FLEURIER Exposition sur l’immigration caviardée au collège de Longereuse.
Certains dessins retirés de l’exposition du collège de Fleurier. On distingue une contribution de Chappatte, dessinateur pour «Le Temps». DAVID MARCHON
Remue-ménage hier au collège de Longereuse, à Fleurier. Le directeur adjoint a dû, en milieu de matinée, retirer huit des cinquante dessins de presse affichés depuis huit jours dans le hall de l’école. Faisant partie de l’exposition «La Suisse, terre d’accueil, eldorado ou paradis perdu?» présentée dans le cadre de la Semaine contre le racisme, ces desins illustrent la problématique de l’immigration en Suisse.
Alors que tous brocardent allégrement le pays, les huit croquis visés, œuvres de dessinateurs de presse romands reconnus (lire l’encadré), présentent nommément des personnalités ou des partis politiques de droite.
L’ordre de les retirer est venu de la conseillère d’Etat Monika Maire-Hefti, approchée par le président de l’UDC neuchâteloise Yvan Perrin. Ironie de l’histoire, si l’interdiction est venue de la tête du département cantonal de l’éducation, l’exposition – créée à Sion en 2014 et qui a beaucoup voyagé depuis – est mise à disposition de l’école par deux autres entités étatiques. Soit les services cantonaux des migrations et de la cohésion multiculturelle.
«De l’endoctrinement»
Ce qui fait vivement réagir Yvan Perrin, qui a débarqué ce lundi à l’école – alors que le périmètre de celle-ci n’est pas accessible aux personnes sans lien avec l’établissement, font remarquer plusieurs témoins –, y a rencontré le directeur, avant de contacter la conseillère d’Etat. «J’ai été surpris de voir que mon parti était dépeint comme un peu nazi dans les murs de l’école», réagit le président de l’UDC neuchâteloise, citant une caricature où l’on voit Christoph Blocher devant un wagon rappelant ceux ayant servi à la déportation des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale.
«Je n’ai aucun problème à ce que les caricaturistes se défoulent sur nous. Mais pas que cela se fasse dans un tel lieu. Le dessin me convient très bien quand il est dans un lieu où l’on n’a pas l’obligation d’aller. Ici, c’est de l’endoctrinement», estime Yvan Perrin. «Pourquoi ne présente-t-on dès lors pas une exposition sur l’islamisme ou sur le terrorisme, avec ce qui se passe actuellement?»
Neutralité de l’école
Conseillère d’Etat en charge de l’éducation et de la famille, Monika Maire-Hefti assure que l’ordre donné par son département n’est pas lié à la personnalité ou à la fonction du dénonciateur. Si elle regrette que l’UDC se positionne «clairement en victime», la conseillère d’Etat «ne peut pas donner complètement tord» à Yvan Perrin, d’où son intervention au nom de la neutralité de l’école.
«L’école doit être un terrain absolument neutre, qui permette le débat d’idées», estime Monika Maire-Hefti. «J’aimerais que les élèves apprennent qu’il y a différents courants de pensée, mais en recevant l’information de manière neutre.» Or, l’équité de traitement entre parti politique pose problème dans les dessins visés, confirme son secrétaire général Jérôme Amez-Droz.
Pour le haut fonctionnaire et sa responsable politique, la ligne de contrôle pédagogique a connu un manquement, en laissant passer ces illustrations, d’autant plus que l’exposition est «aussi visible par des élèves qui ne suivent pas les animations qui vont avec». Monika Maire-Hefti dit toutefois concevoir «l’appréciation plus large» de la direction de l’école sur le sujet.
La conseillère d’Etat refuse également une quelconque polémique quant au fait que l’exposition soit proposée par un autre service cantonal. «Nous sommes des départements autonomes, nous ne sommes pas toujours au courant de ce qui se passe dans les autres services.» Et de conclure: «Ce n’est la faute de personne. On peut plutôt parler d’un manque de communication.»
La direction «surprise»
Romuald Babey, directeur du Cercle scolaire du Val-de-Travers, est «surpris» de toute l’affaire. L’exposition décriée par Yvan Perrin fait partie d’un projet de Pro Juventute en lien avec la lutte contre la discrimination et le racisme. «Il y a aussi un spectacle et des ateliers avec les élèves. C’est dans ce cadre que le service cantonal des migrations met à disposition cette exposition.» Pour lui et pour la conseillère communale Chantal Brunner, responsable de l’enseignement, l’exposition est considérée comme «un outil pédagogique mis à disposition des enseignants».
Si, lors de précédent passage au Centre professionnel des métiers du bâtiment (CPMB), à Colombier, le directeur de l’école avait décidé de ne pas afficher les dessins visant des partis politiques, il n’était pas question de faire pareil pour Romuald Babey. «J’ai refusé de le faire. Quand on nous prête une exposition, on la met en totalité ou on la refuse», estime le directeur des écoles vallonnières. Lequel rappelle que l’exposition est affichée dans les couloirs du collège et n’est pas destinée au grand public. Elle se veut «didactique» et «provoque le débat».
DES POINTURES
Les dessins retirés ne sont pas les œuvres d’illustres inconnus. Mis à disposition par la Maison du dessin de presse de Morges, l’un d’eux est signé par Chappatte, qui collabore avec le journal «Le Temps» et plusieurs illustres titres internationaux. Pitch, Vincent et Pigr, les autres dessinateurs, œuvrent pour divers titres romands, comme «Vigousse» ou «Le Quotidien jurassien».
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L’AVIS DE PITCH COMMENT, DESSINATEUR CENSURÉ
«Censurer des dessins de presse, c’est très con»
«Ma première réaction, c’est de rire, la deuxième, de pleurer», réagit le dessinateur Pitch Comment, dont cinq dessins ont été censurés. «Je trouve ça vraiment très con de censurer des dessins de presse, surtout dans le contexte actuel», lâche le Jurassien, qui œuvre notamment pour le magazine satirique «Vigousse».
«Il faut choisir: soit on accueille une expo, soit on ne l’accueille pas. Mais il n’y a pas à tortiller du cul, comme on dit.»
NHE
Mathieu Henguely