut passer au niveau 2, alors qu’il n’en a pas forcément les compétences. Pour la suite, comment faire comprendre à un patron d’apprentissage que l’élève était bon au niveau 1, alors qu’il avait une note ‘‘que’’ de 4?»

Burn-out à venir

Les syndicats mentionnent encore l’«éclatement des classes» (les élèves étant séparés pour les cinq disciplines principales) et un fonctionnement au quotidien dont «la complexité s’est accrue». Avant de parler des conséquences des problèmes évoqués sur les enseignants: «Ils font de leur mieux, mais ils sont découragés. Les enseignants sont confrontés à une réalité qui est source d’angoisse et de lassitude», estime le SSP.

Aux yeux du SAEN, «beaucoup d’enseignants de 10e se sont déjà épuisés en 9e l’année passée. Parfois, ils y ont acquis des compétences qu’ils peuvent mettre à profit, mais ce n’est pas la généralité. Si l’on ajoute les autres réformes entrées en vigueur ces dernières années, nous allons au devant d’une probable explosion des cas de burn-out».

Pas pensé jusqu’au bout

Au final, le SSP considère qu’«il faut revoir la copie au plus vite. L’organisation des futurs niveaux en 11e année est déjà un casse-tête. Face aux difficultés dont la liste est aussi longue qu’édifiante, le Service cantonal de l’enseignement obligatoire doit prendre en compte le malaise général.»

Le syndicat conclut: «Les enseignants voyaient positivement un système à niveaux. Mais ils ont toujours dit que cette réforme n’avait pas été pensée jusqu’au bout et qu’elle devait être accompagnée de moyens financiers plus conséquents.»

«Nous ne sommes pas aveugles»

«Nous ne faisons aucun angélisme. Et nous ne sommes pas aveugles.» Au bout du fil, Jean-Claude Marguet, chef du Service cantonal de l’enseignement obligatoire (SEO). Il le martèle à plusieurs reprises: «Contrairement à ce que l’on entend souvent, nous ne sommes pas déconnectés de la réalité. Nous connaissons les problèmes auxquels les enseignants doivent faire face et nous cherchons autant que possible à les résoudre.»

 

Là où des divergences apparaissent entre le Département cantonal de l’éducation et les enseignants (une partie d’entre eux en tout cas), c’est au sujet des causes. Si l’on prend la 10e année Harmos, par exemple, que faut-il mettre sur le compte des «difficultés du métier d’enseignant, qui ont beaucoup augmenté ces vingt dernières années» (comme le dit Jean-Claude Marguet), et que faut-il mettre sur le compte de la réforme entrée en vigueur au mois d’août?

 

Sur ce second point, le chef du SEO considère que «durant ces quatre premiers mois, cela a fonctionné comme on l’avait imaginé. Ce que je veux dire par là, c’est que cela a globalement fonctionné, mais nous savions dès le départ qu’une réforme d’une telle ampleur demanderait que des améliorations soient apportées au fur et à mesure de sa mise en place.» Il donne l’exemple des «chefs de file», soit les enseignants qui, au sein de leur centre scolaire, sont chargés de favoriser la collaboration pédagogique entre les enseignants d’une même discipline. «Nous sommes au début de ce nouveau fonctionnement, qui permet aux enseignants d’échanger entre eux, notamment pour tout ce qui relève de la différenciation.» Explication: avec la suppression des trois sections, les enseignants doivent encore plus tenir compte des différences de compétences entre les élèves, surtout au niveau 1, où les écarts sont parfois considérables.

 

A propos de la différenciation, et plus généralement de l’hétérogénéité des classes, le chef du SEO signale que «ni l’une ni l’autre ne sont des nouveautés pour les enseignants. D’ailleurs, les classes sont totalement hétérogènes jusqu’en 8e année. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que les enseignants spécialistes (réd: enseignement spécifique d’une ou plusieurs disciplines) font face à une plus grande hétérogénéité, tout comme les généralistes d’ailleurs, ce qui les amène à devoir prendre de nouvelles habitudes. Et il est vrai que cela peut être compliqué avec des jeunes adolescents.»

 

La réforme a-t-elle été suffisamment préparée? Jean-Claude Marguet estime que oui: «Un immense travail a été réalisé en amont.» Pour ce qui est de l’appui apporté aux élèves en difficulté, il rappelle que «des fonds supplémentaires ont été accordés, tant par le Grand Conseil que le Département, en plus de tout ce qui avait été prévu.» Il précise: «Cela étant dit, il n’appartient pas à notre service de décider dans tous les détails comment ces fonds sont utilisés. Ce sont les directions de centre qui choisissent quels élèves sont concernés, dans quelle ampleur, à quel moment, et ainsi de suite. A chacun son rôle», conclut Jean-Claude Marguet.

 

A chacun son rôle? Il se dit que les pratiques en termes d’appui peuvent être très différentes d’un centre à l’autre, ce qui déboucherait sur des situations elles aussi différentes quant aux conséquences de la réforme pour les enseignants.

Fini les trois sections

DEUX NIVEAUX - La grande réforme de l’«école secondaire» (cycle 3) a commencé à s’appliquer lors de la rentrée scolaire d’août 2015 en 9e année Harmos: d’une part, les sections préprofessionnelle, moderne et maturité ont disparu; d’autre part, deux niveaux ont été introduits dans deux disciplines (français et maths, les autres disciplines restant communes), les moins bons élèves se trouvant au niveau 1 et les meilleurs au niveau 2.

 

CINQ BRANCHES - La mise en place de la réforme se poursuit en cette année 2016-2017, cette fois en 10e année, qui compte cinq disciplines à niveaux (français, maths, allemand, anglais et sciences de la nature). La réforme finira de s’appliquer en 2017-2018, qui verra la 11e année passer à son tour au système à niveaux.

PAR PASCAL HOFER

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