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Quand l’école a la bougeotte

Soumis par SAEN le 22 janvier 2020
A Vuisternens-devant-Romont (FR), les cours sont sportifs!

Cours en mouvement, bulles de lecture, robots malins... En expérimentant de nouvelles pistes, l’enseignement romand cherche à se réinventer, pour mieux capter l’attention des élèves d'aujourd’hui.

Çà et là en Suisse romande, des innovations surgissent dans les classes. À Fribourg, certaines écoles introduisent des activités ludico-sportives entre une règle de grammaire et deux additions. Ailleurs, comme à Genève, en Valais ou dans le canton de Vaud, on privilégie chaque jour des moments de lecture, bulles de silence qui permettent de retrouver la concentration.

Oui, un peu partout, l’école obligatoire innove, essaie, expérimente de nouvelles pistes d’enseignement au gré des maîtres et des établissements. Pourquoi? Pour tenter de s’adapter au mieux et de capter l’attention volatile des enfants et des adolescents nés dans les deux premières décennies du XXIe siècle. «L’école a de la peine à intéresser les élèves d’aujourd’hui. Ils ne sont parfois pas motivés, parce qu’ils ne trouvent pas de sens à ce qu’ils font», observe Étiennette Vellas, membre fondatrice du Groupe romand d'éducation nouvelle (GREN).

Pas facile de rivaliser avec le flot d’infos ramassées en ligne, les jeux en un clic, le zapping perpétuel entre les applications. Samuel Rohrbach, président du Syndicat des enseignants romands, arrive à la même constatation: «Les enseignants doivent de plus en plus varier leurs approches pédagogiques, voire individualiser leur enseignement. On ne peut plus faire une même activité pendant une leçon entière.»

Un apprentissage mobile et flexible

Certains professionnels vont chercher des solutions auprès d'anciens courants pédagogiques, comme Montessori ou Freinet, qui donnent des pistes pour traiter des problèmes éducatifs actuels (développement de l’autonomie, école inclusive). D’autres s'inspirent des derniers résultats des neuro­sciences, qui mettent en lumière les processus d'apprentissage. «On a par exemple enfin compris, grâce à la science, que pour libérer la tête, il n'y avait pas besoin de garder tout le corps immobile. Un enfant qui doit rester en tailleur, le dos droit, n’a pas le cerveau libre pour apprendre. L’idée de les laisser bouger en classe est une bonne chose», explique Anne Clerc-Georgy, formatrice d’enseignants à la Haute École pédagogique du canton de Vaud.

D’où les différents projets qui essaiment çà et là. Dans le canton de Vaud, on pratique jusqu’en 8e Harmos la classe flexible, dont le mobilier, plus souple, permet aux élèves de choisir leur lieu de travail et de se coucher pour écrire si l’envie les prend. Ailleurs, comme à Genève, on invite, entre autres, des avocats dans les classes de 9e pour parler justice et exercer la prise de parole en public, avec un concours d’éloquence à la clé.

Susciter l’intérêt

«Il faut mettre le plus possible les enfants en projet, qu’ils aient des rôles de petits chercheurs, assument des responsabilités, c’est capital aujourd’hui. Il revient aux adultes de créer des situations déclencheuses d’intérêt», insiste Étiennette Vellas. Comme monter une comédie musicale, une expo, un site ou rassembler des poèmes libres pour un livre. L’improvisation théâtrale fait aussi partie des outils que certains enseignants n’hésitent pas à utiliser au quotidien pour gérer des situations de crise. «Dans le jeu libre, l’enfant apprend à intégrer les règles et à métaboliser les tensions», explique Anne Clerc-Georgy, qui a vu des problèmes de comportement résorbés par cet exercice dans une classe de 5e année.

On le voit, il n’y a pas véritablement une nouvelle pédagogie révolutionnaire ni de recettes absolues, mais une diversité d’approches. Autant de remises en question didactiques qui demandent une implication totale des enseignants, pour que l’école s’adapte aux nouvelles contraintes tout en restant le lieu de transmission du savoir. «Il y a des réflexions nouvelles quant à la formation des maîtres, vus non plus comme de futurs exécutants, mais des professionnels en recherche permanente. On ne peut plus se contenter d’une formation par cours ex cathedra. Enseigner est devenu un nouveau métier», conclut Étiennette Vellas.

Des leçons qui roulent

À Vuisternens-devant-Romont (FR), trois enseignants proposent quotidiennement des cours en mouvement et des pauses sportives. Pour le plus grand bonheur de leurs élèves.

Il ne faut pas se fier aux apparences: ces élèves ne sont pas à la récréation, mais bel et bien en train d'apprendre leur poésie.

Au fond, des bureaux fixés sur des vélos d'appartement. Devant, deux planches d’équilibre. Et ici et là, de gros ballons, des pédaliers, des disques d’équilibre et un pédalo. Salle de gym? École de cirque?

Pas du tout: on est dans la classe de Bibiane Deillon et Corinne Chassot, enseignantes à Vuisternens-devant-Romont (FR). Passionnées de sport, celles-ci intègrent dans leurs cours depuis déjà dix ans le modèle «L’école bouge», lancé par la Confédération suisse et l’Office fédéral du sport. «Aujourd'hui, nous allons faire une dictée sportive, annonce Bibiane Deillon à ses vingt élèves âgés de 9 à 10 ans. J’ai affiché le texte à différents endroits du collège. Vous devez le mémoriser peu à peu, et revenir à chaque fois écrire ce dont vous vous souvenez dans votre cahier, pour que la dictée soit entièrement écrite à la fin de la leçon. Attention, on ne court pas et on ne crie pas dans les couloirs!»

Pendant que certains se lancent dans cette mission, Élise et Flavy préparent une fiche de maths en pédalant sur leurs bureaux-vélos. Maxime répète un poème sur le pédalo, Ombline sur un disque d’équilibre. Quant à Line et Antoine, ils testent les nouvelles planches, tout en se faisant répéter leur voc d’allemand. «Au début, j’ai dû mettre un cadre pour que les élèves ne fassent pas les fous, se souvient l’enseignante. Mais maintenant, ils respectent bien les consignes et je remarque que la classe est nettement plus motivée!»

Ici, le but du jeu est de souffler sur une feuille de papier pour la faire glisser vers son camarade.

L’art de la pause active

Dans une classe voisine, leur collègue Baptiste Bossel a pour sa part décidé d’adopter les pauses sportives. «Avec 24 élèves, c’est important de pouvoir trouver le moyen de maintenir leur attention, explique-t-il. Ce d’autant plus qu’on remarque que les nouvelles générations ont beaucoup de peine à rester concentrées longtemps.» Un élève est ainsi nommé «chef du sport» pour la semaine et doit sélectionner diverses activités pour faire bouger sa classe. Puis annoncer une pause de cinq minutes lorsqu’il le sent nécessaire. Petite démonstration: deux duos d’élèves soufflent sur une feuille de papier et doivent la faire glisser en direction du copain situé en face, tandis que d’autres effectuent des figures en lançant leur gourde et en la rattrapant. «Le fait d’adhérer au programme «L’école bouge» nous permet de commander une base de matériel: footbags, cordes ou carnets de devoirs. Et leur site internet propose de multiples activités à réaliser en classe, explique l'enseignant, avant de demander à sa classe: «Ça va, vous n’en avez pas marre?» – «Nooon!»

Dernier passage dans la classe de Bibiane Deillon, où nous croisons des élèves aux joues cramoisies: «Je chauffe, mais je chauffe! En plus, mes lunettes glissent sur le bout de mon nez», soupire Flavy en s’éventant. «Allez, on va commencer à ranger, ça va bientôt sonner, déclare son enseignante, tandis que Line se laisse tomber sur le canapé avec un soupir d’aise: «Des fois, à la fin de la leçon, on a juste envie de se reposer…»

Apprendre avec des robots

L’EPFL a lancé un projet pilote dans le canton de Vaud pour introduire l’éducation numérique dans les classes.

«Thymio»propose des jeux pour mieux comprendre la robotique.

Il y a un an, l’EPFL ouvrait le centre LEARN – Center for learning sciences. Sa mission: contribuer à l'excellence de l’éducation dans chaque école. «Le numérique arrive à l’école, et beaucoup d'institutions se demandent comment s’y prendre, explique Francesco Mondada, directeur académique. Nous avons créé le centre pour combler le fossé entre les chercheurs, parfois peu sensibles aux problèmes du terrain, et les enseignants qui côtoient les parents et les élèves.»

C’est ainsi que le centre s’est lancé l’an dernier dans un projet pilote du canton de Vaud, travaillant avec dix établissements vaudois et plus de 350 enseignants. «On dit souvent qu’on forme les profs au numérique, mais que cela ne prend pas. Personne ne s’est demandé sérieusement pourquoi, alors on a décidé de faire des hypothèses de travail, de les tester et d’en tirer des conclusions, afin d’améliorer sans cesse le processus, détaille Francesco Mondada. Dès le départ, nous avons établi un programme d’enseignement avec des personnes qui ont vécu l’entrée du numérique en classe. Puis nous avons fait appel à des personnes ressources sur le terrain, qui l’ont testé à l’avance et nous ont permis de corriger l’approche avant son utilisation concrète.»

Des cours branchés… et débranchés

Le programme consiste à introduire des concepts de science informatique, à l’aide de robots comme Thymio, développé lui aussi par l’équipe de Francesco Mondada, mais aussi, paradoxalement, par le biais de différents cours «débranchés», sans ordinateur.

«J’enseigne à des enfants de 1re et 2e Harmos, et j’ai tout de suite dit que je ne voulais pas d’écrans, car j’avais très peur de me retrouver avec un Ipad par élève, remarque Delphine Serrant, «testeuse» du projet à Chavannes-près-Renens (VD). L’EPFL a été très compréhensive et m’a mis à disposition un certain nombre de jeux, qui permettent par exemple aux enfants de comprendre le concept de tri des données en classant des poissons de tailles différentes.» L’enseignante a aussi adopté Thymio, avec lequel elle propose des jeux, et un petit robot-abeille appelé Blue-Bot. Les élèves peuvent programmer ce dernier, ce qui leur permet de comprendre que ce sont eux qui décident, et non pas la machine. «Le but est simplement d’essayer, d’échanger des idées avec mes collègues et de voir ce qui fonctionne ou pas. Il ne faut pas se dire qu’on va mettre à la poubelle papier et crayons, mais qu’on enrichit ainsi notre enseignement», souligne-t-elle.

Développer l’esprit critique

«Je pense qu’on est arrivé à un tournant: il est temps d'admettre que nos enfants grandissent dans un monde numérique, insiste pour sa part le directeur académique du centre LEARN. Plutôt que de diaboliser la situation, il est plus constructif de leur apprendre à développer un esprit critique sur la base de connaissances précises. Cela ne va pas les pousser à penser comme un ordinateur, mais leur faire comprendre qu’une machine n’a pas d'émotions, pas de créativité, mais qu’elle peut leur être utile pour résoudre des problèmes.» Le programme vaudois, coordonné avec d’autres partenaires tels que l’Université de Lausanne et la Haute École pédagogique du canton de Vaud, envisage d’ici un à deux ans un début de déploiement du programme numérique dans toutes les écoles obligatoires.

Une bulle de lecture pour décompresser

À Sion, un directeur d’établissement privé mise sur les livres pour favoriser la concentration des élèves et leur redonner le goût d’une activité qu’on croyait désuète.

Les élèves sont satisfaits de l’introduction de ces quarts d’heure de lecture libre, qui les aident pour le vocabulaire et l’orthographe.

À l’École Ardévaz, à Sion, qui prépare les étudiants à la maturité fédérale, on porte le sweat uniforme et on apprend à aimer les bons vieux livres. Ce qui n’empêche pas cette école d’être hyper-connectée, avec sa plateforme de cours numérisés et sa communication Whatsapp. Mais n’empêche, depuis le printemps dernier, tous les élèves de ce collège privé commencent les cours de l’après-midi par un quart d’heure de lecture libre.

Ils ont accepté de réduire leur pause de midi de cinq minutes et l’horaire officiel a été réorganisé dans ce sens. «L’idée est d’amener le calme et la sérénité après la pause de midi dont ils reviennent souvent agités. C’est comme un sas de décompression, une transition pour se retrouver soi-même», explique Alexandre Moulin, directeur de l’établissement qui est à l'origine de cette nouvelle mesure.

Visiblement les élèves semblent satisfaits. Même les plus récalcitrants, qui traînaient les pieds au début, se plongent maintenant dans des romans contemporains. Clémentine Beauvais, Lucía Puenzo, Roland Buti sont en bonne place à côté de Sir Arthur Conan Doyle, Ionesco et Maupassant…

«Je n’aimais pas du tout lire à la base, je suis plutôt séries d’horreur. Mais je me suis plongée dans un livre de Stephen King et ça me plaît de plus en plus. Lire m’aide aussi pour le vocabulaire et l’orthographe», lance Olympia Grintakis, 15 ans, en serrant sous son bras Joyland. Idem pour Hervé Matondo, 16 ans, qui partage son temps entre les études et le FC Sion: «Même si je ne suis pas un grand lecteur, j'aime bien ce moment de calme en classe. Ça vide l’esprit et on travaille mieux après.»

Les élèves ont carte blanche ou presque. «Je n’autorise ni les journaux ni les BD. Mais pourquoi pas le dernier Marc Levy?», répond Virgile Pitteloud, qui enseigne le français et la philo dans cet établissement. Et qui tire un bilan très positif de cette initiative: «L’effet est clairement bénéfique sur la concentration. Et puis le but est aussi de les sensibiliser à la lecture, de leur donner le goût.»

Alexandre Moulin en est également convaincu: «Souvent la lecture est une contrainte pour eux, les élèves d’aujourd’hui, qui préfèrent apprendre par Youtube. Mais l’école a toujours un rôle à jouer, celui de les stimuler et de les inciter à être curieux. Sortir du programme imposé est une façon de leur montrer qu’il n’y a rien de ridicule à lire, que le livre n’est pas has been.»

Source

Texte : Patricia Brambilla, Véronique Kipfer
Photos : Christophe Chammartin, Isabelle Favre

Publié le
lun 27/01/2020 - 18:27
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