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VD: Filmés à leur insu, des profs portent plainte

Soumis par SAEN le 29 avril 2016

L’application Periscope (diffusant ce que filme l’usager d’un smartphone) est utilisée dans des classes vaudoises pour capter les réactions d’enseignants poussés à bout

C’est dans le bâtiment Jupiter (ci-dessus) du Collège du Pontet qu’a éclaté l’incident qui a révélé que le phénomène se répandait dans tout le canton.

C’est dans le bâtiment Jupiter (ci-dessus) du Collège du Pontet qu’a éclaté l’incident qui a révélé que le phénomène se répandait dans tout le canton. (Image: Patrick Martin)

Boulettes lancées sur le prof, provocations verbales ou encore grimaces dans le dos de l’enseignant. Des petits malins ont tenté de tout temps de faire rire leurs camarades en classe. La version 2016 de ce genre de bêtises dispose d’une caisse de résonance sans précédent: Periscope. L’application, lancée il y a une année, mais qui commence à prendre de l’ampleur, est propriété de Twitter et peut être téléchargée sur un smartphone. Grâce à elle, l’utilisateur diffuse en direct ce qu’il filme, non seulement pour ses amis du réseau social, mais pour tout utilisateur de Periscope, attiré soit par le titre du film, soit par l’endroit où l’action se passe (Peri­scope permet de géolocaliser le tournage).

Une polémique a éclaté en février après que le footballeur du PSG Serge Aurier a insulté son coach et des coéquipiers sur Periscope. Lors d’une Nuit debout à Paris, l’application a permis de faire du journalisme citoyen. Tout récemment, des élèves vaudois ont pris au pied de la lettre le nom de l’application, en observant non depuis un sous-marin mais depuis un smartphone caché dans une trousse. Un prof du Collège du Pontet, à Ecublens, en a fait les frais la semaine dernière. Deux élèves ont tout fait pour le pousser à bout. Il s’est aperçu le lendemain que la séquence avait été diffusée via Periscope. Ironie du sort, le piégé est un geek. «Si, au premier abord, il peut paraître cocasse que le prof de technologie soit la victime de l’informatique qu’il défend bec et ongles, je tiens à vous assurer que c’est d’autant plus difficile à digérer», témoigne-t-il sur un blog. Mais il ne veut pas s’exprimer dans la presse.

«Les ados comprennent mal pourquoi ils ne peuvent pas mettre leurs profs à leur insu sur le Web»

Presque sept minutes du cours ont été diffusées en direct sur Internet, «avec 73 spectateurs qui commentaient la vidéo en temps réel (avec certains commentaires vraiment désobligeants)», écrit-il encore. Il découvre «plusieurs dizaines de cours filmés en direct sur tout le canton, principalement dans la région lausannoise, La Côte et Yverdon»; un phénomène qui se répand «comme une traînée de poudre».

«C’est en train de faire boule de neige, raison pour laquelle nous avons réagi vite et fort», confirme Alain Bouquet, directeur général de l’Enseignement obligatoire du canton. Serge Lugon, directeur des Ecoles d’Ecublens, a révélé ces incidents à ses 90 collègues vaudois jeudi dernier. «Plutôt que chacun agisse dans son coin, nous nous sommes coordonnés», dit Alain Bouquet: une lettre type a été envoyée aux parents, appelant à leur «collaboration» et les avertissant des sanctions encourues. Alain Bouquet précise que des plaintes pénales ont déjà été déposées (lire ci-dessous). «La plupart des élèves ne savent même pas ce qu’ils risquent, dit une enseignante de la Riviera. Le dépôt systématique de plaintes devrait calmer la petite minorité d’élèves qui n’ont peur de rien et passent pour «la star» s’ils n’écopent que d’heures d’arrêt.» «Avec les réseaux sociaux règne un exhibitionnisme où les ados ne comprennent pas pourquoi ils ne pourraient pas y mettre leurs profs, alors qu’eux s’exhibent même avec un verre dans le nez, constate Alain Bouquet. Ces comportements leur ferment des portes pour trouver des places d’apprentissage. L’école doit les en rendre conscients.» Professeur en France, Emmanuel Grange décrit Periscope comme une «sorte de télé-réalité ambulante et débridée, qui permet de zapper d’une existence à une autre en entrant dans l’intimité d’une vie avec la bénédiction des utilisateurs».

Sécurité en jeu

Tenter de faire craquer un prof filmé à son insu est «scandaleux du point de vue de l’atteinte aux personnes», souligne Alain Bouquet. «S’ils doivent tout le temps être sur leurs gardes, cela rajoute un stress pour les enseignants», ajoute un directeur d’école.

D’autres raisons motivent les utilisateurs: se lancer des défis. Comme celui de déclencher l’alarme du collège si 100 «spectateurs» se connectent au film en question. Conséquences? «En plus de l’amende salée pour fausse alerte, on peut s’imaginer que, dans la panique, des chevilles seront foulées ou des jambes cassées, décrit Alain Bouquet. Sans compter le risque d’escalade, puisque c’est le propre d’un défi que d’avoir un contre-défi.»

Le Canton de Genève a édicté une mise en garde à l’intention des enseignants, fin 2015, suite à des agissements entre élèves avec Periscope au cycle d’orientation. «Il est facile d’oublier que les règles qui régissent la vie réelle s’appliquent aussi à la vie numérique. C’est notre rôle d’anticiper et d’agir dès les premières alertes du terrain», constate May Piaget, coordinatrice de groupe transversal «Vie et climat scolaire».

D’autres cas genevois se sont déroulés dans le post-obligatoire, mais pour l’heure aucun signalement à ce niveau dans le canton de Vaud. Séverin Bez, directeur général de l’Enseignement post-obligatoire du Canton, avertit: «Les portes du gymnase ne sont pas ouvertes aux jeunes qui viendraient dans cet état d’esprit et j’encouragerai les directeurs à prendre des sanctions extrêmement sévères.» (24 heures)

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