La réalité virtuelle peuple nos esprits via les minuscules écrans de nos téléphones portables. Les pratiques enseignantes, dont le dispositif principal reste inchangé - un·e adulte référent·e face à plus de vingt enfants du même âge, doivent s’adapter à l’incapacité des élèves de se concentrer plus de trois minutes d’affilée, à leur difficulté à suivre un raisonnement qui sort de leur cadre mental habituel, à leurs réticences à aborder la réalité sous un angle inédit sur leurs réseaux sociaux.
Le corps enseignant ne vivant pas hors du monde, il est très rapidement ramené à la réalité par la fréquentation quotidienne d’enfants qui ne peuvent être que de leur temps. Donc pas de difficultés particulières à relever concernant les pratiques enseignantes et l’intégration des nouvelles technologies. C’est malheureusement un sujet-bateau instrumentalisé par des chercheurs en pédagogie qui aimeraient tant que ce soit un problème, prétexte à de multiples publications « orientées solutions » plus fumeuses les unes que les autres.
Si la profession enseignante est bel et bien touchée par les avancées de la société numérique, ce n’est pas essentiellement dans sa pratique quotidienne du métier, mais surtout dans ses conséquences administratives et organisationnelles. Le numérique a en effet engendré une inflation des données et des informations disponibles liées au fonctionnement des institutions scolaires. Alors qu’une simplification administrative était attendue par le corps enseignant avec la généralisation de l’informatique, c’est le phénomène absolument inverse qui s’est produit. Une complexification continuelle de toutes les procédures administratives, une limitation constante de toute démarche hors-cadre pour des raisons réglementaires qui encadrent de plus en plus drastiquement les pratiques les plus épanouissantes du métier, tant pour les profs que pour les élèves !
Les esprits se ferment à ce qui n’est pas directement exploitable avec des moyens numériques, les promenades en forêt s’amenuisent, les sorties culturelles se raréfient, les liens avec la société civile se distendent, chacune et chacun se trouvant enfermés dans les réseaux accessibles depuis son portable.
Dans toutes les professions, les perspectives nouvelles en termes d’accès à l’information et d’augmentation de la productivité génèrent une pression vécue de manière individuelle qui fatigue à petit feu les collaboratrices et collaborateurs qui voient par ailleurs leurs revenus se dégrader d’année en année. Par contre on ne déprime plus de la même manière que par le passé, on se consume littéralement, c’est le fameux burn-out qui guette chacune et chacun, quelle que soit son activité professionnelle.
Le département affirme avoir entendu les plaintes du terrain très bien relayées par les syndicats et vise donc un allègement des tâches administratives qui se sont multipliées avec la numérisation du fonctionnement de nos écoles. Nous attendons du concret. Pour l’instant, le seul élément tangible est la baisse continuelle de nos salaires, diminution de prestations complémentaires, augmentation sensible de la cotisation pour la caisse de pension, révision à la baisse des échelles salariales, l’Etat est absolument efficace lorsqu’il s’agit de nous faire cracher au bassinet ! Pourrait-il l’être de manière plus enthousiasmante et constructive, notamment en endossant son rôle de contrôle pédagogique de manière plus sérieuse qu’en déterminant à la louche la quantité de devoirs qu’il ne faudrait pas dépasser dans les différents degrés de l’école obligatoire ?